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C'est l'histoire d'une lignée. Une lignée de paysans slovènes, dont le cours s'infléchit avec l'acte d'héroïsme du sous-lieutenant Trotta, qui sauve la vie de l'Empereur François-Joseph lors de la bataille de Solferino. Anoblis, les Trotta deviennent alors les Trotta von Sipolje (du nom du village dont ils sont originaires). Une race nouvelle commence avec celui qui devient LE Héros de Solferino, soudain séparé de son père, simple maréchal des logis, et de ses rustiques ancêtres slaves, par une montagne de grades militaires.
Il épouse la nièce de son colonel, dont il a un fils, mène une saine et régulière dans une petite garnison. C'est un bon époux, méfiant à l'égard des femmes, hostile au jeu, ennemi du mensonge et de la lâcheté, des conduites efféminées et des vains bavardages, homme bougon mais équitable, simple et irréprochable. Sa femme meurt jeune, de maladie. Il place alors son fils dans un pensionnat de Vienne, et choisit pour lui la voie du droit, décidant qu'il ne deviendra jamais soldat.

Ses rapports avec ce fils d'une intelligence froide et honnête, dénué de toute imagination, sont sans passion, régis par une routine quais protocolaire. L'enfant, obéissant, ne reçoit ni jouets ni argent de poche, ne s'interroge pas sur la pertinence des choix qui sont faits pour lui. Il devient commissaire de district en Silésie, haut fonctionnaire fiable et rigoureux. Il instaurera avec son propre fils des rapports rythmés par des rituels fixes, au sein d'une vie elle-même réglée au cordeau.

Le petit-fils du héros de Solferino (qu'il ne connaîtra jamais, si ce n'est sous la forme d'un portrait trônant sur les murs de la maison familiale) renoue avec l'armée, non par vocation -c'est un garçon sans réel talent ni volonté, qui ne sait pas monter à cheval-, mais avec cette soumission passive que son père dont son père a lui-même fait preuve. Sa médiocrité n'est toutefois pas un obstacle à ses ambitions, et ce n'est pas parce qu'elles sont modestes, mais parce que les Trotta, protégés par l'Empereur qui doit la vie à leur aïeul, ne peuvent connaître l'échec… S'ajoute à cette passivité une grise tristesse, un abattement qui depuis le premier drame de sa vie (la mort en couches de la maîtresse qui l'a initié au sexe) semble ne plus l'avoir quitté.

Militaire, il est affecté à un poste au fin fond du royaume habsbourgeois, à la frontière russe. Dans ce pays de marais sinistre, perfide, où l'on perçoit les signes précurseurs de l'écroulement de l'Empire, les prémisses d'une guerre qui en sonnera le glas, il comble son désoeuvrement en s'adonnant au jeu et à l'alcool. Les lettres qu'écrivent alors Charles-Joseph à son père rompent la tranquille succession des froides missives hebdomadaires que s'adressaient jusqu'à présent les mâles Trotta. Endetté, son honneur menacé, le fils appelle au secours…

Le père est démuni face à la détresse du fils. Accoutumé aux immuables routines que ne viennent secouer ni drame ni émotion, il ignore quelle attitude adopter non pas tant face à la situation, que face à la souffrance filiale. Il fait ce qu'il faut pour tirer son fils d'affaire, buvant sa honte sans rancoeur, avec ce sens du devoir qui lui permet de dissimuler sous son pragmatisme cette affection qu'il ressent mais n'ose exprimer, coincé par les carcans d'une éducation excluant toute faiblesse et toute tendresse, qu'aurait peut-être pu apporter quelque présence féminine, mais les femmes restent cruellement absentes de l'histoire toute masculine de cette famille.

