AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Céline Bessière (Autre)Sibylle Gollac (Autre)
EAN : 9782413046073
128 pages
Delcourt (03/05/2023)
3.97/5   57 notes
Résumé :
En oubliant la notion de genre, on oublie un facteur exponentiel d'accroissement des inégalités. Une analyse percutante et accessible sur le problème de la répartition des patrimoines.
Du haut en bas de la pyramide sociale, que l'on soit mère célibataire ou cocréatrice d'un empire commercial, les mécanismes de transmission du patrimoine bénéficient aux hommes, quand bien même nos sociétés proclament plus de parité. Entraînées par une armada de félins volubile... >Voir plus
Que lire après Le Genre du capital : Enquêter sur les inégalités dans la familleVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (13) Voir plus Ajouter une critique
3,97

sur 57 notes
5
4 avis
4
6 avis
3
3 avis
2
0 avis
1
0 avis
Combattre l'ordre racial et l'ordre du genre contribue aussi à saper les bases du capitalisme.
-
Ce tome contient un essai qui se suffit à lui-même et qui ne nécessite pas de lecture préalable. Sa première édition date de 2023. Il a été réalisé par Céline Bessière, Sibylle Gollac et Jeanne Puchol pour le scénario, et par cette dernière pour les dessins et les nuances de gris. Il comprend cent-vingt-trois pages de bande dessinée. Il se termine avec une liste d'une quinzaine d'ouvrages pour aller plus loin, écrits par Pierre Bourdieu, Collectif Onze, Christine Delphy, Sylvia Federici, Nicolas Frémeaux & Marion Leturcq, Camille Herlin-Giret, Ana Perrin Heredia, Thomas Picketty, Florence Weber, Viviana Zelizer. Mmes Bessière et Gollac avaient collaboré au Collectif Onze, auteur d'un ouvrage qui avait été adapté en bande dessinée par Baptiste Virot en 2020 : Au tribunal des couples (Enquête sur des affaires familiales) en BD.

Dans une cabane de fortune construite sur un rond-point, une gilet jaune est en train de dîner frugalement dans sa protestation pour la justice sociale et la justice fiscale, et contre la casse des services publics. Elle écoute la radio : Trois mois après son divorce, MacKenzie Bezos renonce à tous ses intérêts dans le Washington Post et dans Blue Origin, à 75% de ses actions Amazon, ainsi qu'à ses droits dans cette entreprise. Ceci afin de soutenir l'action de son ex-mari, a-t-elle précisé. Jeff Bezos garde donc le contrôle d'Amazon et reste l'homme le plus riche du monde. Les marchés financiers peuvent respirer. Un tel discours met la gilet jaune hors d'elle : à haute voix, elle suggère que McKenzie vienne partager ses fins de mois. Un chat a réussi à tromper sa vigilance et est en train de goûter au plat préparé sur la table. Elle le chasse, car elle n'a sûrement pas trop de quoi à manger. Il détale ventre à terre, il croise un autre chat et ils commencent à papoter. le premier est à la rue parce que son humaine est morte subitement, et ses enfants, se disputant pour l'héritage, se sont débarrassés de lui. le deuxième explique que ses humains sont en train de déménager et il ne sait pas s'ils vont le garder. Ils croisent un troisième chat qui interrompt leur conversation.

Ce dernier chat les emmène dans un coin sympa. Il explique que dans la séparation, c'est surtout l'humaine qui va y laisser des plumes dans le divorce. Non seulement, l'écart entre les revenus des plus riches et ceux des plus pauvres n'a jamais été aussi important, mais l'écart entre leurs patrimoines se creuse encore plus. Patrimoine, ou richesse ou capital, peu importe l'appellation : des terres, de l'immobilier, des actifs financiers, des entreprises. À une interrogation, il répond que les pauvres peuvent parfois y prétendre grâce au crédit ou à l'épargne. Alors que les plus riches en bénéficient souvent dès leur plus jeune âge, parce que ces biens se transmettent au sein de la famille. Bon, ces inégalités-là font beaucoup parler. On sait moins que les inégalités de patrimoine entre les femmes et les hommes augmentent elles aussi. Même si les femmes travaillent et gagnent leur argent, en moins de vingt ans, l'écart entre ce que détiennent les hommes et femmes a presque doublé.

