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EAN : 9782859406080
192 pages
Phébus (29/03/2000)
4.75/5   4 notes
Résumé :
« Disons-le d'emblée puisqu'on ne le sait pas encore : Miklós Radnóti (1909-1944) fut un très grand poète ; l'un des six ou sept très grands poètes que cette terre de poésie qu'est la Hongrie peut s'enorgueillir d'avoir donnés à l'Europe et au monde; l'un des plus chers au coeur de tout Hongrois ; le plus proche de nous peut-être et le plus actuel, lui dont le destin fut si tôt marqué par le pressentiment, presque par l'attente de la mort. »

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Citations et extraits (37) Voir plus Ajouter une citation
Poème d’amour dans la forêt

Elle est, cette forêt, comme ta bien-aimée
qui dans l’amour s’allonge et s’ouvre devant toi
et t’enferme pourtant et protège ta vie
en un cercle si dur que tu ne peux grandir
que vers le ciel ainsi que fait cette forêt
qui te salue avec son chapeau de soleil.

Et ton amie aussi ressemble à la forêt
où le silence est taché d’ombre, où la résine
se fige, mais où chante un rayon de soleil
quand le vent qui s’éveille agite les feuillages;
l’amour ainsi t’éclaire et sa main attentive
est là pour te garder d’innombrables malheurs.
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Lettre à sa femme

Dans les profondeurs des mondes muets veillent, leur solitude
hurlent dans ma tête ; je crie, nul ne répond
hébété par la guerre, là-bas si loin la Serbie silencieuse.
Et tu es si loin de moi. Mes rêves, toujours les mêmes,
sont tissés la nuit dans ta voix, et tout le jour
ils sont dans mon cœur et m’apaisent…
Aussi je scelle en moi mon silence, déjà ailleurs,
autour de moi les froides fougères s’agitent.

Je ne sais plus quand je te reverrai
toi qui m’était aussi solide et rassurante qu’un psaume
toi belle comme l’ombre et comme la lumière
toi que je chercherai même aveugle et muet
toi à jamais entrelacée à ce paysage que tu ne connais pas
toi qui montes de mes yeux, du fond de moi-même
toi avant si réelle maintenant perdue dans le royaume des rêves
toi du puits profond de mon innocence.

Mon âme rongée de jalousie se tend vers
la vraie promesse que tu m’aimes et que tu seras
ma femme à l’apogée de ma vie. Cela est mon espérance
mais quand la lucidité revient je me souviens
que tu es déjà ma femme et mon amie - par-delà
trois sauvages frontières des pays terribles.
dans ma mémoire notre amour s’aiguise
L’automne me laissera-t-il ici perdu dans la douleur ?

J’ai jadis cru aux miracles, oubliant leurs âges
au-dessus de moi les bombardiers géométrisent le ciel
où je voyais juste l’éclat et la couleur de tes yeux- le bleu s’assombrit
les bombes ne désirent que de tomber.
Je vis malgré tout et suis prisonnier.
J’ai tout soupesé, point par point de douleur,
et mon espérance est toujours dressée
et je te retrouverai. Pour toi j’ai parcouru toutes les routes

le long des gouffres profonds de l’âme. Je me transmettrai
au travers des flammes vivantes ou des charbons cramoisis
pour conquérir l’espace et s’il le faut j’aurai la dure résistance de l’écorce,
la sérénité et la volonté des combattants dont la force surgit du danger
de l’orage évalué froidement,
et qui leur redonne toute force à nouveau
et je deviens l’évidence de deux fois deux font quatre
Lager Heidenau, dans la montagne au-dessus de Zagubica, août-septembre 1944
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La huitième églogue

Le poète :
Salut à toi, beau vieillard, avec quelle rapidité tu grimpes ce chemin de montagne rocailleux, des ailes te portent-elles, ou es-tu pourchassé par une armée ?
Des ailes te portent, la colère te porte, des éclairs brûlent dans tes yeux -
Salut à toi, grand voyageur ancien, je comprends que tu devais être l’un des anciens prophètes de la colère - mais, dis-moi, lequel ?
Le prophète :
Lequel ? Je suis Nahum, de la cité d’Elkosh,celui qui maudit l’obscène ville assyrienne de Ninive, et entonnait le mot sacré
mot de la vengeance. J’étais un vaisseau débordant de rage !

