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4,07

sur 228 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Voilà un livre qui me restera en mémoire. Il est tiré d'un fait divers survenu en 2017 en Saône-et-Loire. Certains se souviennent peut-être de Jérôme Laronze, agriculteur-éleveur de vaches de la race Limousine. Hormis les faits marquants, l'auteure précise que les personnages secondaires et la famille sont fictifs, de même que toutes les pensées qu'elle a attribuées à Jérôme Laronze, nommé dans le roman Jacques Bonhomme.

Jacques Bonhomme a repris la ferme familiale et ses bêtes, il les aime. de grandes prairies s'offrent à elles et puisqu'elles sont destinées à nous nourrir, autant leur donner la meilleure vie qui soit. Il n'a pas d'horaires, ce sont les bêtes et les saisons qui rythment ses jours.
Lorsque les premières réglementations sont apparues, il n'a pas hésité à les suivre comme tous les autres, pensant qu'il allait gagner du temps avec toutes ces paperasseries exigées. Mais très vite, son élan fut freiné devant l'absurdité des mesures, la lourdeur administrative et les conséquences déplorables sur les animaux, la terre et les hommes. A-t-il été conscient que l'insémination artificielle deviendrait la règle ? Que l'injection de vaccins et d'antibiotiques modifierait la corpulence des bêtes ? Que les expériences faites sur les animaux engendreraient une métamorphose physique ou de nouvelles maladies ? Qu'il y aurait eu pression pour limiter les animaux en prairie naturelle et leur préférer les entrepôts dont ils ne sortent jamais ? Jacques Bonhomme a voulu faire marche arrière mais l'administration (la DDPP), soutenue par les gendarmes, ne l'a pas entendu de cette oreille. Et quand vous êtes dans leur collimateur…
L'animal souffre. Mais l'homme aussi. A cette époque en France, un paysan se suicide chaque jour. le petit paysan ou l'éleveur doit disparaître pour devenir un véritable exploitant agricole en passant par l'élevage intensif et la spécialisation de cultures. de plus, il n'est plus propriétaire de rien si ce n'est des dettes accumulées puisqu'il faut investir sans relâche. le paysan, dans le sens de l'éleveur ou de l'agriculteur a été pris à son propre jeu… le métier fait de connaissances transmises de génération en génération : balayé ! au profit des sociétés agroalimentaires qui remplacent la nourriture que la terre fournie. Et de nouvelles maladies apparaissent en même temps que la terre s'appauvrit à force d'être travaillée à coût de pesticides et d'engrais chimiques. Un cercle vicieux dont il est quasi impossible de stopper.

Le destin de cet agriculteur âgé de 36 ans est très bien rendu, l'auteure ayant bénéficié de témoignages de la famille et ayant fait pas mal de recherches sur ce fait divers qui, à l'époque, a fait grand bruit. La plume y est fine, belle, les descriptions de la nature y sont bucoliques. Ce roman qui a reçu de nombreux prix se lit quasi d'un traite car il y est question d'une cavale et que l'on veut en connaître la finalité, même si on la pressent.

Un livre fort, procurant beaucoup d'émotions, à découvrir.
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J'attendais impatiemment le nouveau roman de Corinne Royer. J'avais découvert cette auteure avec son roman Ce qui nous revient qui m'avait fascinée totalement.

Aujourd'hui c'est sur un tout autre thème que l'auteure s'aventure en nous embarquant dans une histoire terrible et profondément humaine.

Oui il est bouleversant ce tout dernier roman de Corinne Royer.

C'est à mon sens un magnifique plaidoyer pour le monde paysan, les petits paysans...ceux qui considèrent la terre comme nourricière et la respecte dans sa plus profonde intimité.
Un roman qui nous touche tous, âmes sensibles que nous devons être afin de protéger ce qui nous est vital !

Corinne Royer a osé dire, prêtant sa plume pour dénoncer et rendre hommage à ces Hommes de la terre...dans un ton juste et poétique.

A nous désormais d'agir, de ne pas rester des lecteurs passifs mais bien acteurs dans nos modes de consommation.

