C'est super trashouille, mais c'est bon ! L'univers fictionnel de Ponti est unique, un vrai feu d'artifice. Âmes sensibles s'abstenir bien-sûr, même si je pense qu'il y a là une façon très intéressante de dénoncer les violences faites aux enfants, toutes ces foutues familles-maltraitantes-qu'auraient-dû-plutôt-avoir-un-chien-et-encore-pauv'-bete-! : adopter le point de vue de l'enfant que les adultes abîment et faire se projeter le monde rassurant qu'il s'invente sur la réalité traumatisante qu'il traverse ... Poétique et glaçant !
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Il y a l'odeur du carton verni de la valise, l'odeur de mon ours, la douceur rêche de sa fourrure durcie contre ma joue. Je me chiffonne comme une boule de papier. Je fais plein de plis à l'intérieur de moi. Je ne suis pas plus gros que le petit coin de joue qui touche mon ours.
Je ne suis plus que dans ce moment de joue, tellement petit, tellement disparu que je ne pourrais même pas avoir envie de pleurer.
Le curé les attend sur la ligne d'arrivée, les bras tendus et un mouchoir noué sur la tête à cause du soleil. Il n'a pas voulu garder son chapeau carré, il dit que ça n'est pas digne, que ça pourrait offenser Dieu. Laclope lui a demandé si Dieu était dans son chapeau et il s'est ramassé une baffe. Ce qui fait qu'on ne sait pas, pour Dieu. Mais ça m'étonnerait, le curé ne se lave pas les cheveux et il ne change jamais de chapeau.
"Si tu as peur de quelqu'un, tu l'imagines à poil."
La phrase de Laclope tourne dans ma tête. Je regarde mon père, ça fait dix jours qu'il me fait la gueule. Il est assis de profil sur sa chaise pour manger sans me voir. Mais moi, je peux le regarder.
Ma mère est transparente. Elle dit :
"Il y a moins de neige, aujourd'hui... Je me demande si j'ai fait assez de pâtes... Vous n'allez pas en laisser, tout de même..."
Elle parle à tout le monde. Personne ne lui répond.
J'ai compté mes pâtes, il m'en reste quarante-sept. Je regarde mon père. Il est à poil.
Pour moi, j'ai Irène à côté. Elle est toujours gentille avec nous. Ma mère dit que c'est parce qu'elle n'a pas d'enfant, et que nous, on est un peu les siens à la place. Je ne crois pas, elle n'est pas gentille comme Simone qui n'a pas d'enfant non plus. Elle n'a pas la peau et la voix en ruban tue-mouches qui nous collent dessus, elle est gentille dedans.
" C'est toujours ta cuvée spéciale ?
- Personne ne boira chez moi un pastis que j'ai pas fabriqué. Regardez la couleur, rien de chimique là-dedans, rien que du vrai et de l'alcool maison."
Mon grand-père dit c'est du bon, il a l'air de se demander quand même si ça ne va pas lui ronger son dentier de merde. Il est construit tout autour. On lui ôte, sa tête s'écroule sur son menton, et il s'effondre dans sa vieille peau de linge sale pourri.
À plus de soixante ans, Anna Boberg a exposé jusqu'en France et en Italie mais reste méconnue dans son pays. Depuis sa découverte des îles Lofoten, en 1901, elle y revient chaque hiver, seule, et y reste plusieurs semaines pour capter la beauté brute des paysages arctiques et leurs lumières éblouissantes. Sentant l'âge venir, elle entreprend cette année le voyage plus tôt que d'habitude, dans l'espoir de réaliser enfin le tableau exceptionnel qui lui vaudra la reconnaissance de ses pairs.
Au fil de cette saison de peinture, le roman se glisse dans l'intériorité d'Anna, au plus près de ses émotions, il sonde ses attentes et ses ambitions, il ravive des souvenirs. Bien qu'aventurière, Anna est loin d'être une marginale : elle a bien connu l'architecte Charles Garnier, elle a rencontré la comédienne Sarah Bernhardt, elle est une proche du prince héritier de Suède et l'épouse aimante d'un architecte réputé avec lequel elle travaille. Mais sa vocation artistique est tenace, et l'appel des aurores boréales, impérieux.
D'une écriture impressionniste, posée, délicate, attentive aux sensations, aux lumières, aux odeurs, aux températures, Sophie van der Linden évoque le geste créatif et la quête artistique d'une femme d'exception.
L'autrice
Née en 1973, Sophie van der Linden vit à Conflans- Sainte-Honorine. Elle a signé ou dirigé chez divers éditeurs des ouvrages dans le domaine de la critique en littérature pour la jeunesse, notamment " Claude Ponti "
(Être, 2000), " Lire l'album " (L'Atelier du poisson soluble,
2006), " Album[s] " (Actes Sud jeunesse, coll. « Encore une fois », 2013), Tout sur la littérature jeunesse (Gallimard Jeunesse, 2021).
Elle a également publié quatre romans : " La Fabrique du monde " (Buchet-Chastel, 2013 ; Folio, 2014 ; prix Palissy, prix du Livre pourpre, prix Jeune Mousquetaire, prix littéraire de la Passerelle, prix de la librairie L'Esprit large), " L'Incertitude de l'aube " (Buchet-Chastel, 2014), " de terre et de mer " (Buchet-Chastel, 2016 ; Folio, 2019) et " Après Constantinople " (Gallimard, coll. « Sygne », 2019).
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