Eric Reinhardt reçoit une lettre qui le touche beaucoup. Elle est signée d'une certaine Bénédicte Ombredanne. Après un échange épistolaire, l'auteur et sa lectrice se donnent rendez-vous au Nemours près du Palais Royal. La jeune femme parle du calvaire que lui fait vivre son mari.
Un soir, en rentrant, Bénédicte trouve la maison plongée dans l'obscurité. Retranché dans la chambre, Jean-François pleure. Il vient d'écouter une émission consacrée aux maris harceleurs et aux souffrances de leurs épouses. Jean-François se reconnaît dans ce triste portrait. C'est le moment. Bénédicte doit lui dire ses quatre vérités et suivre le conseil donné dans l'émission : « partez, ne restez pas, faites-le pour vous, mais aussi pour votre mari, afin qu'il puisse se faire soigner, guérir, refaire sa vie dignement. »
Pourtant, elle reste, pour son plus grand malheur.
Ce roman est divisé en trois parties. La première est prise en charge par un narrateur qui se révèle n'être autre qu'
Eric Reinhardt lui-même. Il narre la rencontre avec cette lectrice dont la missive l'avait ému. Nous voilà lancés dans une autofiction.
Eric Reinhardt rencontre Bénédicte. Il lui parle de ses doutes d'écrivain. Quelques mois plus tard, un second rendez-vous permet à Bénédicte de s'exprimer, de se confier. Fin du premier chapitre.
A partir du suivant, l'auteur se focalise sur Bénédicte. On remonte dans le temps. Mars 2006. Jean-François, le mari, apparaît. Il a l'air perdu. Il fait pitié. Il bat sa coulpe. Il insiste sur la phrase qu'il a retenue. Elle est écrite en lettres capitales. La porte s'ouvre. Bénédicte peut s'envoler. Respirer. Refaire sa vie. Mais non. Elle le console. La porte se referme sur elle. Elle va marcher vers l'enfer le roman est la relation de tous les tourments, les vexations, humiliations que Jean-François va infliger à sa femme sans qu'elle puisse y échapper, puisque, implicitement, elle a accepté cette situation.
Jean-François apparaît comme un malade, un homme dangereux : « elles(...) pouvaient l'entendre frapper les murs, articuler entre ses dents de menaçantes lamentations, hurler de claires insultes parfois suivies de la chute d'un objet. »
Bénédicte n'explique pas la situation à ses enfants, à son entourage. Face à ses collègues, elle présente la façade de l'épouse heureuse, pour qui tout va bien. Quand sa fille a peur de voir ses parents se séparer : « Bien sûr que non ! Mais enfin ! Lola ! Qu'est-ce qui t'arrive d'imaginer des choses pareilles ! Comment peux-tu penser un seul instant, papa et moi, qu'on puisse mais enfin ! »
Alors, le ton et l'attitude de Jean-François se durcissent : « Regarde-moi dans les yeux au lieu d'interroger la moquette, on croirait une demeurée (...)hypocrite, salope (…) Ta triste vie t'impose de réfléchir, de faire le point ? Madame n'est pas heureuse ? C'est son mari ? C'est ça ? Son mari ne lui convient plus ? »
Il devient brutal. Il s'attire des reproches au bureau. le lecteur a envie d'intervenir. de secouer Bénédicte, de lui crier : « Réagis ! Pars ! » Au lieu de cela, il assiste impuissant à une escalade infernale.
Dans la deuxième partie, la parole est donnée à une femme. Elle s'appelle Marie-Claire. Elle se révèle être la soeur jumelle de Bénédicte. Elle nous donne sa propre vision de celle-ci. Elle raconte leur enfance, le caractère joyeux et insouciant de Bénédicte. Elle avance dans le temps, nous révèle des détails qui nous permettent de comprendre comment et pourquoi Bénédicte en est arrivée là. Les anecdotes qu'elle nous livre sont effrayantes. Mille fois pires encore que celles qu'avait racontées Bénédicte. Jean-François est dur, calculateur, manipulateur, avare. On a envie de l'étrangler.
Enfin, le roman se clôt par un épilogue de treize pages qui permet au lecteur de retrouver son souffle. Sans quoi la lecture l'aurait laissé révolté, furieux, amer, frustré !
Eric Reinhardt insère dans son roman les pages du journal intime de Bénédicte. Il nous fait assister à un échange sur Meetic, parfois drôle, parfois terriblement cru et choquant, comme doivent l'être les propos tenus sur ce genre de site (je ne sais pas, je ne l'ai jamais fréquenté, mais je l'imagine!).
Ses phrases sont longues (trop) avec beaucoup d'accumulations : « l'écrivain que je suis devenu, avide d'estime et solitaire, suicidaire, spéculatif, dangereux, rigide, frustré, insatiable, obsessionnel, perfectionniste, maniaque, fuyant, violent, virtuel, radical, intransigeant – aimant le risque et le danger, adorant les paris périlleux et les gains qu'il est dans la nature de ces derniers de laisser espérer, mirifiques, face à une possibilité de pertes équivalentes. »
Il y a beaucoup de répétitions, lassantes à la fin, parfois agaçantes, comme cette manie de seriner le nom complet de « Bénédicte Ombredanne » ou « ma jumelle » dans la bouche de Marie-Claire, ce qui me paraît artificiel et peu vraisemblable. Je n'ai, en tout cas, jamais entendu de jumeaux se désigner ainsi.
Certaines lourdeurs ou maladresses de langage apparaissent ici et là : « ma jumelle, son premier mari, il convoitait la ferme de nos parents » ou « il avait attendu que son père lui dise qu'il l'aimait, parce qu'il sentait qu'il ne l'aimait pas, et sans doute, de fait, ne l'aimait-il pas, ce père, son fils ».
On a droit à la version intégrale d'une nouvelle de Viliers-de-l'Isle-Adam (« L'Inconnue ») que rien ne signale (pas de titre, de nom d'auteur, de note en bas de page...) dans le récit et on peut se creuser la tête pour établir un rapport entre celle-ci et l'histoire.
Mon avis est mitigé, en dépit de la vague de critiques terriblement élogieuses que j'ai lues ou entendues à propos de ce roman.
J'ai eu beaucoup de mal à entrer dans ce livre, mais j'ai beaucoup aimé à partir du monologue de Marie-Claire.
Les répétitions, les tics de langage m'ont lassée et agacée. En revanche, j'ai beaucoup apprécié le traitement du temps et notamment la capacité de l'auteur à créer une sorte de bulle où les minutes s'étirent et semblent infinies.
Je conclurai par cette phrase qui explique le mystère du titre : « Je préfère le profond, ce qui peut se pénétrer, ce en quoi il est envisageable de s'engloutir, de se dissimuler :
l'amour et les forêts, la nuit, l'automne. »
A chacun de se faire son opinion. Pour ma part, en dépit de certaines réserves, je ne regrette pas ma lecture.