Un tout grand merci à Corinne Royer et aux éditions Actes-Sud.
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Il est de ces romans qui vous arrachent le coeur, et le destin de Jacques Bonhomme, paysan en fait partie.
C'est une plongée en apnée dans le monde paysan pour essayer de comprendre(si c'est possible)toutes les vilenies dont est capable l'Administration dès qu'il s'agit de défendre ses normes avec oeillères.
Jacques Bonhomme le bien nommé , dépassé par tout cela, part en cavale 9 jours , 9 nuits de communion avec la nature, de souvenirs, de pages d'une grande beauté, et une fin si malheureuse.
Entre chaque jour, une voix différente qui raconte des vies de labeur bafouées, le cynisme des règles édictées, le bien-être animal oublié, les cordes...
De l'aide aussi parfois, mais le joug si puissant de l'industrie agricole qui pèse sur tous.
Ce roman si émouvant veut réveiller les consciences et prend forme à partir de l'assassinat par des gendarmes de Jérôme Laronze en 2017; un roman magistral.
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Six tirs, six balles, six coups en légitime défense qui ont perforé son dos et son flanc, ni de près, ni de face. Jacques Bonhomme est resté dans sa voiture agonisant sous l'assaut, ravalant le sang et soufflant le peu d'air qu'il avait. Eux sont restés sans rien faire, prévenant sans doute les responsables oubliant les secours, les pontes, les administratifs, ceux qui ne sont pas « la terre », ni le soleil, ni le vent. Ceux qui ignorent les saisons et les bêtes au fourrage, ceux qui trient la paperasse et guettent, guettent et guettent encore et encore dans le respect des textes et des lois, les déclarations et le sacro-saint tracing auquel il faut se plier : sept jours ! Qu'a-t-il donc fichu le Jacques Bonhomme à n'avoir pas respecté la procédure ? Quarante-cinq veaux « étiquetés » sans être déclarés dans les sept jours ?
Un contrôle. La peine. Et la suite : d'autres contrôles, des injonctions, un engrenage tirant une à une les ficelles de sa perte. Jacques Bonhomme perd la foi. La terre, les bêtes et son savoir se délitent dans les papiers, les amendes et ces gens qui viennent armés de certitudes et de ces mots qui tuent à petit feu. Il fuit.
Quelle surprise de ne pas voir ce roman de la rentrée littéraire de 2021 dans les sélections des prestigieux prix littéraires ? Comment a-t-on pu ainsi l'ignorer ? Est-ce parce qu'il parle des petites gens – gens de la terre, de la bouse, du fumier et de la sueur ? Est-ce parce qu'il parle de la détresse de ceux qui luttent pour maintenir une vie saine face aux diktats de la productivité ? Est-ce parce qu'il aborde un fait réel romancé, mais si vrai - celui de Jérôme Laronze qui a perdu la vie en 2017, à trente-six ans, après avoir été broyé par l'administration ?
Texte indispensable, émouvant, vrai, merveilleusement bien écrit, ce roman mérite mille prix. Il est celui d'une réalité à connaitre pour ne plus dire que l'on ne savait pas ce que ces hommes et ces femmes du monde agricole endurent.
J'ai achevé ma lecture chamboulée et le suis encore. Ce roman est mon plus gros coup de coeur de cette rentrée littéraire parce qu'il est fort, intense et vrai (je sais, je me répète). Comment vous dire à quel point il me semble fondamental de lire de tels écrits ? Il est celui qu'il faut lire !
Une lecture sublime d'une rare force.

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"...il ne pouvait plus la regarder en face cette réalité, le monde paysan qu'on enterrait vivant..."

