« Bellas Artes » est un recueil de 8 nouvelles, traduites par Jean-Marie Saint-Lu (2017, Editions Do, 128 p.). Un titre originel « Bellas Artes », aussi traduit sous « Lucioles » en anglais.
Luis Sagasti est un auteur argentin né en 1963 à Bahia Blanca, à 650 km au Sud de Buenos Aires. Diplômé en histoire de l'« Universidad Nacional del Sur », à Bahia Blanca, où il enseigne actuellement. Il a été conservateur en charge de l'éducation et de la culture au Musée d'art contemporain de Bahía Blanca.
En plus de « Bellas Artes » publié en 2011, il a publié quatre romans « El Canon de Leipzig » (Le Canon de Leipzig , 1999), « Los mares de la Luna » (Les Mers de la Lune , 2006) et « Maelstrom » (2015). Son nouveau roman « Una ofrenda musical » (Une offrande musicale) est sorti début 2017, puis traduite en anglais « A Musical Offering » (2020, Charco Press, 117 p.).
Le nom de Bahia Blanca provient du salpêtre (nitre) qui recouvre les sols le long de la côte. La ville est surtout connue en tant que port céréalier (Ingeniero White). Il est situé en fait sur un estuaire, le Naposta, qui lui assure une profondeur de 12 mètres tout au long de la baie, ce qui est important pour des installations portuaires. Très vite, en 1884, la ville est reliée à Buenos Aires par la compagnie « Ferrocarril del Sud ». Et en 1929, la Compagnie Aerópostale Argentine (Aeroposta Argentina S.A.) commence ses vols réguliers pour le transport de courrier et de passagers éventuellement. La ligne est initiée avec la traversée de l'Atlantique Sud entre Saint-Louis du Sénégal et Natal en 1930 par Mermoz. Antoine de Saint-Exupéry, directeur de la compagnie, y a vécu en 1929 et en 1931, ouvrant des voies entre Bahía Blanca et Comodoro Rivadavia. Tout cela est raconté dans « Vol de Nuit » (1931, Gallimard, 186 p.). Puis la traversée des Andes jusqu'à Santiago de Chile se poursuit avec Mermoz et Guillaumet.
Dans la ville, un bord de mer agréable, avec un « Café Piazza » populaire et surprenant qui propose de la soupe aux nouilles. Endroit idéal pour une pause-café le matin ou l'après-midi.
Retour à « Bellas Artes » et à ses nombreuses références, tellement nombreuses et entremêlées qu'il n'est pas possible de tout comprendre, des tenants et aboutissant dans la suite du récit. de plus, Luis Sagasti prend un malin plaisir à mélanger le tout. Tout commence dès le premier chapitre « Lucioles » où l'on croise « Les Trois Maries » (La Tres Marias) de la constellation d'Orion. Puis vient dans « Haïkus » l'histoire de Joseph Beuys, aviateur allemand qui s'écrase en Crimée durant l'hiver 1943. Il est gravement blessé à la tête, soigné par des nomades tartares, avec de la graisse et des bonnets en lièvre, avant de devenir un artiste plasticien reconnu. Puis Matsuo Bashô, le moine japonais, maître des haïkus, petits poèmes de trois vers, avant de nous embarquer avec Kurt Vonnegut et son célèbre « Abattoir 5 ou la Croisade des Enfants » dans la ville de Dresde. Puis à nouveau Saint Exupéry avec son « Petit Prince », avant de passer aux cosmonautes depuis Gagarine et les américains ayant foulé la Lune, et divers musiciens de Glenn Gould, à John Lennon ou JS Bach et Pink Floyd. On constate donc une grande variabilité des personnages cités, sans que soit bien clair le (ou les) liens qui les réunissent dans ce livre. Il y a bien sûr, à la fin de l'ouvrage un petit tableau où il est écrit que ces personnages « ont donné leur nom à un astéroïde ». C'est un peu court d'explication, même si le terme astéroïde rappelle par son point de brillance, la lumière émise par les lucioles, justifiant le titre en anglais.
De fait, il faut revenir à la nationalité de l'auteur, argentin, et à la première phrase du livre. « le monde est une pelote de laine ». Et il précise « Un écheveau dont il n'est pas facile de trouver le bout ». D'où la question « Qui donc tire les ficelles du monde ». Et de ce questionnement, cette réponse en forme de question « Qu'est ce qui a fait la renommée de l'Argentine à ses débuts à la fin du XIX et début du XXeme siècle » si ce n'est l'élevage intensif du mouton en Patagonie. C'est donc en référence au pays qu'il convient de lire ce livre. Et le livre devient un hommage au pays, à ses mythes fondateurs, à ses personnages historiques.