Il s'agit d'un exposé condensé d'une enquête analysant les inégalités de patrimoines et économiques entre femmes et hommes, au sein de familles de classe sociale différente. le défi impressionne : restituer une étude sociologique sous forme de bande dessinée. La forme narrative adoptée par les trois autrices fonctionne très bien. Quelques reconstitutions et mises en situation : des entretiens avec les deux sociologues, des discussions entre membres d'une même famille, des entretiens devant la ou le juge avec les avocats, des entretiens chez une avocate ou un avocat, chez une ou un notaire. Quelques moments d'une activité professionnelle ou d'une autre. La dessinatrice représente les trois autrices (dont elle-même) en train d'échanger en présentiel ou en distantiel pour approfondir une notion, ou demander un développement sur un constat contre-intuitif. Ces passages peuvent être représentés avec les trois autrices en situation, ou des gros plans sur leur visage simplifié et représenté comme des avatars infographiques. le lecteur ne s'attend pas à la troisième forme d'exposition : des chats en train d'échanger entre eux sur leur situation personnelle, et par voie de conséquence la situation de leur maîtresse.

En feuilletant rapidement le tome, le lecteur pourrait entretenir quelques réserves sur ce qui donne l'impression d'une narration visuelle peut-être un peu pauvre (beaucoup de têtes en train de parler, des décors représentés sporadiquement), mais à la lecture il ressent toute la pertinence des choix effectués, car ainsi l'exposé devient vivant et coule de source, avec une forme de tension dramatique qui sert le propos, sans le sensationnaliser ou le dramatiser. Au fur et à mesure, il fait l'expérience que les pages présentent une grande variété d'éléments visuels : l'intérieur du cabanon sur le rond-point, les murs et les toits parcourus par les chats, les cabinets et bureaux, et des éléments avec une fonction symbolique comme une balance à plateau, un extrait de tableur, un plan de réaménagement d'un appartement, un caddie de supermarché, des arbres généalogiques, un plateau de Monopoly, des billets de banque qui poussent sur une plante en pot, etc. le lecteur fait l'expérience de l'apport de la dessinatrice dans la conception des planches, dans la conception même de l'exposé pour qu'il ne soit pas juste un texte livré ficelé avec des images redondantes ou superfétatoires, mais bien un exercice pédagogique mettant à profit les possibilités du moyen d'expression, ainsi que ses spécificités. La facilité de la lecture rend le propos aisément accessible, et pourtant lorsqu'il prend un peu de recul en faisant une pause pour réfléchir à ce qu'il vient de lire, le lecteur prend conscience de la densité des informations, qu'il s'agisse des description des situations, de la démarche de recherche, des constats, des analyses, des conclusions. Il se rend également compte de la profondeur de la réflexion, nourrie par un travail conséquent de recherche et d'analyse. En prime, il est visible que Jeanne Puchol aime bien dessiner les chats et qu'elle en a longuement observés.

Les autrices affichent d'entrée jeu leur point de vue : analyser les inégalités de patrimoine et de richesse entre femmes et hommes, en défaveur de ces premières, avec le parti pris de l'écriture inclusive pour ne pas les invisibiliser. Ce positionnement n'affecte en rien la rigueur de leur enquête. L'annoncer permet au lecteur de savoir dans quelles directions ladite recherche va s'effectuer : il s'agit de repérer et d'analyser les mécanismes et les paramètres systémiques sociaux qui sont à l'oeuvre dans l'apparition ou la reconduction de ces inégalités. L'exposé comprend plusieurs parties. Un premier exemple de succession dans la famille Pilon, avec utilisation du dispositif de donation-partage devant notaire, la veuve donnant la boulangerie ainsi que la maison attenante à son fils, ses trois filles recevant quelques biens immobiliers et terrains avoisinants. Des explications complémentaires issues des entretiens menés avec les différents membres de la famille. Vient ensuite la partie analytique et réglementaire exposée par les deux sociologues, relancées par les questions de la bédéiste. Suivent encore deux exemples de successions. Puis de des exemples choisis pour des situations particulières : femme âgée et démunie, méconnaissance du droit chez les modestes, rôles respectif des avocats et des notaires, autres situations de divorce, de succession, dans des milieux aisés, dans des milieux populaires, au sein d'une famille ou l'épouse a élevé les enfants et travaillé dans l'entreprise de son époux, ou bien s'est entièrement consacrée à la famille.