2017, en Saône et Loire, l'histoire d'une cavale. Celle d'un jeune agriculteur, Jacques Bonhomme, poursuivi par les gendarmes suite à des "irrégularités administratives".
Nous suivons son parcours, sa cavale pendant 9 jours, et en parallèle des personnes de son entourage donnent leur point de vue.
Corinne Royer nous plonge dans le quotidien du monde paysan de nos jours, la déshumanisation du métier d'agriculteur.
Ce livre nous interroge sur nos valeurs, sur l'évolution de nos sociétés, sur toutes ces tragédies qui se jouent en silence dans nos campagnes.
Bouleversante de réalisme, l'écriture de Corinne Royer parle parfaitement de la mise à mort du monde paysan, de ces victimes de la machine administrative et des lobbies.
L'auteure s'est inspirée de l'histoire de Jérome Laronze, abattu par des gendarmes à l'âge de 36 ans en 2017, après 3 années d'acharnement administratif et neuf jours de cavale.
Ce livre est absolument poignant, bouleversant et surtout plein d'humanité.
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« Ils l'ont tué trois fois, Jacques. Ils ont tué le paysan. Ils ont tué l'homme. Et ils ont laissé agoniser le blessé. Mais le rire d'un colosse ne meurt pas…»
A l'instar d'Ivan Jablonka, franchissant dans son oeuvre la barrière des genres, sociologues et historiens s'accordent à reconnaître aujourd'hui que le roman offre souvent une meilleure intelligence des faits sociaux que beaucoup de leurs essais, à cause de sa capacité à révéler les résonnances intimes des événements et à toucher ainsi davantage le lecteur par cette dimension psychologique. S'il est un texte, dans cette rentrée littéraire, qui répond parfaitement à cette analyse, c'est bien ce nouveau roman de Corinne Royer, qui séduit autant par ses qualités littéraires qu'il interpelle efficacement nos esprits, en dénonçant avec lucidité le désespoir paysan dans nos campagnes et notre façon de maltraiter la nature.
Inspiré par un fait-divers tragique, la mort de Jérôme Laronze, un agriculteur de Saône-et-Loire, en 2017, sous les balles d'un gendarme, le récit remonte aux origines de ce drame et décrit l'absurde et terrible engrenage qui l'a produit. A la suite d'un contrôle sanitaire, Jacques Bonhomme – tout un symbole, ce nom donné par Corinne Royer à son personnage, surnom historiquement attribué au meneur des révoltes paysannes de 1358, devenu rapidement une sorte de patronyme collectif pour désigner l'ensemble des rebelles de la Grande Jacquerie – se voit interdire tout commerce de ses bêtes, sauf à accomplir des tests génétiques coûteux sur ses veaux. Incapable de financer ces derniers, il n'a plus de rentrées d'argent et finit par avoir beaucoup de mal à entretenir son troupeau. Un second contrôle vient sanctionner cette « mauvaise gestion du cheptel », ne faisant qu'accroître la détresse économique et psychologique de Jacques. Et puis, lorsque les inspecteurs des services sanitaires reviennent une troisième fois, accompagnés de quelques gendarmes, un incident l'entraîne dans une crise de désespoir, un comportement jugé menaçant par les autorités présentes, et suscite sa fuite, au volant de sa voiture, dans la forêt…
le roman raconte, en autant de chapitres, les neuf jours de cavale solitaire de Jacques, neuf épisodes ponctués aussi par les confessions de plusieurs de ses proches- la mère d'un ami handicapé, un vieux paysan qu'il a soutenu dans ses combats, une soeur- ou d'un des inspecteurs, plein de compréhension et de compassion à son égard, regrettant d'avoir été du mauvais côté. Au fil des pages se dresse le portrait d'un grand vivant, un homme proche de sa terre et de ses bêtes, un paysan comme tant d'autres, victime d'un système où les normes, l'endettement, les contraintes sans mesure de la productivité, font oublier l'essentiel, le respect de la nature et de la vie. Un homme de coeur, aussi, toujours dans le souci de l'amitié pour son copain handicapé ou le vieux Baptiste, toujours hanté par un ancien amour, la fille aux cheveux rouges, et un homme d'esprit, à la ferme regorgeant de livres, un homme capable de réfléchir sur sa situation et le monde qui l'entoure.
Sans que jamais, pourtant, ce propos politique ne pèse, Jacques devient ainsi la proie exemplaire d'un monstre économique, cette version capitaliste et déshumanisée de l'agriculture, imposant ses normes et ses cadences insensées tout en polluant les sols, broyant tous ceux qui n'avaient comme seuls soucis que l'amour de la terre et des bêtes et le goût du travail bien fait. Et l'on entend, derrière la fable, l'appel vibrant à un retour à plus de lenteur, plus d'humanité, à retrouver l'harmonie perdue entre l'homme et la nature. Ce discours prend d'autant plus de puissance qu'il est nourri de poésie… Corinne Royer sait faire parler les coeurs autant que les paysages, retrouvant, par exemple, les accents d'un Giono (dont un livre se promène à différents endroits du roman, dont la pensée inspire également les mots de Jacques dans sa lettre-testament) pour évoquer le rire de « grand vent » de son personnage, la courbe libre d'une branche au-dessus d'une tombe, ou le petit galop d'un cheval blanc, beau et vivant comme certaines de ses phrases…
« Il aurait suffi de si peu.
