Il y a, dans la commune de Vence, non loin de Nice, un lieu de silence et de paix qui mérite que nous y fassions halte. La Chapelle du Rosaire, chef-d'oeuvre de l'art sacré, fut construite et offerte par
Henri Matisse à l'ordre des Dominicains. Pendant 4 ans, de 1948 à 1951, le peintre travailla sur les plans et la décoration de cette chapelle. Matisse a 78 ans quand il commence son projet. Il est malade. Mais dans cette petite chapelle, il va mettre toutes ses forces, tout son talent et toute son âme. Lui-même le disait: " Cette oeuvre m'a demandé quatre ans d'un travail exclusif et assidu, et elle est le résultat de toute ma vie active. Je la considère malgré toutes ses imperfections comme mon chef-d'oeuvre."
Pour le bâtiment extérieur, il a travaillé en collaboration avec Auguste Perret. le célèbre architecte est alors au sommet de son inspiration puisque c'est en 1951 que débutera le chantier de l'une des plus belles églises de France, l'Eglise Saint-Joseph du Havre.
Pour l'intérieur, en revanche, Matisse est seul. Seul? Peut-être pas tout à fait. Peut-être est-il entouré d'une Présence qui lui souffle de n'utiliser que trois éléments: la lumière, la simplicité et le vide qui dès lors devient le plein.
Dominique Sampiero a toujours eu une profonde admiration pour Matisse. Il a notamment écrit "
L'Odalisque", une fiction sur les dernières années du peintre. C'est donc tout naturellement qu'il a répondu à l'invitation de cette collection d'art ( Ekphrasis) pour écrire une étude sur le portrait de
Saint Dominique qui orne le fond de la Chapelle du Rosaire. Sur ce portrait que Matisse peignit avec un pinceau attaché au bout d'un très long bâton,
Saint Dominique n'a ni yeux, ni bouche, ni nez. Matisse a tracé les contours du saint homme sans nous le dessiner vraiment.
"Il suffit d'un signe pour évoquer un visage, il n'est nul besoin d'imposer aux gens des yeux, une bouche... il faut laisser le champ libre à la rêverie du spectateur." disait le peintre dans "Ecrits et propos sur l'art".
Pourtant, ce visage sans traits nous emplit de sa profonde humanité et procure un grand calme intérieur. Il est l'humilité même. Il est la place faite au grand mystère. Il est, par son dépouillement extrême, l'image du recueillement.
Dominique Sampiero a nommé son étude "Effacement". C'est une étude libre qui ne se veut pas analyse d'oeuvre mais plutôt cheminement fécond aux côtés du peintre. Réussir à nous débarrasser de nos multiples visages n'est pas chose aisée. Pourtant, c'est de cet abandon que peut naître la richesse intérieure et jaillir l'art, jolie façon d'offrir aux autres ce qui nous a été donné. Tout en écrivant cet "Effacement",
Dominique Sampiero s'interroge sur son métier d'écrivain et se fait humble devant le miracle de l'écriture qui lui vient parfois comme une grâce, un apaisement.
"J'écris et ma main seule décide, en glissant mot à mot sur la page, décide d'une crispation qui elle-même s'oublie. Mes outils, main, bras, plume, encre, papier, regard, pensée, disparaissent et je n'ai plus conscience ni d'être là, ni d'agir, absorbé tout entier par le personnage d'un mot ou d'un paysage. C'est vrai qu'il s'agit d'une apparition quasi miraculeuse quand elle me dévore tout entier jusqu'à me guérir des douleurs morales ou physiques, l'instant d'un éclair, oui, car alors dans l'élan qui invente sa propre lumière, s'engouffre aussi tout ce qui n'est pas lui: la peur, le manque, la finitude."
Cet apaisement nous le ressentons en tournant les pages de cette étude. L'écriture y est douce et ronde. Elle accueille le lecteur en sa matière et lui permet de mieux voir, de mieux comprendre ce portrait de
Saint Dominique et peut-être bien plus encore. D'une certaine manière, elle emplit le vide et le comble de lumière, de cette lumière douce qui ne descend pas du ciel mais monte du fond de soi.
"Que mon regard soit une nuit ouverte au moindre mouvement des ténèbres quand elles s'éclairent en leur sein d'une aurore qui n'est pas l'aurore."