1871 la Commune de
Paris … une époque extrêmement troublée que j'avoue avoir totalement négligée … soit parce qu'abordée en coup de vent dans mon parcours scolaire, soit par désintérêt … Erreur de ma part … Cette BD à 2 mains, sur un scénario de
Roland Michon et des dessins de
Laëtitia Rouxel, m'a réconciliée avec cette période de notre histoire voire même a attisé ma curiosité …
«
Des Graines sous la Neige » s'appuie sur la vie de Nathalie Lemel pour nous plonger dans le bouillonnement des idées révolutionnaires de cette décennie, comment et pourquoi cette explosion, quel en a été le déclencheur, quelles idées y étaient associées ?
La vie de Nathalie Lemel est très peu documentée, c'est pourquoi il s'agit ici d'une représentation « imaginée et imagée » de sa vie mais qui s'appuie sur de rares témoignages. Cette femme est née en 1826 à Brest où enfant elle était déjà curieuse de toute lecture … Brest une ville où elle assiste à des rassemblements de protestation ouvrière … mais aussi à la déportation d'insurgés … Elle se marie et part vivre à Quimper, où elle commence à participer à des réunions politiques où se partagent les prémices des nouvelles idées de république démocratique et sociale …
La faillite de la petite entreprise de la famille les entraine à la recherche de travail à
Paris en 1861 (comme nombre de bretons) …. Ce seront des années de misère, de froid et de faim, comme pour de nombreux français à l'époque … le monde de la débrouille aussi, un monde « à la
Zola » … Mais Nathalie continue sa recherche d'un idéal social : elle fréquente les cercles de l'époque qui revendiquent des améliorations des conditions des travailleurs : fin du travail de nuit, diminution du temps de travail, amélioration des conditions sociales mais surtout pour Nathalie une égalité entre les hommes et les femmes face au travail, notamment pour le salaire … Féministe avant l'heure Nathalie, d'un féminisme économique et social qu'elle revendiquera toujours … Ce sont aussi les premières grèves, les premières avancées dans les droits des travailleurs, suivies malheureusement des premiers reculs …. Et aussi le divorce …
Nathalie Lemel devient proche des militants de l'International des Travailleurs et participe au cours des années 1866-1868 à la création de la Caisse fédérative de prévoyance des cinq centimes » (qui aide les grévistes) mais surtout à la Société Civile d'Alimentation dite « la Ménagère » (accès à des produits à des prix raisonnables à l'encontre de la spéculation alimentaire de l'époque) et à l'ouverture des premières « Marmites » (sorte de soupe populaire … ) … Nathalie Lemel c'était les « Restos du Coeur » du XIXe siècle !!! un idéal social et une force d'agir ….
En 1870 c'est la guerre avec la Prusse dont les forces sont aux portes de
Paris en septembre, la France capitule en janvier 1871 et le gouvernement s'installe à Versailles. En mars débute l'insurrection de
Paris, la Commune est proclamée le 18 mars 1871. Nathalie Lemel participe à la création de l'Union des Femmes, une des plus grandes organisations de la Commune. Elles revendiquent des droits aux femmes mais pas seulement, des revendications qui sont la normalité de nos jours : création de crèches, égalité du salaire homme-femme, école laïque gratuite et obligatoire, fin du travail de nuit, suppression des maisons closes (
Paris en comptait un nombre important dû à la pauvreté de l'époque) … elles sont convaincues que la Commune porte les germes de la Révolution Sociale … mais elles s'engagent aussi à aller défendre ces idées sur les barricades aux côtés des hommes !
Fin mai 1871, les troupes régulières reprennent les barricades … Nathalie Lemel conformément à son engagement en défendait une avec d'autres femmes …. Elle est arrêtée …. Les idéaux des communards sont condamnés, notamment les avancées réclamées par les femmes … En septembre 1872 elle comparait devant un Conseil de Guerre et est condamnée à la déportation à perpétuité … Elle est ainsi envoyée en Nouvelle-Calédonie en 1873, condamnation qu'elle partage avec
Louise Michel. Elle bénéficie d'une grâce partielle en 1879 et peut rentrer en France.
En 1914 elle apparait avec d'autres anciens communards dans un film tourné par la coopérative le Cinéma du Peuple ayant pour sujet la Commune. Atteinte de cécité et très pauvre, elle entre à l'hospice en 1915 … où elle côtoiera des soldats gazés …. Elle décède en 1921 et est inhumée dans une fosse commune …
Ce livre réhabilite une partie des communards, je ne m'avancerai pas à tous les réhabiliter …. Mais en nous montrant le foisonnement des idées, les aspirations de ces cercles politiques et sociaux … on ne peut que penser aux fondements de notre actuelle République … le titre de cet ouvrage est donc doublement évocateur : «
Des Graines sous la Neige » …. Des idéaux de ces froids hivers de la fin du XIXe siècle ont germé les bases de notre démocratie et de notre république ….
La grande qualité de cette oeuvre est donc sa richesse historique et politique. On suit l'évolution des idées de cette fin de siècle je viens d'en parler … mais aussi une évolution architecturale de la ville de
Paris (avec les travaux d'Haussmann …) dont on arpente les rues et les quartiers, des moeurs de l'époque (le petit monde de
Zola aurais-je tendance à l'appeler), des conditions de vie des classes ouvrières, et on entraperçoit certains cercles intellectuels et artistiques …
Un petit mot sur la forme : le récit se passe sur 2 niveaux … un premier correspond à une sorte de dialogue en 1914 entre le réalisateur du film sur la Commune et Nathalie Lemel, qui permet de marquer différentes étapes dans la vie de celle-ci, le tout laissé brut dans un dessin noir et blanc (une pause plus légère par rapport au reste) … le second correspond à la représentation des différentes grandes périodes de cette vie, avec des couleurs assez sombres pour l'ensemble et des visages très durs auxquels personnellement j'ai eu du mal à m'habituer …. Peut-être est-ce justement nécessaire pour se concentrer sur le contenu qui est assez dense …
Bref Merci à Masse Critique de Babelio et aux
Editions Locus Solus pour une découverte très intéressante d'un personnage qui m'était inconnu et d'une période de l'histoire qui mériterait qu'on s'y intéresse beaucoup plus.