A la base « Las Tres Marias », l'alignement des trois étoiles les plus brillantes de la constellation d'Orion. Elles sont dans un plan, entre les deux branches que forment Bételgeuse et Rigel. Dans l'hémisphère austral, il faut regarder vers le Sud, avec trois étoiles bleues Mintaka, Altinak et Alnilam. La première, Mintaka, est au sommet, légèrement décalée par rapport aux deux autres. Elle se trouve juste sur l'équateur céleste. Ce qui fait que le trio est surtout visible à l'approche de Noël. D'où son caractère sacré en Amérique du Sud. Altinak est une étoile très jeune, 6 Ma, alors que le soleil date de 6 Ga (mille fois plus vieille) et brille par conséquent plus. C'est la 35eme étoile la plus brillante, avec une température de surface de 29000 K. Alnilam, au centre du trio, est la plus éloignée. Supergéante bleue, une gamine de 4 Ma seulement, pas encore stable, qui se dilate et contracte périodiquement, en constituant une variable pulsante. Et cerise sur le gâteau, la constellation d'Orion est située tout à côté de celle du Lièvre (Lepidorus) avec ses deux étoiles, un peu moins brillantes tout de même de Arneb et Nihal. Entre les deux, le long ruban d'Eridanus s'écoule comme un fleuve, visible seulement dans les hautes latitudes de l'hémisphère austral. C'est l'Eridan, l'un des fleuves des Enfers. Tout celà, c'est pour l'astronomie.
Entre parenthèses, l'illustration, souvent fort judicieuse, due à Mr Thornill, l'équipe de grapheurs préférée, là manque un peu d'inspiration. Il s'agit bien de points aléatoires, faisant penser à des lucioles, vues dans un téléscope. Quoique…. Il y a de ces bestioles aussi sur la couverture d'un joli vert, mais comme les points sont blancs, on les voit peu. Il aurait été plus judicieux de représenter, globalement Orion. On sent que le dessinateur a bien essayé, mais…. Quant à la bestiole sur le rabat de couverture, elle ressemble plus à un diptère qu'à une luciole. Il faut sortir en été le soir pour voir ces bestioles charmantes.
Ces trois étoiles du baudrier d'Orion ont aussi une correspondance ésotérique avec les pyramides d'Egypte, plus précisément celles de Gizeh soit Khéops, Khéphren et Mykérinos. Dans ce système, le Nil serait la Voie Lactée, et les conduits menant à la chambre du roi pointe sur le baudrier au moment où Orion est au plus haut sur le méridien. Or les égyptiens croyaient que les portes du ciel s'ouvraient après la mort, à la place occupée par le baudrier d'Orion. Les Trois Maries constituaient le lieu où devrait reposer l'âme d'Osiris, le dieu égyptien de la résurrection et préside le tribunal du jugement du défunt.
Enfin, la correspondance avec la tradition chrétienne qui relie Les Trois Maries aux les trois filles de Anne, la grand-mère maternelle de Jésus, issues de trois mariages successifs. Il s'agit de Marie, la mère de Jésus, de Marie Jacobé, femme de Clopas, et mère de Jacques le Mineur, et de Marie Salomé, mère de Jacques le Majeur, dite aussi Marie la Magdaléenne, à ne pas confondre avec Marie L'Egyptienne, à la chevelure abondante. Ce sont elles qui se rendent au tombeau du Christ le dimanche après la crucifixion pour embaumer son corps. Contraintes à l'exil par les Romains, elles seraient venues sur un bateau de pierre, et abordent en Camargue, où elles sont accueillies par Sarah la Noire, qui devint la servante des Maries. L'endroit deviendra les Saintes Maries de la Mer, un haut lieu de pèlerinage, avec la Procession à la Mer et l'immersion de la sainte noire que font les Roms et les Gitans.
Cette relation avec les « Tres Marias » est également présente dans le folklore spécifique de l'Argentine dans la mesure où c'est le synonyme des « Tres Bolas » ou « Boleadoras », cette sorte de lasso utilisé par les gauchos. Ces lassos à trois boules ont été adaptés des indiens de Patagonie pour capturer le bétail ou le gibier en train de courir.
