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sur 228 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
PLEINE TERRE de Corinne Royer

Un roman qui s'inspire d'un fait tristement vécu (l'affaire Jérôme Laronze) et qui met en lumière la détresse des agriculteurs. C'est bien écrit. Corinne Royer possède une jolie plume. On aurait souhaité un tout autre dénouement ...
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"C'était le jour mais il lui semblait que la nuit ne finirait plus".

La littérature française regorge d'incipit ayant façonné la légende des romans qu'ils introduisaient. Celui de Pleine terre pourrait faire partie de cette catégorie. Dès la première phrase du dernier roman de Corinne Royer, paru aux éditions Actes Sud, j'ai compris que j'avais sous mes yeux un grand roman. La suite du livre a confirmé la justesse de mon intuition.

Pleine terre raconte l'histoire de Jacques Bonhomme, agriculteur, qui décide de se lancer dans une cavale, de fuir ses terres, ses bêtes, à la suite d'un acharnement de l'administration qui lui reproche une mauvaise gestion de son troupeau, pour une histoire de dates de naissance de ses bêtes.

La particularité et la force de ce roman résident dans le fait que l'histoire de Jacques est racontée non seulement à travers sa cavale, mais également par l'entremise de témoignages de son entourage ou de personnages ayant assisté à sa descente aux enfers. Cela donne un rythme extraordinaire au roman. Très économe en dialogues, on ne s'y ennuie jamais, et la flamme qui s'en dégage demeure vivement allumée jusqu'au point final.

"ON EST BIEN DANS L'AIR DES CRÉPUSCULES, ON A L'IMPRESSION DE FAIRE PARTIE DU SOIR"

J'ai choisi cette citation pour illustrer la qualité de l'écriture de Corinne Royer dans ce roman qui rend un très bel hommage à la figure du paysan traditionnel, "symbole d'une agriculture qui se soucie de la terre et des bêtes", matraqué et épuisé par les nouvelles méthodes imposées, les réglementations multiples et abusives, les contrôles excessifs et dénués de bon sens.

L'auteure parvient à décrire avec beaucoup de talent et un style remarquable la détresse du monde paysan, ancien fleuron de la France, qui provoque aujourd'hui le suicide d'un agriculteur par jour. le roman reflète l'angoisse du lendemain, la pénibilité physique et psychique d'un travail qui commence tôt et finit tard, la torture infligée par les nouvelles méthodes technologiques et administratives imposées aux agriculteurs :
"on peut pas dire qu'elle trace bien droit, la traçabilité".
La romancière emploie, pour ce faire, des mots et des phrases d'une sensibilité singulière et d'une puissance extrême :
"Il ne lui restait rien, rien que l'angoisse du lendemain, rien qu'à ne plus oser cracher de peur d'avoir soif".
Édifiant !

Pour rajouter à la dramaturgie du récit de Jacques Bonhomme, la narration de la cavale est interrompue par de courts chapitres qui expriment le ressenti des personnes qui ont connu Jacques, avec un ton propre à chacun (ce qui rend ces passages merveilleux !) : sa soeur, son voisin, son ami, un fonctionnaire de l'administration... C'est un point fort du roman, qui permet d'accentuer, à travers des exemples concrets (comme le suicide tragique d'un ancien ami de Jacques, ou la vie brisée d'un autre ami ayant survécu à une tentative de suicide, et dont le meilleur ami est devenu un dindon, le vieux Joe), le sentiment d'abandon vécu par les paysans actuels :
"Je ne sais pas ce que j'ai répondu. Peut être que je n'ai rien répondu parce qu'il n'y a rien à répondre à une mère qui dit que son fils a vécu moins longtemps que ses vaches".
Comme l'auteure, je trouve la citation suivante de Louis-Ferdinand Céline dans Voyage au bout de la nuit si belle, si édifiante, si transposable au monde paysan, qu'il me semble nécessaire de la retranscrire en entier :
"Le pire, c'est qu'on se demande comment le lendemain on trouvera assez de forces pour continuer à faire ce qu'on a fait la veille. Où on trouvera la force pour ces démarches imbéciles, ces mille projets qui n'aboutissent à rien, ces tentatives pour sortir de l'accablante nécessité, tentatives qui toujours avortent et toutes pour aller se convaincre une fois de plus que le destin est insurmontable, qu'il faut retomber en bas de la muraille chaque soir, sous l'angoisse de ce lendemain toujours plus précaire, toujours plus sordide ? C'est l'âge aussi qui vient peut-être et nous menace du pire. On n'a plus beaucoup de musique en soi pour faire danser la vie".
Cela se passe de commentaires. On est en plein dans le mythe de Sisyphe d'Albert Camus. Mais un homme refuse ce destin, Jacques Bonhomme. de Sisyphe, on passe à L'homme révolté.

