La haine... la guerre brûlante de la colère, avec les luttes forcenées que celle-ci induit, est le monde infernal. On s'enferre complètement dans sa passion et on est tellement enferré en celle-ci que c'est infernal. L'avidité, une convoitise insatiable, un appétit et une soif inassouvissables, l'expérience de manque dans lequel on est (naît) avec une minuscule bouche, fine comme le chas d'une aiguille et un ventre gros comme une montagne, la frustration complète et intense, c'est le monde des esprits avides. Et puis l'opacité mentale, le manque de discernement, la bêtise, une attitude stable, laborieuse mais sans clarté, sans vision, manquant d'intelligence, une attitude stupide, en ce sens, c'est le monde animal. L'ambition, le désir, l'attachement, la volonté de faire, d'acquérir, de posséder, une mentalité fondée sur le désir, c'est la caractéristique du monde humain. Et puis une attitude permanente de compétition, de jalousie, par rapport à ceux qui seraient mieux, qui auraient mieux, ceux de l'étage du dessus. Cette compétition, jalousie, avec cette attitude aussi, finalement, un peu paranoïaque, c'est celle des dieux jaloux. Ils ont déjà beaucoup, en qualités, c'est un état riche mais qui ne se vit que par ce qui lui manque encore.
Il y a quatre voiles de l'esprit. Il y a tout d'abord le voile de l'absence d'intelligence immédiate (marigpa), qui est la source des illusions, des conditionnements. Ensuite le voile des tendances, des bakcha, des vâsanâ, c'est-à-dire des habitudes de pensées, des conditionnements mentaux, qui nous font expérimenter en termes dualistes, amenant, dans cette expérience dualiste (sujet-objet, observateur-observé) différents types de situations qui vont à leur tour devenir des émotions et des passions, attraction, répulsion, indifférence. Puis il y a le voile des passions, attraction, répulsion, indifférence, ou il y a l'orgueil, la jalousie, le désir-attachement, l'avidité, la bêtise et la haine-colère. Sur la base de ces émotions conflictuelles, passionnelles, on agit consciemment et ces actions conscientes mues par les passions laissent des empreintes qui vont à leur tour devenir la source de conditionnements à venir, c'est ce que l'on appelle le voile du karma.
Nous sommes conditionnés justement par ces empreintes, ces habitudes, le karma, et dans ces conditionnements, il est toutes sortes de problèmes, de difficultés, de mal-être, de souffrances et la solution, le bien-être authentique ne sont qu'au-delà des conditionnements. Si l'on prend vraiment conscience de ce qu'est le samsara, c'est-à-dire l'existence cyclique, le cycle des conditionnements, on abandonnera toute tentative de produire en celui-ci une sorte de bien-être ou de sécurité que l'on comprendrait comme étant fictif, et on peut alors vraiment tourner son coeur et son esprit vers la libération, vers l'éveil, en trouvant le sens véritable du non-attachement.
Il ne s'agit pas de produire, d'induire, de fabriquer, mais de s'ouvrir à ce qui est déjà ici, de reconnaître ce qui est présent essentiellement. Il ne s'agit pas de faire, mais bien plutôt de défaire les illusions, c'est-à-dire ce qui fait obstacle à l'expérience de la présence de l'éveil, ici. De défaire ce que nous sommes nous-mêmes, dans le sens où nous faisons obstacle à l'expérience de ce que nous sommes vraiment. Notre nature essentielle est la nature de Bouddha, dans la perspective du Vajrayâna celle de la déité. Il s'agit de défaire ce qui nous masque de ce que nous sommes vraiment, et nous sommes, moi-je, ce qui nous cache notre nature authentique.
Bardo est un mot tibétain qui signifie intervalle. Bar signifie entre, do signifie deux. Donc, le bardo, c'est un entre-deux, un intervalle. La notion se rend aussi bien en disant transition. Ici la notion de transition est importante car elle véhicule l'idée que nous sommes des vivants, des migrants tout le temps en état de transition, de transition d'état.
On peut ramener les bardo à quatre principaux :
- le bardo du moment de la mort,
- le bardo de dharmatâ que l'on peut, dans ce contexte, traduire par vacuité,
- le bardo du devenir
- le bardo de la naissance à la mort.