Il aurait suffi, le temps d'un partage que je n'ai pas su accorder, d'accepter la tasse de café offerte par un paysan. », se désole, après coup, Pierre D., l'inspecteur navré d'avoir si étroitement accompli son devoir. Et si nous acceptions, nous, cette tasse de café, si nous entendions, nous, l'urgence de cet appel de Jacques, porté par la force magnifique des mots de Corinne Royer ?
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"Pleine terre" est un énorme coup de coeur .
D'abord, ce livre est arrivé jusqu'à ma PAL, parce qu'il avait été précédé de quelques mois dans mes lectures par "Silence dans les champs" de Nicolas Legendre; ensuite mes origines rurales et mes affinités au monde paysan, à ce qu'il a été, mon enfance, et à ce qu'il devient.Mon sens de la liberté, héritage paternel, a favorisé mon attachement à Jacques Bonhomme.
Les monocultures imposées et intensives ont usé la terre et les agriculteurs.
Dés que le paysan sort de l'ornière "productiviste", qu'il enfreint l'ordre établi par les technocrates de Bruxelles, il est mis hors-la-loi et subit contrôles et vexations. Récemment chez un ami agriculteur qui "s'est mis au bio" et dont la cour de ferme était pleine de volaille en liberté,
j'ai été témoin de l'arrivée d'une inspectrice venue contrôler des semences qui n'avaient pas germer dans deux parcelles, refuser le café proposé au motif que cela s'apparentait à de la corruption de fonctionnaire.....
Plus de 50 ans sont passés et cette agriculture prônée par les coopératives locales elles-mêmes ramifications financières de l'agro-industrie mondiale a généré des endettements, des dépressions voire des suicides et aussi des épidémies .
A tous ceux qui pensent que la terre peut encore faire vivre dignement et nous donner à manger sainement je conseille "Pleine terre".
A tous ceux qui pensent que la révolte peut porter ces fruits, je conseille cette lecture.
D'ores et déjà, j'ai mis un second roman de Corinne Royer dans ma PAL tellement j'ai apprécié son style.
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"Pourquoi s'était-il mué en une bête traquée, contrainte à se réfugier dans les bois ? Et avant ça, pourquoi était-il devenu un paysan acculé, condamné à se voir soustraire son troupeau ?" (P. 21)
Aujourd'hui, s'ouvre à Paris, le Salon de l'agriculture...Il y a 2 jours, je refermais ce livre trouvé pas hasard dans la pile de livres à remettre en rayon dans la Médiathèque.
Hasard de la vie !
Jacques Bonhomme en a marre, marre des contrôles à répétition, marre de la vie, il en a assez de ces contraintes administratives d'enregistrement dans des délais imposés, aujourd'hui c'était un contrôle de vérification de la conformité du troupeau avec les déclarations de naissance.Oui, certaines déclarations ont été faites avec retard, après le délai imposé de 7 jours. Prouver.... prouver, seul mot à la bouche des contrôleur.....Comment prouver la filiation génétique d'un veau quand on n'a pas les moyens financiers de payer ces tests génétiques ?
Négligeance ? non pas du tout, il est seul pour s'occuper de la ferme, son épouse l'a quitté, lassée. "Chaque déferlante de contrôles administratifs lui était apparue plus injuste, plus incompréhensible que la précédente." (P. 64)
Il a quitté sa ferme ce matin, en se cachant et roule dans vieille Volvo d'occasion. Combien comme lui ont baissé les bras, lassés de ces contrôles, lassés des prix bas qu'on leur propose pour leurs bêtes, comme pour leurs céréales. Il ne faut plus s'étonner de ces panneaux "à vendre" placardés sur des batiments en manque d'entretien. Il ne faut pas s'étonner de ces statistiques qui mentionnent qu'un agriculteur se suicide chaque jour de l'année...ultime utilisation du fusil qui chassait les nuisibles ou de la corde pour hisser les bottes de paille.
Qui allait s'occuper de la ferme et des animaux ? un jour, deux jours...il roule, se cache, se lave nu dans un étang..en fuite il devient quelqu'un de dangereux !
Neuf jours!
Son travail devenait de plus en plus administratif .... tenir des papiers, prouver la traçabilité, la vérité, l'origine.... prouver... prouver...à des contrôleurs sans âme...Et pendant ce temps qui s'occupe de la ferme ? des animaux ?
Il a pris son fusil avec lui. Les contrôleurs ont, quant à eux d'autres armes : lui retirer son troupeau, le déposséder. D'autres que lui ont vu partir leurs bêtes...les gendarmes quant à eux ont d'autres armes....face aux personnes qualifiées de dangereuses
Oui, un vrai coup de coeur qui m'a beaucoup remué, et qui me trouble encore..
Et si on parlait chiffres...Aujourd'hui s'ouvre à Paris le Salon international de l'Agriculture à Paris, un salon vitrine d'une force de notre pays : son agriculture....une force qui faisait entrer des devises..ce n'est plus le cas.
Un rapport d'information fait au nom de la Commission des Affaires économiques du Sénat en mai 2019, faisait part
d'évolutions alarmantes de notre agriculture : la production française stagne en volume alors que celle de ses concurrents augmente et l'excédent commercial agricole risque de disparaître si la tendance actuelle se poursuit
....un déficit commercial agricole prévu pour 2023. (Source : https://www.senat.fr/rap/r18-528/r18-528_mono.html)
Derrière ces chiffres, il a des hommes et des femmes, des couples, des vies animés par l'amour...un amour qui va trop souvent jusqu'à la mort...et un roman pour nous alerter.
Un texte documenté inspiré de drames réels

