LE NŒUD
Au milieu de la nuit
Toutes les nuits vers trois ou quatre heures
Juste avant que mes yeux ne s’ouvrent tout rond et
Que je me sorte de mon lit pour m’amener pisser un coup
J’ai cette vision
Une vision simple
D’un nœud de pendu vide
Gracieusement je monte sur l’échafaud du bourreau
Je passe ma tête
Je sens la corde se serrer doucement autour de mon cou
La suite ne nécessite aucune explication
Mais quand même je ne comprends pas ce que signifie cette vision :
Si c’est ma dépression clinique et chronique
qui ramène sa sale gueule
Ou si elle est censée vous représenter vous, ma femme
et le même qui dort paisiblement dans la chambre d’à côté
Ou alors qu’un jour c’est moi qui vais me retrouver sur la potence
après que j’aie perdu la raison une bonne fois pour toutes et commis
un sanglant carnage
Ou peut-être que ce nœud n’est rien d’autre qu’un (c’est ça, rien d’autre que !)
Un symbole de nos dilemmes existentiels sur terre ici-bas
Et donc je me retrouve allongé là, bloqué
À attendre, le souffle court,
Qu’une explication surgisse des ténèbres
Elle ne vient jamais
Et j’ai perdu tout espoir qu’elle vienne un jour
Et puis je trouve mes jambes
Je bute contre la commode
Et je m’assois sur ce putain de chiotte comme une femme
Et je laisse faire
De retour dans la chambre
Les chiffres iridescents du réveil indiquent qu’il me reste
Deux ou trois heures
Avant que je n’aie à me lever de nouveau
Et passer ma tête
Dans le nœud
D’un autre jour.
Quoi qu’il en fût, c’était bien la vérité – Rick Weston avait été le guitariste soliste de Lance Niles au tout début de sa carrière. Mais ça, évidemment, c’était loin derrière, au moins vingt-cinq ans, et ils n’avaient plus joué une note ensemble depuis. Lance, grâce à son talent, son ambition et sa chance inouïe, était devenu une superstar et avait récolté tout ce qui allait avec. La vie de Rick, en revanche, avait emprunté une tout autre trajectoire : il était passé du groupe originel de Lance à Trenton dans le New Jersey, Saber-toothed Cat, à des groupes nettement moins formidables, jusqu’à ce qu’il finisse par complètement délaisser la guitare en faveur de la pedal steel dans une succession de différents groupes de country music, se marier et avoir des gosses, divorcer et se remarier. Et puis un beau jour, quand enchaîner les tournées des bars à shooters avait fini par se faire trop épuisant, il alla se faire couper les cheveux bien courts, suivit une formation d’agent immobilier, et se retrouva dans la situation improbable de servir de chauffeur – entre deux visites de maisons Tudor ou fédérales – à de jeunes mères au foyer. (« Refrain maudit »)
PIÉGÉ
J’aime à croire que tous les grands artistes
produisent leur meilleur travail quand ils sont pris dans un piège
qu’il s’agisse d’un fauteuil roulant
d’une bouteille
d’une aiguille
ou d’un mariage foireux et quelques gosses pour faire bonne mesure
Tout le monde connaît leur nom
mais juste pour le plaisir en voici quelques-uns :
Dostoïevski (épileptique, joueur compulsif)
Tolstoï (sa femme)
Hitchcock (obèse)
etc… etc.
Mais le truc c’est qu’on est tous pris dans un piège
Qu’il s’agisse d’un boulot pas trop mal qui devient un enfer
ou de la pelouse qui doit être tondue
On est tous dans nos propres petites prisons
Même le barjo qui descend l’autoroute lancé à toute vitesse sur sa Harley est dans sa propre cage.
C’est peut-être mieux quand tu sais dès le départ que tu es piégé
Comme ça il n’y a plus de pression
Tu sais d’avance que tu es fini, et tu ne gâches pas ton temps et ton énergie à essayer de te dégager d’un piège
pour te retrouver dans un autre
Certains appellent ça la résignation
D’autres appellent ça l’illumination
Je préfère la vérité :
Tu as déjà vu une mouche prise entre la fenêtre et les rideaux ?
Demande-lui.
Un rythme se crée en moins de temps qu’il ne le faut pour le dire. Et alors que la chose s’accélère jusqu’à la frénésie, la porte s’ouvre soudain d’un coup sec sous une rafale de vent.
Puis je l’entends au loin : la mer.
Tout juste au point de non-retour, nos explosions coïncident avec le fracas d’une vague. Puis nous nous relâchons, deux bateaux dans la silencieuse écume blanche salée, comme les larmes d’une vieille statue, pour quelque chose, quelqu’un, dont on ne se souvient plus. (« Le fracas d’une vague »)
C’était juste une vision furtive, rien de plus.
Du visage d’un homme, bien droit, suivi de son profil de rapace. Derrière lui, une ardoise marquée d’une longue série de majuscules irrégulières et de chiffres, et le nom d’une prison de comté.
Amy Whitehall faisait la queue à la caisse d’une quincaillerie de Lunenberg en attendant de payer sa boîte de clous quand ces images austères, tirées d’un programme de télé américain, s’affichèrent sur l’écran couleur perché sur le grand meuble derrière le comptoir.
Il y a comme une ressemblance, elle se dit.
Enfin – ça ne pouvait être rien de plus qu’une simple ressemblance. Il arrivait que des gens se ressemblent. En fait, les gens se ressemblaient tous, aussi loin qu’on pouvait regarder. Tout le monde ressemblait au moins un petit peu à quelqu’un d’autre. C’était là un des mystères du monde. (« L’homme de la Chambre 24 »)
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