Et c'est dans ces brèches, dans l'expression pourtant fugace et indirecte de ces maladresses, de ces surgissements émotionnels, que l'on finit par s'attacher à ces Trotta dont la rigidité pusillanime nous avait tenu jusque-là plutôt éloigné. En détaillant la mélancolie qui s'insinue peu à peu dans la solitude du préfet vieillissant, Joseph Roth rend à cet austère personnage une profondeur que le contraste avec son apparente froideur rend d'autant plus touchante. La détresse se révèle de manière indirecte, l'affection affleure là où on ne l'attendait pas forcément, pour un vieux et fidèle serviteur ou pour ce fils décadent et dépressif, et on se dit qu'il aura fallu attendre la quasi-extinction de la lignée des Trotta pour toucher du doigt leur humanité intrinsèque.

Extinction qui coïncide, comme si l'acte héroïque de l'aïeul avait inexorablement lié le destin des Trotta à celui de François-Joseph, avec celui d'une monarchie dont le dernier représentant vieillit, s'amollit, perd un peu la tête. C'est aussi le délitement d'un monde que le sens aigu des convenances et de l'honneur, mais surtout l'esprit de caste, l'antisémitisme des élites, avait figé dans des mécanismes inégalitaires. Voici venu le temps où les individus commencent à décider pour eux-mêmes, à remettre en cause l'immobilisme soumis des pères. Les ouvriers font grève, réclament une impensable égalité de droits. Inimaginable au début de sa carrière, le préfet Trotta doit faire face à des "troubles" aux relents révolutionnaires, initiés par des autonomistes ou des sociaux-démocrates. le déclin de l'empire austro-hongrois est entamé, le nationalisme a remplacé la foi en dieu, inextricablement liée à la monarchie habsbourgeoise.

Un roman très riche, porté par une écriture sobre et précise qui le rend intemporel.
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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Quelle merveille ! Joseph Roth nous transporte aux confins du futur ex-empire austro-hongrois avec une lucidité si chère aux auteurs germanophones et au-travers de cet homme nous devinons la confusion d'un homme qui a adhéré à une pensée et qui sent, confusément, que tout se délite ... quelle oeuvre extraordinaire qui nous rappelle que L Histoire, parfois, emporte les hommes ...
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L'empire Austro Hongrois est à l'agonie. le héros de la bataille de Solférino qui sauva l'archiduc d'Autriche n'est plus depuis longtemps. Mais le souvenir se transmet jusqu'à 2 générations jusqu'à ce que le petit fils décide de quitter l'armée malgré un père très strict et soucieux des traditions. le respect, la hiérarchie, l'Armée règne en maître sur une Autriche vieillissante. Un livre ennuyeux qui traîne en longueur. C'est vrai que les problèmes psychologiques d'un enfant obéissant à un père strict et vieillissant dans un environnement militaire n'est pas très séduisant en soi mais les situations décrites par l'auteur restent intéressantes sur la plan historique. Avis aux amateurs
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Après m'être plongé dans Thomas Mann, je découvre Joseph Roth, comme un frère autrichien du génial allemand. Dès les premières pages, je suis tombé sous le charme de son style et je me suis attaché à la famille Trotta. le parallèle fait entre la vie de cette famille et la destinée de l'empire François-Joseph est un coup de maître. En plus, avis aux amateurs d'Histoire, je suis certain qu'ils en apprendront sur l'Autriche-Hongrie.
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Un livre très complet et saisissant qui mêle histoire, politique et psychologie des personnages à l'époque resplendissante de la Mitteleuropa du XIX siècle

Une vision historique du livre.
La déliquescence du puissant empire austro-hongrois de la Mitteleuropa se traduit par une dégénérescence des valeurs notamment chrétiennes avec le rejet d'un empereur apostolique et plus tard par la désagrégation en états nations de tchèques, hongrois, slovènes, croates, italiens faisant dire à Roth que c'est «le creuset expérimental de la fin du monde»

Un monde social nouveau est en marche. Les mouvements ouvrier prennent de l'ampleur, les grèves éclatent et le pouvoir fait sur la foule. La cause des mouvements, du mécontentement ouvrier est peu traité il ne semble pas que cela soit le soucis de Roth et seul les effets c'est à dire les aspects éruptifs, agressifs, contraignants et désordres sont abordés
Mais il est déjà trop tard pour la répression et celle-ci ne fait qu'amplifier les soubresauts d'un monde monolithique qui sent les effluves de sa propre agonie et voit avec apathie venir derrière cette colère ouvrière, le grand chaos: Une guerre minutieusement préparée par les états majors .