En annonçant leur positionnement en toute transparence, les autrices indiquent qu'elles se focalisent sur les mécanismes qui font perdurer les inégalités entre femmes et hommes dans ces situations, voire les aggravent, avec le constat de départ que les statistiques sur l'écart de richesse entre femme et homme est allé en grandissant ces dernières décennies. Leur exposé est donc orienté puisqu'elles partent d'un constat factuel et chiffré, dans le même temps l'analyse desdits mécanismes est menée avec rigueur et méthode. Les exemples sont choisis pour un jugement qui va dans le sens de la préservation ou de l'augmentation de la richesse de l'homme, et la diminution de celle de la femme. Les autrices exposent alors la situation de départ, les éléments qui motivent le jugement, le lecteur restant libre de se faire une idée par lui-même, de nourrir son opinion, et de relativiser comme il l'entend les conclusions des sociologues s'il estime que le constat de départ est trop prégnant. Il retrouve bien évidemment des idées féministes tel que l'invisibilisation des tâches domestiques, ainsi que la priorité donnée à la conservation du patrimoine familial lors de sa transmission d'une génération à l'autre. À nouveau, il peut exercer son libre-arbitre en fonction de ses convictions et de ses valeurs, que ce soit pour les questions de capital, de travail ou de famille. À chaque étape, les deux sociologues exposent la méthodologie qu'elles ont mise en oeuvre, les moyens dont elles ont disposé, les entretiens qu'elles ont pu mener, les professionnels auxquels elles ont eu accès, les entretiens qu'elles ont pu observer, leur nombre et leur variété. le lecteur peut donc également se faire une idée de leurs sources et de leur démarche.

Tout commence par un titre bien singulier et un a priori sur le fait que l'exposé sera orienté pour pointer du doigt des mécanismes favorisant les hommes aux dépens des femmes. Les autrices affichent que leur ouvrage va dans ce sens, libre au lecteur de le garder à l'esprit au cours de sa lecture. Réaliser un exposé en sciences humaines et sociales en bande dessinée constitue un défi délicat, car il faut savoir trouver le bon mode narratif pour réaliser une vraie bande dessinée (et pas un texte illustré) sans dénaturer les propos tenus. S'il peut entretenir quelques a priori sur les choix de la dessinatrice, le lecteur ressent rapidement qu'ils étaient infondés, et que le mode narratif a été conçu par la bédéiste avec les deux chercheuses, pour un résultat parfaitement adapté à l'exercice de la restitution d'une enquête et de l'analyse afférente. La lecture s'avère très agréable, avec ses différents niveaux narratifs (mises en situation, échanges entre les autrices, commentaires, analyses et conclusions), et la prise de recul sous la forme de la discussion entre des observateurs inattendus que sont les chats. Une lecture passionnante, éclairante, enrichissante, édifiante.
Commenter  J’apprécie          252
Lu après ...
a) En avoir entendu parlé
b) En avoir lu un résumé détaillé de la part d'un babéliote, présence pour ne pas le citer, qui tient un blog consacré à la BD très riche...
Bon, je vais l'avouer, je n'éprouve ni sympathie ni rien d'autre d'ailleurs pour Mme MK Bezos qui sert d'introduction au livre.
Ouvrir la réflexion sur cette affaire d'intraprofiteurs m'avait éloigné de cette bande dessinée dédiée essentiellement aux inégalités homme-femme du point de vue du patrimoine et de sa transmission...
En patrimoine, il est vrai, les Bezos... Voilà des gens qui valent des millions de fois mieux que nous...
Soyons honnêtes, c'est surtout un essai, et marginalement une BD. Tous les discours, les exemples, sont majoritairement servis par les mêmes visages des enquêtrices qui parlent de leur étude, de leurs rencontres au fil de l'accumulation des témoignages qui constitueront leur ouvrage. le côté "BD" est mieux rendu avec la petite bande de chats qui ont aussi leur miaulement à dire sur le sort que leur réservent les humains lors des séparations et des décès.
Immobilier, foncier, actifs financiers, sociétés : les plus méritants d'entre nous en profitent dès leur plus jeune âge essentiellement grâce à leurs parents. Ces inégalités sont justifiées par la différence d'essence entre les pauvres et les êtres supérieurs. Mais même au sein de ces élus existent des inégalités entre les femmes et les hommes, et bizarrement elles augmentent aussi. En vingt ans, suivant le mouvement global de tnemellessiur l'écart entre ce que détiennent les hommes et femmes a presque doublé.
Il est donc amusant de constater que plus nous parlons d'égalité homme-femme, et Dieu sait si on nous rabâche les oreilles avec ça, cela ne s'améliore pas vraiment. Les quelques exemples décrits dans cette bande dessinée, toutes classes sociales confondues, sont assez démonstratifs. Il est vrai qu'on nous parle beaucoup d'autres choses constamment comme la démocratie...
Heureusement, la fin du livre m'a un peu réconcilié avec cette approche Homme-Femme qui n'est pas trop ma tasse de thé à la base : "On ne pourra pas mettre fin aux inégalités entre femmes et hommes sans s'attaquer aux inégalités de classes. On ne pourra pas abolir la société de classes sans renverser l'ordre du genre".
Pour que la lutte entre les inégalité homme femme ne soit pas le cache-sexe de la lutte contre les inégalités tout simplement.
Commenter  J’apprécie          232
Club N°53 : BD sélectionnée
------------------------------------