Merci

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Le voilà. Mon premier coup de massue de cette rentrée littéraire qui semble bruisser de talent, mon premier roman de cette auteure que je découvre. Je l'ai pris en pleine tête, en plein ventre, en plein coeur, et c'est lui qui m'a cueillie : le magnifique Pleine terre, de Corinne Royer.
Je l'ai su dès les premières pages que ça allait faire mal, que le sillon que ce roman-là, que ces mots-là, allaient creuser au fond de mes tripes serait profond, durable, tenace et douloureux. Je l'ai su parce que, dès les premières lignes, derrière ce titre de chapitre qui ne laissait aucun doute—Cavale Jour 1--, j'ai senti monter l'odeur de la terre, de la forêt et du brouillard. L'odeur du malheur aussi. "Rien n'arrêtera le cours de la vieille qui moissonne le bois mort de ses doigts gourds, ni rien ni personne, car Bonhomme va mourir de mort naturelle…"Sitôt connu le nom de son personnage principal, Jacques Bonhomme, choisi comme un symbole, choisi en toute conscience pour mieux contenir le souvenir de tant d'autres, ce sont les paroles de cette vieille chanson de Georges Brassens qui se sont imposées à moi, accompagnant ma lecture. Sauf que la « mort naturelle » semble ne plus avoir cours dans ces campagnes où même la vie ne l'est plus, où des logiques venues d'en haut font d'un Bonhomme un Bas-homme et mettent les bêtes plus bas que terre. Comme la terre épaisse, lourde, riche, la terre aimée et nourricière, la terre tombe et berceau que des normes aveugles et sourdes le condamnent à fuir, j'ai collé aux semelles de Jacques, de page en page, de cache en cache, m'attachant aux pas de ce colosse aux pieds d'argile, de ce géant au coeur fragile. le mien s'est alourdi du poids de ses souvenirs, égrenés entre les lignes par les voix des témoins, des proches, tuteurs devenus inutiles, petits cailloux d'un chemin qui s'est égaré.
Pleine terre est un roman de pleine tempête, de pleine déroute, l'histoire d'un homme qui, comme tant d'autres, s'est vu arraché à la sienne par une lourde machine à l'avancée inexorable, broyant, sans états d'âme, une mémoire aux parfums d'humus, de fumier et de respect sur son funeste passage. Sous les mots précis et justes de Corinne Royer, sous son phrasé d'une élégance à se pâmer, j'ai vu sourdre la force d'une colère, d'une douleur, dont la puissance n'a d'égale que la retenue. Ses phrases sont des poings serrés, entre rage et pudeur, de ces poings que l'on serre au fond de ses poches pour ne pas les abattre, pour que la violence apparaisse au bon endroit, que l'on sache où, réellement, elle prend racine.
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COUP DE COeUR

Ce roman est inspiré de l'histoire de Jérôme Laronze, un agriculteur de Saône-et- Loire abattu par des gendarmes en mai 2017 après trois années de harcèlement administratif et neuf jours de cavale.