On retrouve dans cette narration plusieurs visions politiques et dans le fond philosophique des personnages. La plus juste est celle du comte Chojnicki dilettante éclairé qui voit l'état de putréfaction avancé de l'empire. Celle de l'empereur qui sait que les empires sont fait pour mourir et constate l'imminence de la déchéance des Habsbourg et celle erronée du préfet von trotta, confiant dans les valeurs de l'empire. Toutefois il faudra la mort de son serviteur, le mal être de son fils, et le discours de Chojnicki pour remettre en cause son assurance.

Une narration oppressante et terne, terne comme la vie elle-même des personnages
Outre l'aspect frasque historique et réflexion politique Roth nous livre de beaux portraits de personnages.
Ceux entrevus: le médecin juif qui s'abuse lui-même, le comte Chojnicki brillant et éclairé, l'amante qui rajeunit et materne, le généreux et simple aide de camp slovène.
Celui de l'empereur, un dieu entrevu, dont l'analyse sur la déliquescence de l'empire, celle de son pouvoir et de son évolution s'avère perspicace. Abusé par son excellent état de santé, il se trouve déconcerté soudainement par son âge qui lui est appelé par inadvertance par Charles- Joseph.
le vrai empereur, selon Roth aurait admis être roi de Jérusalem c'est à dire des juifs en visitant un Shtetl très fortement peuplé

D'autres portraits plus fouillés le héros Celui de Charles- Joseph un sous officier écrasé par l'acte héroïque de son grand-père qui cherche sa place dans sa famille corsetée par l'apparat des fonctions et n'a pas de vocation militaire. Il traîne son ennui de casernes en casernes, s'amourache comme il peut, vit son engagement sans idéal, sombre dans l'alcoolisme et contracte stupidement des dettes extravagantes. Un somnambule neurasthénique en manque d'estime de lui-même personnage angoissant de part de son comportement obsessionnel. Il semble qu'on puisse reconnaître dans Charles-Joseph alcoolique joseph Roth lui-même adepte de la dive bouteille «le saint buveur» de Pernod.

Mais le plus cruel et beau est celui du préfet Vieux fonctionnaire imbu de sa fonction, père tout puissant qui n'a jamais baissé les yeux sur son entourage et qui à la suite de la mort de son majordome les ouvrent et découvre un monde qu'il ne comprend pas. Son serviteur traité ni plus ni moins comme un chien laisse derrière lui un grand vide le préfet découvre son immense solitude et fait preuve pour la première fois de sa vie d'humanisme.
Son héritier, héritier von Trotta, en qui il découvre un être humain malade et un fils, qu'il ne comprend pas mais veut aider. Son statut social qui se brise de lui-même et le jette dans la tourmente. Cet homme tombe de très haut et perd beaucoup mais il comprend sa chute et trouve une humanité et un honneur qu'il avait oublié.

En arrière fond la «Marche de Radetzky» de Johann Strauss, que Charles-Joseph entendait joué chaque dimanche pendant le repas sous son balcon étant enfant, la même qu'il retrouve entonnée au bordel militaire de tante Risi. En final un bal grotesque de convives et officiers ivres se disputant déjà l'avenir et la dépouille de l'empire à la suite de l'annonce de l'assassinat de Sarajevo
« Aux hommes libres de notre temps il ne reste plus bien longtemps pour rire » comme disait Malaparte.