Le poète :
Je connais ta rage ancienne car tes écrits ont survécu.

Le prophète :
Cela a survécu. Mais aujourd’hui, le mal se multiplie plus rapidement,
et les voies du Seigneur sont encore inconnues même à ce jour, car clairement le Seigneur a dit que les rivières majestueuses se tariraient,
le Carmel s’affaiblirait, la fleur de Basan et le Liban se flétriraient,
et les montagnes trembleraient et, enfin, le feu consumera tout.
Tout cela est arrivé.

Le poète :
Les nations se précipitent l’une contre l’autre pour s’entre-tuer ;
comme autrefois Ninive, aujourd’hui l’âme de l’humanité est avilie.
Est-ce que les déclarations et les atroces nuages verts et affamés de sauterelles ont servi à quelque chose ?? l’homme doit sans doute être la dernière des créatures !
un peu partout de tout petits bébés écrasés à mort contre des murs de briques, les tours de l’église transformées en torches enflammées, les maisons en fours, leurs habitants en fusion. Les usines partent en fumée.
Hurlant, les rues dévalent avec les gens en feu et trébuchent et défaillent.
Émouvante, la lourde trappe de la soute à bombes s’ouvre au-dessus, laissant sur les places de la ville des cadavres ratatinés comme bouses de vache dans la prairie
Tout ce que tu as prophétisé est à nouveau accompli. Alors dis-moi,
Qu’est-ce qui t’as fait quitter à nouveau le chaos originel pour revenir sur terre ?
Le Prophète :

Ma colère. Cet homme à nouveau totalement orphelin
en ce temps, et encore entouré par des armées des païens en forme d’hommes -
Aussi, j’aimerais voir à nouveau la chute des villes pécheresses,
le voir et le raconter, et témoigner pour les siècles futurs.

Le poète :
Mais tu en as déjà parlé. Le Seigneur l’a dit à travers tes paroles :
Malheur aux fortifications chargées de butin, aux bastions bâtis sur des cadavres ! Dis-moi, qu’est-ce qui a maintenu en toi depuis tous ces millénaires, ta colère en rage avec de tels célestes et opiniâtres incendies.
Le Prophète :
Dans les temps anciens, le Seigneur a touché mes lèvres impures avec ses charbons ardents (comme Il a également touché le sage d’Isaïe), Il a donc sondé mon cœur ; les braises étaient incandescentes et éclatantes, un ange les tenait avec des pinces. « Voilà », ai-je crié vers le Seigneur, « J’attends, prêt à répandre tes paroles. Celui-là envoyé un jour par le Seigneur, n’a plus ni âge, ni repos pour toujours »;
le feu du ciel brûle ses lèvres à travers les âges. Et combien de temps représente pour le Seigneur un millénaire ? Seul un court instant.

Le Poète :
Tu es très jeune, je t’envie, père ! Comment pourrais-je me permettre
de mesurer ma vie à ton âge terrible ? Déjà, mon temps
me tire vers le bas - comme des fleuves jaillissants usent les galets.
Le Prophète :
Ne crois pas cela. Je connais ta dernière poésie. La colère
te maintient en vie. La colère des prophètes et des poètes est la même,
elles nourrissent et abreuvent le peuple ! Ceux qui veulent survivre
peuvent se nourrir d’elle jusqu’à la naissance du royaume promis par ce jeune élève,
le rabbin qui a accompli la loi et nos paroles.
Viens avec moi annoncer que l’heure est déjà proche,
ce royaume est prêt à naître. Quel pourrait être alors le dessein du Seigneur ?
Maintenant tu peux voir ce qu’est ce royaume.De suite il faut partir,
et rassemblons les gens, fais venir ta femme et prend des bâtons,
car les bâtons font de bons compagnons pour les errants. Regarde, j’aimerais celui, qui tenant fermement un bâton noueux, osera être fort et inégal.
Lager Heidenau,dans la montagne au-dessus de Zagubica, 23 août 1944
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Bien longtemps je t’ai celée,
comme l’arbre en son feuillage
le fruit lentement mûri;
et, lucide fleur de glace
sur le miroir de la vitre,
dans mon esprit tu fleuris…
Et je sais ce que veut dire
ta main dans ma chevelure;
je porte en moi de tes pas
cette infime fléchissure,
et la courbe de tes côtes
s’il advient que je l’admire
comme un qui s’y reposa,
pur miracle qui respire;
dans mes rêves bien souvent
mes deux bras deviennent cent
et comme un dieu dans un rêve
dans mes cent bras je te prends.
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Journal de guerre