Véritable bombe sur un sujet explosif : les inégalités de genre.

Un vrai travail de vulgarisation qui permet de rentrer très facilement dans la thématique à travers des exemples concrets.

Caro B.
------------------------------------

Vraiment utile.

Pour ceux qui ne se sont encore rendus compte de rien.

Morgane R.
------------------------------------

Lien : https://mediatheque.lannion...
Commenter  J’apprécie          360
Peu importe la place d'une femme dans l'échelle sociale, les mécanismes de transmission favorise toujours les hommes malgré les promesses de parité.
Une BD enquête sur les processus en place dans notre société qui lèsent systématiquement les femmes dans les transmissions comme dans les séparations. Les autrices ont assisté à des procédures, interviewé des avocats, notaires, juges, ... démontrant à quel point le système en place est injuste.
Avec des exemples d'affaires qu'elles ont rencontrées leurs explications sont simples et didactiques, appuyés par l'intervention des chats qui racontent leurs maitresses et maitres pour appuyer les propos.
Côté dessins, le trait d'une grande sobriété est associé à une palette entièrement noire et blanche. le propos de l'album est joliment illustré sans pour autant noyer le sujet dans trop de détails.
Cet album réussit à vulgariser l'étude autour des inégalités de genre dans les transmissions sans jamais être ennuyeux.
Commenter  J’apprécie          90
Lu dans le cadre de Masse Critique : merci !

L'enquête sociologique "Le genre du capital" est dans ma pile à lire depuis très longtemps, mais le format ainsi que sa densité de contenu m'ont toujours fait un peu peur. J'ai été agréablement surprise quand j'ai vu qu'une adaptation BD était sortie : je n'avais plus d'excuse pour ne pas me pencher sur ce travail !

Le trio d'autrices et illustratrice a fait un choix original mais payant : une bonne partie du texte nous est délivré... par des chats ! Dans un quartier comme un autre, chats de gouttière, chats libres et chats de standing échangent sur les inégalités de genre dans le domaine de la justice. C'est un peu artificiel, certes, mais ça permet d'alléger le contenu et de faire passer certains concepts de manière très sympathique !

Du côté du contenu, pas de surprise, c'est énervant à souhait : qu'il s'agisse de magouilles dans les héritages (même "petits") ou de biais misogynes dans le jugement des divorces, tous les exemples donnés sont pertinents et ont demandé un énorme travail d'observation et d'écriture.

J'ai beaucoup appris grâce à cette bande de félins qui cohabite avec des avocat.e.s, notaires ou magistrat.e.s, mais aussi Monsieur et Madame Tout-le-monde. La scène finale est d'ailleurs très drôle, tel un affrontement entre chats des riches et chats des pauvres. Avec un petit clin d'oeil à Louise Michel !

