Pour moi le héros d'
Edmond Rostand se nomme Sorano de Bergerac. J'ai découvert cet immense comédien en 1960 grâce à
Claude Barma et à l'ORTF ou la RTF... tout enfant devant le poste de télévision familial en noir et blanc.
L'homme et le personnage, dès le début de l'envoi me touchent.
À la fin de la représentation, leur panache me fait fondre en larmes.
Je n'ai jamais oublié l'extraordinaire Daniel Sorano... disparu en 1962... et ce, en dépit de la truculente démonstration d'un
Gérard Depardieu inspiré comme jamais.
Avant de rentrer dans les petites explicitations historiques, mondaines ou techniques de ce chef-d'oeuvre patrimonial, quelques mots encore sur Sorano de Bergerac qui, comme Gérard Philipe dans le costume du Cid, se fera inhumer dans celui de Cyrano... avec son épée mais sans son nez postiche... conservé par sa femme.
Et pour terminer sur celui qui est "mon" Cyrano... en ce soir de 1960, il y avait comme distribution... on dit casting de nos jours ... :
"Françoise Christophe est Roxane, Michel le Royer est Christian de Neuvillette,
Jean Topart joue
Le Bret,
Michel Galabru joue Ragueneau, Philippe Noiret Lignière et Jean Deschamps le Comte de Guiche."
Comment voulez-vous après "ceux-là" que l'on puisse imaginer un autre Ragueneau ou un autre Lignière ?
Cyrano écrit par
Edmond Rostand, un écrivain jouissant d'une certaine estime mais sans plus, protégé de
Sarah Bernhardt, est une "commande" ou une demande formulée par Coquelin, le Raimu ou le Depardieu de l'époque.
C'est une rupture en cette fin de XIXème siècle avec le théâtre "social" et celui plus boulevardier.
Rostand s'inscrit dans la grande tradition "classique" des pièces en vers et des histoires de cape et d'épée.
Cyrano est un mélange de D'Artagnan, de Don Quichotte... avec quelques accents shakespeariens de Roméo et Juliette.
Le personnage de Cyrano a été inspiré à Rostand par le vrai
Savinien Cyrano de Bergerac, "auteur de quelques livres et pièces de théâtre qui ont connu du succès à leur époque. Il avait aussi une réputation de bien profiter de la vie en fréquentant les bars et les cabarets...", né, lui... à Paris... donc pas Gascon.
C'est une des nombreuses libertés prises par Rostand avec L'Histoire.
Notons qu'à l'exception de Roxane... qui est une "fiction" aux emprunts familiaux et autres, les personnages qui entourent le Cyrano de Rostand sont, théâtralisés, des proches du Cyrano né plus de deux siècles avant son illustre transposition rostandesque.
C'est une pièce en cinq actes qui, en dehors de ses vers célébrissimes, offre cette singularité d'être une sorte d'ode à la nourriture.
Il n'est pas un seul acte où cet élément majeur dans l'oeuvre ne soit présent... en abondance ( acte 2 avec Ragueneau )... ou en manque... ( acte 4 au siège d'Arras )... ou dans les duels : - Où vais-je te larder, dindon ? ( Acte 1 )
Je ne vais pas refaire le résumé connu de tous de cette pièce qui valut une gloire immédiate et oppressante à son auteur... juste me contenter d'évoquer quelques moments forts du "mythe".
Je ferai l'impasse sur
la tirade du nez que je connais, comme beaucoup, par coeur.
Je me limiterai en matière de tirade à mentionner une que j'adore et que j'appelle "la tirade des non, merci !" et qui se clôt par ce vers inouï et sublime : " Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !"
Et puis, je vous proposerai quelques passages privilégiés.
- Parce que ?
-Parce...
Que je n'ai pas d'argent !
- Comment ! le sac d'écus ?...
-Pension paternelle, en un jour, tu vécus !
- Pour vivre tout un mois, alors ?...
- Rien ne me reste.
- Jeter ce sac, quelle sottise !
- Mais quel geste !...
Je continue le partage.
-Lequel ?
- Mais le plus simple, de beaucoup
J'ai décidé d'être admirable en tout, pour tout !
Vous en voulez encore, j'en suis persuadé.
- Ce nez qui d'un quart d'heure en tous lieux me précède.
Encore ?
Alors, quelques calembours dont la pièce ne manque pas.
-Si vous sentiez mon nez, Monsieur, entre vos doigts,
Il jaillirait du lait !
- Hein ? du lait ?...
- de la Voie
Lactée !...
....
- L'autre Ourse est trop petite encor pour qu'elle morde.
....
- J'ai traversé la Lyre en cassant une corde !
L'avant dernier... vers.
- Mon tortil de baron pour un peu de Chester !
Et enfin :
- Mais aussi que diable allait-il faire,
Mais que diable allait-il faire en cette galère ?...
Philosophe, physicien,
Rimeur, bretteur, musicien,
Et voyageur aérien,
Grand riposteur du tac au tac,
Amant aussi - pas pour son bien ! -
Ci-gît Hercule-Savinien
De
Cyrano de Bergerac
Qui fut tout, et qui ne fut rien...
J'aime cette immersion dans cet univers que Rostand a su rendre exaltant, héroïque, chevaleresque, touchant, émouvant, tendre, drôle, truculent, spirituel et terriblement attachant.
Chaque relecture de Cyrano est un plaisir chaque fois renouvelé.
Chaque relecture est un rappel ou une ou plusieurs découvertes.
Cyrano et son panache, tout comme Don Quichotte, D'Artagnan, Roméo... ne sont pas prêts de quitter la scène... car l'immortalité ne cesse de les bisser.