SONNET.
Vallon ! petit Éden plein de mystère, et digne
Que tous les amoureux s’y donnent rendez-vous ;
Tant la rivière écume aux râpes des cailloux,
Et, forcée à dormir sur ce lit dur, rechigne !
Sous les saules pensifs, un canard blanc et roux
S’apprête pour son bain du soir, plus fier qu’un cygne,
Et, tout près, s’accroupit un pêcheur à la ligne
Le panier blanc au dos, l’herbe verte aux genoux.
Plus loin un vieux château noirâtre, qui surplombe
Le vallon, sous du lierre épais cache sa tombe ;
Dans ses mornes débris roucoulent des pigeons.
— Et tandis qu’une mère allaite son plus jeune, —
Sur un vieux bouc, qui semble amaigri d’un long jeûne,
L’aîné chevauche, ayant pour cravache des joncs.
p.31
Coucher de Soleil.
SONNET.
Oh ! j’aime les lointains empourprés du couchant !
Le soleil disparait dans les plis des nuages,
Mais sa traînée ardente, à flots d’or s’épanchant,
Inonde les chemins qui mènent aux villages.
Où meurent les clartés, l’écho fait naître un chant :
Le vent tiède bruit. Les faucheuses volages
Pieds nus, corsage ouvert, de fleurs s’endimanchant
Suivent les chariots aux pesants attelages.
Tout s’emplit de parfums, de rhythmes et d’amour.
Alors comme un adieu mélancolique au jour
La cloche jette au loin sa lente sonnerie,
Et l’on marche en rêvant de la grande patrie
Qui s’étend par delà l’océan du ciel bleu
Où reluit le soleil comme une île de feu !..
p.69
Georges Rodenbach - Le soir dans les vitres