L'été dernier j'ai visité à Genève la maison natale de
Jean-Jacques Rousseau, une visite d'autant plus émouvante pour moi que j'affectionne particulièrement
Jean-Jacques depuis quelques années déjà, après que j'ai eu un coup de coeur immense pour Les
rêveries du promeneur solitaire, qui fut l'une des lectures les plus marquantes de ma vie. J'ai depuis lu plusieurs écrits qui parlent de Rousseau, — et qui m'ont fait le connaître et l'aimer davantage — mais je ne l'avais plus relu, lui, dans le texte. Alors avant de quitter sa maison natale (transformée en musée) j'ai voulu repartir avec un petit souvenir, j'ai donc choisi ce tout petit livre.
Il s'agit d'un ensemble de six lettres que Rousseau a adressées à une certaine madame Houdetot. En recherchant un peu j'ai découvert que c'est une femme que
Jean-Jacques a rencontré à Eaubonne en 1757 et dont il s'est épris — passion semble t-il non réciproque, et j'ai également appris qu'il parle longuement d'elle dans le livre IX de ses Confessions (mais que je n'y suis pas encore).
Bref tout ceci n'a guère d'importance car Rousseau aurait pu écrire à n'importe qui ça ne change rien à la lecture ni à la compréhension du texte. Bien que la première lettre commence par une longue éloge de sa bien aimée, il explique en même temps la raison d'être de ces lettres : à savoir répondre à sa propre demande de lui écrire des “règles de morales” ou “règles d'usages”.
Jean-Jacques précise dans cette introduction qu'il n'a pas tant l'intention d'édicter des règles que de lui livrer une véritable profession de foi, de confier tous les principes auxquels il croit et qui pourront aider la jeune femme dans la vie. C'est donc ce qu'il va faire dans les cinq lettres suivantes. Des lettres d'une richesse inouïe.
Il va y délivrer toute sa pensée, sa vision des choses et de la vie. Un mélange de morale et de philosophie. Il commence par la recherche du bonheur, but de toute existence, qui selon lui passe par la connaissance de soi, l'introspection, le questionnement sur soi et le monde qui nous entoure. Puis il élargit sa réflexion vers l'homme en général, nos capacités, nos sens — qu'il considère comme trompeur —, notre rapport aux animaux pétri d'orgueil et de supériorité. Il évoque la philosophie en tant que discipline et l'imposture qu'elle cache, tout comme l'excès de savoirs qui conduit vers une fausse supériorité.
Que sommes-nous et que savons-nous ? Voilà comment on pourrait résumer ces lettres (si tant est qu'on veuille résumer un écrit si riche).
Jean-Jacques prône l'humilité en toute chose ainsi que la conscience. Il termine en donnant quelques conseils concrets pour aider à se retrouver soi, notamment grâce à la nature et à la campagne.
Bref, ne vous fiez pas à ma piètre critique, Rousseau exprime sa pensée bien mieux que je ne saurai jamais le faire et évoque bien plus de concept que ce que j'ai cité. Mais tout cela se rejoint pour, in fine, parler tout simplement de la vie.
C'est écrit de façon extrêmement claire, concise et à la fois poétique. Etant donné que ce sont des lettres et non un ouvrage académique, c'est très aisée à comprendre, c'est simple et fluide. Il va directement à l'essentiel. Et outre leur richesse intrinsèque, ce qui est formidable avec ces lettres c'est qu'on y décèle les grandes lignes de la pensée philosophique de Rousseau, comme une sorte de condensé ou abrégé de tous ces autres écrits. Ces lettres peuvent donc être une porte d'entrée vers les thèses générales de Rousseau.
Ou tout simplement rester des conseils de vie.
Et plus que cela ce qu'on décèle également c'est la personnalité de Rousseau ; désabusé, mélancolique, mais jamais désespéré, lucide et généreux. Encore une fois il m'a profondément touché. Non seulement par sa pensée mais aussi par l'homme derrière la pensée.
Ces lettres sont à la fois belles, riches, émouvantes et instructives. Elles auraient pu s'adresser à vous ou à moi et c'est en ça qu'elles sont si riches ; c'est un texte qui élève en même temps qu'il met les pieds sur terre, chacun peut y puiser le nécessaire à son coeur ou à son esprit. Pour ma part je les garderai longtemps près de moi, comme les Rêveries.
Merci
Jean-Jacques.