Jacques Bonhomme, 36 ans, est un éleveur à l'allure de colosse, un vrai bourreau de travail. Il a repris l'exploitation de la ferme des Combettes qui est dans sa famille depuis cinq générations et vit seul au milieu de son bétail et de ses livres. " Aux Combettes, il y en avait partout, des livres, on en trouvait même dans l'étable. Toutes ces pages avec des mots qui sautillaient dedans, c'était sa façon à lui de faire danser la vie." C'est un homme au caractère mesuré qui ne laisse jamais intimider, qui reste toujours calme. Il a choisi les mots pour se battre. "Il détenait les mots, il n'avait pas besoin des poings."

Un jour, il s'enfuit dans les bois, poursuivi par les gendarmes, des barrages sont installés sur les routes. Commence alors une cavale qui va durer neuf jours. Comment Jacques est-il devenu un paysan acculé, condamné à assister à la saisie de son cheptel de vaches ? A-t-il perdu la raison comme le pensent les contrôleurs et les gendarmes ?

A la suite de contrôles administratifs qui lui paraissent aussi injustes qu'incompréhensibles, Jacques s'est retrouvé dans le collimateur de la direction départementale de la Protection des populations, le fait qu'il soit porte-parole de la Confédération paysanne au sein de laquelle il défend fermement ses convictions est peut-être à l'origine de ce qu'il ressent comme un véritable acharnement.

Un retard dans l'envoi des déclarations de naissance de certaines de ses bêtes alors que la traçabilité prime sur tout le reste, une demande de l'administration de tests génétiques pour prouver la filiation de ses veaux, des tests qu'il ne peut pas financer... Et on arrive à la confiscation des papiers du troupeau, Jacques ne peut plus vendre ses bêtes qu'il peine à nourrir faute de rentrées financières. Un engrenage fatal...

A travers les voix de Jacques mais aussi de ses voisins paysans, de sa soeur et d'un contrôleur Corinne Royer nous raconte ce qui a conduit cet homme à cet acte désespéré, elle nous projette dans la tête d'un éleveur en cavale devenu une bête traquée après avoir subi d'incessantes humiliations. Elle restitue magnifiquement son amour de la terre et de ses bêtes qui sont toute sa vie, les passages sur la petite Sioux sont très émouvants.

Elle dépeint un monde paysan où trop d'agriculteurs finissent au bout d'une corde, "Un paysan emporté chaque jour de l'année", elle décrit un système où ils ne trouvent plus leur place face à l'autoritarisme d'une administration qui édicte des règles qui évoluent sans cesse aboutissant à des aberrations bureaucratiques qui asservissent et humilient. "Tracer, répertorier, renseigner, investir, produire davantage. Des actes sans rapport avec sa condition de paysan." Jacques s'est retrouvé face à cette administration qui pousse les paysans à une production industrialisée, lui qui ne sait rien faire d'autre que "soigner les bêtes et ensemencer les terres dans le respect des cycles et des saisons."

Un thème fort et important, une histoire dramatique et révoltante magnifiquement romancée, un personnage principal très émouvant que je ne suis pas près d'oublier, des personnages secondaires très forts, le vieux Baptiste, Marie-Ange et son incapacité à regarder son fils, les copains Paulo et Arnaud, Jade sans oublier le dindon Joe et la petite Constance... Une écriture de toute beauté, un ton juste, sensible et humain.

Au delà de ce drame intime Corinne Royer signe un roman engagé, véritable plaidoyer pour un monde plus respectueux de la terre et pour une vie plus ralentie au rythme de la nature, un cri d'alerte pour sauver ce qui reste du monde paysan et de notre planète.

Un roman magistral que j'ai lu d'une traite le coeur serré, un roman qui m'a fait ressentir de nombreuses émotions et m'a laissé une forte empreinte.
Lien : https://leslivresdejoelle.bl..
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