C'est un livre très bien équilibré entre une belle narration historique sur l'empire flamboyant austro-hongrois, une analyse politique très pertinente de l'époque et une introspection irréprochable et scrupuleuse des personnages, parfois un peu longue et monotone mais qui ne dépareille pas avec le temps et la vie morne des personnages.
Roth fait corresponde à l'ambiguïté et l'indétermination des personnages celles de l'empire mais aussi celle de l'époque Un monde entre-deux.
Contrairement à Zweig qui a mythifiée la Mitteleuropa Roth la ramène à des proportions plus justes et n'hésite pas à montrer les signes précurseurs évidents de la chute
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Ce livre qui raconte la vie de la famille Trotta ou plus précisément le dernier et un peu l'avant dernier a la fin de l'empire austro hongrois est un livre que je trouve très contemporain. Dans ce royaume, l'empereur est usé, les institutions sont usées et le mécontentement nationaliste et ouvrier règne partout. On parlerait aujourd'hui de régionalisme et gilets jaunes. Seuls fonctionnent l'administration routinière et l'armée qui s'ennuie. Toutes les réformes tentées se traduisent par des rejets (pas assez, trop fort) et turn ne change. Tous voient que le monde change et que la guerre approche, mais tout reste comme avant. Un peu à l'image de notre temps où l'IA et le clonât révolutionnent notre mode de vie et que nous n'en changeons pas. Dans ce contexte, le héros, le dernier des Trotta s'enferme dans son isolement, démissionne de l'armée la veille de la guerre et est démobilise le lendemain. Il meurt bêtement,son environnement et ses amis finissent mal et son père meurt de chagrin en même temps que l'empereur.
Une image de nos années à venir !
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Crépusculaire... Une chronique des dernières décennies de l'empire austro-hongrois, utopie qui a voulu rassembler, sous l'étendard de la foi chrétienne et les vertus conjuguées d'une l'administration rationnelle et du progrès technique, la mosaïque des peuples d'Europe centrale, dont les nationalismes conjugués ont conduit, via la grande guerre, à son éclatement. Ce très beau roman, teinté de nostalgie, décrit bien l'inéluctabilité du processus, au travers des destins individuels de trois générations d'une même famille. La scène de bal dans un château perdu aux confins de l'empire, sous l'orage qui éclate au moment de l'annonce de l'attentat de Sarajevo, est un grand moment d'écriture.
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Un chef d'oeuvre, mais sans génie. Il manque un petit quelque chose à l'oeuvre de Roth, comme il a manqué un petit quelque chose à l'Empire.
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J'aime beaucoup la littérature de langue allemande. Et ce livre est véritablement un monument et un classique du genre. A ne pas rater pour les amateurs.
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Zweig portait ce roman et son auteur aux nues (il confiait à Roth ses manuscrits pour qu'il les relise et Roth ne le ménageait pas). le livre traite d'ailleurs du même sujet que "Le Monde d'hier. Souvenirs d'un Européen", du même Zweig.
Pour ma part, je me suis souvent ennuyé durant la lecture du livre: trop de descriptions inutiles et trop longues, et la psychologie des personnages, plutôt inintéressants, m'a paru anecdotique (par exemple: quel intérêt, la vie sentimentale du petit-fils du "héro de Solferino" ou sa vie de caserne?). Et les personnages secondaires apparaissent superflus: que disent-ils, que révèlent-ils? Quant à la façon de traiter les liens entre les personnages principaux et la grande Histoire, je l'ai trouvée agaçante à force d'insistances sur les mêmes thèmes et de redites: le (trop) fameux portrait du "héro de Solferino", qui revient toutes les dix pages; l'admiration et le respect pour le fils et le petit-fils du "héro" qui reviennent toutes les cinq pages...
Si le livre m'a ennuyé et laissé indifférent quant au destin des personnages et de leur monde, c'est avant tout parce qu'il raconte un monde ennuyeux avec des personnalités ennuyeuses et de façon ennuyeuse.
J'ai bon espoir que ma lecture suivante, elle, sur le même thème - Les Somnambules, de Hermann Broch - ne me décevra pas.
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