"VOUS M'EMMERDEZ AVEC VOTRE SENS DU DEVOIR, LES FOURMIS, HEIN, QU'EST-CE QUE VOUS AVEZ A ME DIRE, LES DONNEUSES DE LEÇONS" !

Jacques Bonhomme (qui était le surnom du chef de file des paysans révoltés au XIVème siècle) refuse le destin tragique de la classe paysanne qui doit choisir entre le déshonneur et la mort. Face à un tel chaos déshumanisant, Jacques choisit une autre réalité, celle de la liberté, et prend la fuite, pourchassé, traqué, devenu ennemi numéro un, parce qu'il n'avait pas déclaré à temps la naissance d'une de ses bêtes. Son choix est celui de la révolte :
"on parlera toujours davantage de celui qui a eu cette audace que de celui qui s'est fondu dans la masse, s'est dissous dans le corps statique du nombre, a préféré l'inertie au mouvement".
Ce qui fonde le choix de Jacques, c'est la volonté de ne pas perdre son honneur, sa dignité. Tout au long du roman, l'auteure fait ressentir cette puissante volonté de demeurer digne, malgré les coups reçus, malgré les humiliations vécues ou ressenties ("Monsieur Bas-homme"). de très nombreux passages parviennent à faire ressentir cet acharnement à ne pas perdre son humanité :
"On pouvait tout lui prendre, son nom, ses bêtes, ses terres, ses livres, y compris le coeur de sa Sioux, mais sa conscience d'homme, jamais il ne consentirait à la brader".
Jacques Bonhomme est décrit comme un homme intelligent, travailleur, volontaire. Il y a par exemple un passage très intéressant dans lequel on comprend qu'il n'était pas hostile à l'usage des nouvelles technologies introduites pour améliorer le quotidien des paysans, mais que leur mise en pratique les a rendues absurdes et stressantes. Il s'est engagé pour le respect de l'agriculture traditionnelle, pour une approche saine de la terre et des bêtes.
"A bien y réfléchir, il n'avait jamais fait usage de sa force que pour donner la vie et pour la rendre".
C'est un être cultivé, qui aime la littérature. Sans cesse entouré de ses livres, il laisse peu de place, à quelques exceptions près, aux relations humaines.

Corinne Royer plonge le lecteur dans les tourments de son personnage principal. Il oscille tout au long de sa cavale entre la révolte et le désespoir. Il se demande si les livres ne l'ont pas perverti en le rendant subtil. Il a parfois des moments d'agonie, durant lesquelles sa fatigue, sa faim, sa soif sont parfaitement décrites :
"il ne sentait plus le sang battre dans ses veines et il n'entendait plus le souffle régulier de sa respiration s'échapper de sa bouche".
Jacques a la "conviction intime d'être devenu un mauvais paysan", du fait de la mort d'une de ses bêtes. C'est ce qui cause son basculement, sa cavale, et son désespoir. Paradoxalement, la fuite du héros est autant une révolte et une ode à la liberté qu'un abandon, une chute, un effondrement. C'est cette dichotomie assumée qui rend le roman merveilleux, parce qu'il est vrai, parce qu'un tel acte radical et chaotique n'est ni uniquement euphorique, ni exclusivement mélancolique.

En guise de conclusion, je vous propose ce passage du Comte de Monte-Cristo de Alexandre Dumas, cité par le roman, qui ponctue de manière sublime tout le bien que j'ai pensé de Pleine terre :
"Celui-là seul qui a éprouvé l'extrême infortune est apte à ressentir l'extrême félicité. Il faut avoir voulu mourir, Maximilien, pour savoir combien il est bon de vivre. Vivez donc et soyez heureux, enfants chéris de mon coeur, et n'oubliez jamais que, jusqu'au jour où Dieu daignera dévoiler l'avenir à l'homme, toute la sagesse humaine sera dans ces deux mots : Attendre et espérer !"
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