Ce
journal d'un défaitiste est en fait un recueil de bande-dessinées publiées par
Joe Sacco entre 1987 et 1992. Il est à moitié constitué d'histoires autobiographiques dans la veine des BD undergrounds nord-américaines (looser, misère sexuelle, satire du conservatisme, etc…) et à moitié de récits plus didactiques sur la guerre et en particulier les bombardements massifs. Les deux se mélangent parfois, comme lorsque l'auteur raconte les souvenirs de sa mère durant la deuxième guerre mondiale. Il y a une dizaine de parties, et presque toutes ont des sujets et des styles différents ; différents dans le dessin mais aussi dans l'écriture. La cinquième partie par exemple, nommée Une expérience répugnante, est aussi intéressante pour ses dessins que pour le texte en vis-à-vis qui manifeste un véritable travail d'écriture. Il semblerait qu'à partir du milieu des années 90
Joe Sacco ait abandonné le côté underground et se soit davantage tourné vers le reportage de guerre en bande-dessinée. Je ne sais pas ce que valent ses
reportages sur la
Palestine ou la Bosnie (très partisans d'après ce que j'ai compris), mais en tout cas, on peut voir dans le
Journal d'un défaitiste que
Joe Sacco avait, dès les années 80, une solide culture et une vraie volonté de se documenter. Personnellement, la sixième partie m'a beaucoup amusé. Elle est titrée Voyage au bout de la bibliothèque et fait un état des lieux plutôt judicieux de la lecture aujourd'hui. Dans cette bibliothèque les lecteurs se jettent comme des morts-de-faim sur les derniers best-sellers, alors que les
Tolstoï et
Zola sont abandonnés dans une vieille cave humide. Entre les mémés-à-thé assoiffées d'histoires sanglantes, les post-adolescents boutonneux qui découvrent de grandes allégories humanistes dans des histoires de martiennes à gros tétons, et les sempiternelles histoires indigentes pour jeunes filles en fleur… il ne manque plus que quelques scènes de masturbations publiques et collectives et on aura une vision à peu près correcte de l'affligeante blogosphère dite littéraire qui sévit actuellement sur internet. « Bah, au moins ils lisent ». Je ne sais pas si
Joe Sacco est un génie de la BD - ainsi qu'il le prétend lui-même - en tout cas il sait très bien occuper l'espace avec ses dessins, rechercher des plans improbables en plongée ou contre-plongée et parsemer ses dessins de détails assez bien vus. le mélange des petits soucis quotidiens, mesquins et comiques avec les massacres de la guerre du golfe et la fascination qu'elle a pu entraîner sur les téléspectateurs rend plus que mal à l'aise et, pour cette raison, met le doigt là où ça fait mal.