Merci aux éditions Delcourt et aux autrices / illustratrice d'avoir oeuvré pour rendre ce travail encore plus accessible à celles et ceux qui, comme moi, sont parfois intimidé.e.s par la sociologie.
Commenter  J’apprécie          40


critiques presse (5)
MadmoizellePresse
10 juillet 2023
On reste sonné après avoir lu cet ouvrage implacable et accessible, détaillant les mécanismes qui, mis bout à bout, font des femmes les éternelles perdantes de l’équation familiale.
Lire la critique sur le site : MadmoizellePresse
Bedeo
20 juin 2023
Essai sociologique d’une puissance à remuer la société, cette BD a le pouvoir de décupler sa capacité à être entendue, et propose une réflexion finement amenée et un combat à mener.
Lire la critique sur le site : Bedeo
BDGest
31 mai 2023
Au fil d'exemples et de cas d'études, elles exposent comment les héritiers masculins restent favorisés, parfois à la limite de la légalité. Les biais misogynes entachent dans les jugements de divorce, invisibilisant le travail domestique et conservant une vision archaïque de la famille.
Lire la critique sur le site : BDGest
Sceneario
17 mai 2023
Pour parvenir à ces conclusions, Céline Bessière et Sibylle Gollac ont fait preuve de patience et ont mobilisé des moyens humaines conséquents. Pendant 20 ans, elles et leurs collaborateurs, ont rencontré des juges, des notaires, des familles… De quoi disposer d’un vaste panel de situations et, surtout, de clés pour comprendre pourquoi il existe encore de telles inégalités.
Lire la critique sur le site : Sceneario
Elle
16 mai 2023
Avec « Le genre du capital » (éd. La Découverte-Delcourt), les sociologues Céline Bessière et Sibylle Gollac signent, avec la dessinatrice Jeanne Puchol, une fantastique adaptation en BD de leur essai éponyme, qui met à jour le rôle de la famille dans la perpétuation des inégalités de richesse femmes-hommes.
Lire la critique sur le site : Elle
Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Au début, on était une bande de jeunes enseignantes-chercheuses en sociologie. Certaines avaient fini leur thèse, d’autres non. On était plutôt des spécialistes de la famille, du logement, de l’État. On a dû se mettre à la sociologie du droit et de la justice. Des dizaines d’étudiant.es se sont mis.es à suivre notre séminaire. Une vingtaine chaque année entre 2008 et 2012. Plusieurs ont continué une thèse et sont devenu.es collègues. Avec, hélas, des inégalités de statut importantes : il y a de moins en moins de postes de fonctionnaires, de postes correctement payés dans la recherche. Le principe du séminaire, c’est qu’on menait l’enquête dans les tribunaux ensemble et qu’on discutait ensuite. On essayait toujours d’être au moins deux aux audiences, ce qui permettait de se relayer pour la prise de notes. Une matinée d’audience, ça dure en moyenne trois heures où s’enchaînent une dizaine d’affaires, et parfois, ça va très vite. On avait du mal à suivre. Il fallait garder un silence absolu. Et ce n’était pas toujours facile quand la situation au sein des couples était tendue, ou quand les juges, les avocat.es, les greffier.ères nous prenaient à partie. Être deux permettait de supporter la charge émotionnelle de certaines affaires, de prendre du recul. Et ensuite, on débriefait avec toute l’équipe. En tout, on a été plus d’une cinquantaine à participer à cette enquête. Entre 2008 et 2012, on a assisté à trois centre trente audiences, dans cinq tribunaux différents, partout en France. Ça a donné lieu à la publication d’un ouvrage collectif en 2013, qu’on a signé à onze : Au tribunal des couples. Après la sortie du livre, une partie de l’équipe de recherche a continué l’enquête dans les cours d’appel et dans les cabinets d’avocat.es. Au total, on a fait des interviews avec une vingtaine de juges de première instance ; une dizaine de coseiller.ères de cour d’appel et une cinquantaine d’avocat.es chez qui on a réalisé quarante-cinq observations de rendez-vous avec leurs clientes et clients. Notre idée, c’était de suivre au maximum les dossiers, depuis le cabinet jusqu’au tribunal. Et on a constitué une base de données de quatre mille affaires familiales à partir de dossiers archivés en 2013 dans plusieurs tribunaux sur laquelle on travaille encore. On n’aurait jamais pu faire ça seules, ou même à deux. Et puis, grâce au travail d’équipe, on a pu observer plein de configurations différentes : des juges plus ou moins jeunes ou expérimenté.es, dans des tribunaux très divers, et des justiciables de milieux sociaux variés. Ça nous a permis de faire ce constat : l’absence de prise en considération du travail domestique assuré par les femmes ne joue pas seulement dans le calcul des prestations compensatoires pour les femmes de la bourgeoisie, elle a aussi un impact sur le calcul des pensions alimentaires dans les classes populaires.
Commenter  J’apprécie          110
Alors cette enquête chez les avocat.es, on l’a mené avec toute une équipe de recherches. On avait commencé en 2008 par une enquête sur le traitement judiciaire des séparations conjugales dans les tribunaux, en obtenant les autorisations des présidents de cinq d’entre eux. D’où le nom que nous avons choisi pour notre équipe : Ruptures. En 2013, on a écrit aux bâtonniers de différents barreaux qui connaissait notre travail, pour pouvoir aller observer la pratique des avocat.es dans leur cabinet. En amont du tribunal. Ça nous a ouvert des portes : on a réalisé des entretiens avec une cinquantaine d’avocats. Quatorze ont accepté qu’on les observe en rendez-vous avec les leurs cient.es. On est retournées au tribunal avec certnain.es. Mais au final, on a été plus d’une cinquantaine pour faire ça. Rencontrer des notaires, c’est une enquête qu’on a menée toutes les deux, grâce aux recommandations de juristes avec qui on travaillait, dans le cadre d’un partenariat avec le Conseil supérieur du notariat. Sinon, ce n’est pas facile d’obtenir des entretiens avec les notaires : ils et elles sont très soucieux-ses du secret professionnel. On a pu en rencontrer dix-sept : treize hommes et quatre femmes, âgée.es de 30 à plus de 60 ans. En entretien, on a réussi à faire parler une quinzaine d’entre elles et eux de