1. Lundi soir

Tu vois, maintenant la peur touche ton cœur,
et parfois le monde semble n’être que lointaines nouvelles ;
pour toi les vieux arbres montent la garde sur ton enfance
comme une mémoire de plus en plus ancienne.
Entre matins méfiants et nuits pleines de pressentiments
tu as vécu la moitié de ta vie au milieu des guerres,
et maintenant encore une fois des pointes dressées de baïonnettes
un ordre étincelle vers toi.
En rêves, parfois le paysage se dresse encore devant toi,
la maison de ta poésie, où le parfum de la liberté
flottait sur les prairies, et le matin quand tu t’éveillais,
tu portais avec toi l’odeur.
Parfois, lorsque tu travailles, toi à demi assis, toi effrayé,
à ton bureau. Et c’est comme si tu vivais dans la boue molle ;
ta main, ornée d’une plume, se déplace de plus en plus lourdement
de plus en plus gravement.
Le monde se transforme en une autre guerre, un nuage affamé
gobe la douceur bleue du ciel, et comme l’ombre gagne,
ta jeune femme met son bras autour de toi,
et pleure.

2. Mardi soir

Maintenant, je dors paisiblement
et lentement je vais vers mon travail -
gaz, avions, bombes sont suspendus prêts à fondre sur moi,
Je ne peux ni avoir peur, ni pleurer ;
aussi je vis mal, comme les bâtisseurs de route
dans les montagnes froides,
qui, si leur maison fragile
s’écroule sur eux avec l’âge,
en bâtisse une nouvelle, et pendant ce temps
dorment profondément sur les copeaux de bois odorants,
et le matin, éclaboussent leurs visages
dans les fleuves froids et luisants.
*
Je prends la vie de très haut, et je scrute autour de moi :
tout devient plus sombre.
comme lorsque de la proue d’un navire
Illuminée par la foudre
le guetteur crie, croyant voir la terre,
alors je crois aussi voir la terre, et encore je hurle à la vie !
d’une voix blanche.
Et le son de ma voix s’éclaircit
et elle est portée très loin
par une étoile froide et un vent frais du soir.

3. après-midi épuisée

Une guêpe mourante atterrit à la fenêtre,
ma femme qui rêve parle dans son sommeil,
et les ourlets des nuages brunissants
s’effilochent soufflées par une douce brise.
Que puis-je en dire de plus ? L’hiver arrive, et la guerre arrive ;
Je vais bientôt me coucher rompu, vu de personne ;
La terre infestée de vers remplira ma bouche et mes yeux
et les racines transperceront mon corps.
*
Oh, douce après-midi qui bascule, donne-moi la paix
Moi aussi je vais me coucher, et travailler plus tard.
La lumière de ton soleil est déjà suspendue sur les haies,
et là-bas le soir tombe sur les collines.
Ils ont tué un nuage, son sang tombe lentement sur le ciel ;
en dessous, sur les tiges des feuilles incandescentes,
il y a des baies jaunes à odeur de vin.

4. Le soir approche

À travers le ciel lisse, le soleil descend,
et le soir arrive plus tôt sur la route.
Sa venue est surveillée en vain par les yeux perçants de la lune -
Des petites bouffées de brume s’amassent.
La haie est en éveil, elle surprend le voyageur fatigué ;
la soirée se dévide parmi les branches des arbres
et le bourdonne de plus en plus fort, tandis que ces lignes s’édifient
et se penchent les unes sur les autres.
Un écureuil apeuré saute dans ma chambre calme,
et là un hexamètre gambade auprès de lui.
Du mur à la fenêtre, un brun moment -
et il a disparu sans laisser de trace.
La paix éphémère disparaît avec lui. Des vers
silencieux rampent au travers de champs éloignés
et lentement réduisent en morceaux
les rangs infinis de la mort allongée.
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