On voit que la relation est très forte avec le folklore ou mythe primitif argentin. Cela permet d'aborder le thème du lièvre, qui suit. On l'a déjà vaguement abordé avec la constellation Leporidus, entre Orion et Eridanus. C'est surtout le thème du « Lièvre Légibrérien », partie intégrale du mythe du gaucho argentin. On pourra se référer au livre de César Aira « La Liebre » (1991, Emece, 254 p.) qui reprend un texte de Lucio Victorio Mansilla (1831-1913) publié en 1870 « Una excursión a los indios Ranqueles », traduit par Carlos Garavaglia et Odile Begué en « Une excursion au pays des Ranqueles » (2008, Christian Bourgois, 650 p.). Une autre version est celle de Estanislao Zeballos (1854-1923) avec « Callvucurá, y la Dinastía de los Piedra » (2018, Forgotten Book, 386 p.) qui fait suite à « La Conquista de quince mil leguas » (1878). Ces textes sont ambigus dans leurs conclusions quelque peu opposées. En effet, Mansilla appelle à la conversion des Indiens à la civilisation et les propose comme « Argentins » alors que Zeballos considère l'extermination des Indiens comme la seule solution pour la constitution de l'État argentin.
Tout commence en 1870, lorsque le colonel Lucio Vittorio Mansilla commandait les forces armées nationales établies dans la province de Cordoba, en Argentine, à la frontière avec les Indiens. le gouvernement avait signé avec le cacique Mariano Rosas, représentant des Indiens Ranqueles, un traité de paix et d'amitié, devant encore être ratifié avant d'être approuvé par le Congrès. Mansilla décide, à ses risques et périls, de se rendre, accompagné d'une poignée d'hommes, au coeur des campements indiens pour traiter personnellement avec Mariano Rosas. « Il faut avoir vécu certaines choses, s'être trouvé dans certaines situations, pour comprendre qu'une mission auprès des Ranqueles peut devenir pour un homme tel que moi, moyennement civilisé, un désir aussi véhément que pour n'importe quel petit fonctionnaire un poste de secrétaire à l'ambassade de Paris ». de ces périples, résultent les livres qui constituent les oeuvres fondatrices de la littérature argentine du XIXeme siècle. de fait le roman de Mansilla est plutôt une chronique de la vie des indiens et de leur rapport avec les gauchos à l'époque. Dans cette optique, chacun des deux modèles et leurs limites sont à l'envers ou en négatif l'un de l'autre. Pour Mansilla, la proposition d'intégration et d'assimilation des Indiens fonctionne est une forme d'opposition à l'immigration européenne. En contraste, pour Zeballos, son rejet de l'inclusion des Indiens est soutenu par la nécessité d'ouvrir des terres pour l'immigration.
Ils sont à mettre en rapport avec le « Martin Fierro », autre Mythe fondateur de l'Argentine. Mais là, il faut remonter à José Hernândez (1872-1880) qui est considéré comme la source de la littérature argentine, un peu comme la « Divine comédie » ou « Don Quichotte ». Il a été traduit par Juan Carlos Rossi « le Gaucho Martin Fierro » (2008, Regis Brauchi Editeur, 80 p.). Il faut lire ce qu'en écrit Jorge Luis Borges dans le Prologue d'« Artifices » où il reconnait que c'est «un livre fameux dont j'ai été le premier à approfondir, ou du moins à éclairer le contenu.». Un court texte intitulé « Martin Fierro » figure au début de « El Hacedor » (L'Auteur) suivi d'un essai « El Martin Fierro » dans lequel Borges écrit « La conception selon laquelle chaque pays doit avoir un livre est fort ancienne et elle fut au départ de caractère religieux. […]. Carlyle a écrit que l'Italie se résumait à « La Divine Comédie » et l'Espagne au « Quichotte » ; […]. Nous, les Argentins, possédions déjà ce livre canonique et que prévisiblement c'était « Martin Fierro » ». Et ce Martin Fierro « rédigea avec des métaphores de métaux la vaste chronique des couchants tumultueux et des formes de la lune. Ces choses maintenant sont comme si elles n'étaient jamais arrivées ». Et pour terminer ce court texte. « Ce qui arriva une fois se reproduit indéfiniment ; les années visibles sont parties et il reste un misérable duel au couteau ; le rêve d'un homme fait partie de la mémoire de tous ». Par ailleurs, on retrouve Martin Fierro dans « Gravity's Rainbow » de Thomas Pynchon.