leur origine sociale. La moitié a repris une étude familiale, dont six directement par héritage. La quasi-totalité provient de familles d’indépendants : parents et beaux-parents médecins, pharmaciens, restaurateurs et hôteliers, boulangers, agriculteurs, viticulteurs… Et quand les notaires ont des enfants en fin d’études, la question se pose de leur transmettre l’office. Ils et elles exercent dans des études plus ou moins grandes, situées dans des zones géographiques très éloignées. Certains.es nous ont reçues dans de beaux immeubles de quartiers chics de grandes métropoles. On n’était jamais habillées comme il fallait. D’autres travaillaient dans des bâtiments plutôt moches, à côté de parkings de supermarchés. […] Les clientèles sont différentes, bien sûr. Mais pour les notaires, le but est le même : se constituer et fidéliser la bonne clientèle, celle dont le capital économique fera tourner leur étude. Ils peuvent rencontrer leurs futur.es client.es au cours de dîners en ville, pendant des formations à la chambre de commerce, à l’occasion de manifestations sportives, ou dans des clubs réservés aux chefs d’entreprise ou aux professions libérales. Les notaires hommes s’appuient souvent sur une sociabilité d’entre-soi masculin, typique de la bourgeoisie locale. Ils se retrouvent entre possédant qui possèdent un intérêt commun : la préservation de leur richesse dans le temps, et sa transmission familiale. Et ils sont parfois très décomplexés quand il s’agit de favoriser l’héritier masculin dans la transmission du patrimoine professionnel. Je me souviens des propos provocants d’une pointure de la profession.
Commenter  J’apprécie          70
Vous ne me croyez pas ? Puisque rien ne vaut un bon exemple, écoutez l’histoire étonnante d’une famille de boulangers en Gironde, que Sybille a étudiée au début des années 2000. Il s’agit de la famille Pilon. Marcelle, la mère, est veuve depuis plus de quinze ans quand elle part à la retraite. Elle organise alors sa succession grâce à une donation-partage devant notaire. Celle-ci permet de transmettre et de répartir, de son vivant, tout ou partie de ses biens à ses héritiers-ères. Et les parts doivent être égales, bien sûr. Marcelle donne la boulangerie, ainsi que la maison attenante, à son fils Pierre qui travaillait déjà avec elle. Ses trois filles, Micheline, Monique et Roseline, reçoivent quelques biens immobiliers et terrains avoisinants. Comme leur valeur n’est pas équivalente à celle de la part de Pierre, il est convenu que ce dernier fournira gratuitement pain et chocolatines à ses sœurs pendant dix ans. Mais l’achat d’un fonds de pâtisserie pour Pierre, alors qu’il était âgé de 14 ans, n’a pas été pris en compte dans les calculs, ni déclaré au fisc. Et toute la famille le sait. Chez les Pilon, mère et enfants semblent s’accommoder de cette irrégularité. Marcelle la justifie ainsi : contrairement à ses sœurs, Pierre n’a pas fait d’études supérieures. Elle explique qu’elle a venu un moulin pour payer les études de ses filles. Mais, en entretien, Micheline raconte qu’elle a interrompu sa scolarité à 17 ans. Roseline précise que Monique et elle ont été boursières. Et toutes trois affirment avoir aidé gratuitement à la boutique. Les trois sœurs acceptent la situation pour préserver la bonne entente familiale. Elles ont aussi le souci de maintenir le statut social de la famille. Roseline est devenue conseillère municipale et Monique directrice de l’école. Leur frère est à la tête de la boulangerie-pâtisserie du même village.
Commenter  J’apprécie          110
En fait, il faut tenir compte ici du statut matrimonial des hommes et des femmes. Pendant longtemps, la plupart des couples se sont mariés. Et, en France, le régime matrimonial par défaut, c’est la communauté de biens réduite aux acquêts. Tout ce que les époux acquièrent pendant la durée du mariage, est possédé moitié-moitié, d’où que viennent les revenus. Le mariage a ainsi constitué un lisseur des inégalités de patrimoine entre femmes et hommes par rapport aux inégalités de revenus. Mais les féministes disent souvent que le mariage est une institution patriarcale ? Elles ont raison. Jusqu’en 1965, une femme qui se mariait en France renonçait au pouvoir de gestion des biens du couple, mais aussi de ses propres revenus. Et il a fallu attendre 1985 pour que les épouses soient considérées comme gestionnaires du patrimoine commun au même titre que leur époux. Mais c’est là que se joue ce que l’on pourrait appeler une arnaque historique. Au moment où les femmes gagnent ce pouvoir de gestion, de plus en plus y renoncent. De moins en moins de couples se marient. Dans les classes supérieures, quand on se marie encore, c’est de plus en plus sous le régime de la séparation de biens, au nom de l’autonomie des conjoints. C’est ce que nos collègues ont appelé l’individualisation des patrimoines, qui explique en grande partie l’augmentation récente des inégalités de patrimoine entre hommes et femmes. Celles-ci reflètent de plus en plus les inégalités de revenus qui s’accumulent tout au long de la vie.
Commenter  J’apprécie          104
Les propos de cette avocate montrent le fossé entre son univers social de référence et celui de ce couple modeste. La possibilité de prendre une nounou est tout simplement hors de leur portée. Quant à l’avocat du père, elle considère que la mère est, par défaut, disponible pour s’occuper de l’enfant tous les débuts de week-end si cela peut remédier aux contraintes professionnelles de son ex. À nouveau, le travail rémunéré des hommes est valorisé et protégé tandis que l’exploitation du travail domestique gratuit des femmes va de soi ! Les femmes sont censées organiser leur emploi du temps professionnel en fonction de leurs enfants. Elles n’apparaissent pas légitimes à demander des compensations financières en retour. Ce biais à une implication économique majeure : quand les enfants résident chez elle, les frais de garde qui incombent aux mères ne sont pas pris en compte dans les calculs des compensations, pas plus que les pertes de revenus liées aux réductions d’activité qu’elles endurent pour s’occuper de leurs enfants.
Commenter  J’apprécie          70