« Martin Fierro » est un gaucho pauvre mais libre, qui parcourt la pampa. le poème est divisé, et est paru, en deux parties, « Ida » (1872) et « Vuelta » (1879), c'est-à-dire « L'Aller » et « le Retour ». Il est illégalement engagé pour défendre une frontière contre les « Indiens » en Argentine, en fait les extermine. C'est la période où le concept de « civilisation » mis en place par le discours ethnocentriste du Facundo (1845) de Domingo Sarmiento légitimait ouvertement l'appropriation des terres appartenant aux Indiens. Mais, devant la tâche, Martin Fierro finalement déserte. Une fois qu'il rentre chez lui, c'est pour s'apercevoir que tout ce à quoi il tenait lui a été arraché : femme, enfants, patrimoine. Il devient alors un brigand généreux. A la fin de cette première partie, il perd la trace de ses deux fils. le poème de Hernândez montre donc dans sa première partie la frontière entre la civilisation et la barbarie, frontière où vont se perdre les deux gauchos. Puis, Cruz, le compagnon de misère de Fierro, meurt de la peste. Martin Fierro prend la fuite en emportant avec lui une « captive » qu'il a réussi à arracher à un « barbare inhumain ». le portrait stéréotypé de la captive ensanglantée et maltraitée par l'Indien illustre la cruauté et la bestialité attribuées aux Indiens. Elle joue le rôle de la figure protectrice, comme une tante, « la tia ». A sa mort, le juge chargé de veiller sur le second fils de Martin Fierro le dépouille de son héritage et le condamne à la misère. le rôle du juge est toujours présenté négativement dans le poème. C'est également un juge qui est à l'origine de l'extrême pauvreté de Fierro.
La seconde partie du poème « le Retour » est consacrée à la récupération de la mémoire via les enfants, dévoilant le côté négatif du personnage qui erre dès lors « comme le tigre / auquel on prend ses enfants ». Survient un épisode où il est forcé de se battre contre « le Noir ». C'est la partie la plus poignante du récit, et une bagarre fondée sur un malentendu. le Noir, en effet, n'est qu'un prétexte à une bagarre dont il sera forcément le vainqueur. La mort de ce dernier est le nécessaire préalable à l'émergence du gaucho comme reflet de l'argentinité dans le texte de Hernândez. En contrepartie, l'extinction du Noir est nécessaire à l'épanouissement du « désespoir » du gaucho déraciné. On peut rappeler que le terme de gaucho dérive du mot quechua « huacho » qui veut dire orphelin, abandonné. Dans un premier temps, Borges conçoit Martin Fierro comme un personnage de tango, hésitant et geignard avant la lettre. « Ce type de gaucho plaintif composé par Hernândez tout en devançant Carlos Gardel est une calamité ». Il va donc très vite en modifier le caractère pour en faire le héros du peuple argentin.
Il faut ajouter à ce qu'a écrit Jorges « Les Aventures de China Iron » de Gabriela Cabezón Cámara, traduit par Guillaume Contré (2021, Editions De l'Ogre, 256 p.). le roman forme le second tome de la trilogie, qui débute avec « Pleines de grâce » (2020, Editions De l'Ogre, 208 p.) et ensuite « Romance de la Négresse Blonde ». C'est une relecture de « Martin Fierro », le grand classique de la littérature gaucho argentine. C'est un roman sur la libération d'une femme, une histoire d'amour et d'aventures, un western queer et féministe. C'est aussi un appel à fonder un monde libre où les créatures s'embrasseraient avec désir et jouiraient du même amour pour les rivières, les oiseaux et les arbres.
La femme de Martin Fierro et Liz, ainsi qu'un chien Estreya (Etoile), partent à la conquête d'une nouvelle manière de vivre ensemble, en dehors des mythes fondateurs de nos sociétés. Les personnages tout d'abord. China Iron, la femme abandonnée de Martin Fierro. Avec ceci de semblable ou différent, que China, qui n'a rien à voir avec la Chine, mais se réfère au quichua pour désigner la femme. Et Iron, le terme anglais pour le fer, ou Fierro en espagnol. Elle est très jeune, une quinzaine d'années. Quant à Liz, c'est une jeune femme écossaise, fille d'un artiste-fermier. Elle parcourt la pampa à la recherche d'un mari, bien qu'elle en ait eu un, Oscar. Très vite un voyage en train fait se rencontrer les deux femmes. « Elle m'a regardé avec méfiance, m'a passé une tasse de liquide chaud et a dit « thé » en anglais, supposant, à juste titre, que je ne connaissais pas le mot. 'Thé' m'a-t-elle
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