Lire un extrait
Videos de Jeanne Puchol (12) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Jeanne Puchol
L'alibi
autres livres classés : féminismeVoir plus
Les plus populaires : Bande dessinée Voir plus


Lecteurs (162) Voir plus



Quiz Voir plus

Les personnages de Tintin

Je suis un physicien tête-en-l'air et un peu dur d'oreille. J'apparais pour la première fois dans "Le Trésor de Rackham le Rouge". Mon personnage est inspiré d'Auguste Piccard (un physicien suisse concepteur du bathyscaphe) à qui je ressemble physiquement, mais j'ai fait mieux que mon modèle : je suis à l'origine d'un ambitieux programme d'exploration lunaire.

Tintin
Milou
Le Capitaine Haddock
Le Professeur Tournesol
Dupond et Dupont
Le Général Alcazar
L'émir Ben Kalish Ezab
La Castafiore
Oliveira da Figueira
Séraphin Lampion
Le docteur Müller
Nestor
Rastapopoulos
Le colonel Sponsz
Tchang

15 questions
5229 lecteurs ont répondu
Thèmes : bd franco-belge , bande dessinée , bd jeunesse , bd belge , bande dessinée aventure , aventure jeunesse , tintinophile , ligne claire , personnages , Personnages fictifsCréer un quiz sur ce livre

{* *}