Ce livre est une histoire vraie. Il est constitué des lettres que s'écrivent un enfant (Ichiro) et sa maman (Isoko) entre 1944 et 1948, donc pendant et au sortir de la 2e guerre mondiale, au Japon.
Cette correspondance authentique (lettres + un petit cahier-journal) constitue un vrai document qui nous renseigne sur la façon dont vivent et sur ce qu'éprouvent hommes, femmes et enfants, pendant la guerre au Japon : demi-famine, rapports humains (citadins-ruraux), marché noir, propagande, etc.
Le ton et les mots sont simples et le langage est familier.
On découvre l'amour et le grand attachement qu'un fils et une mère ont l'un pour l'autre.
On vit leur vie quotidienne à leurs côtés. On entre dans leur intimité.
La maman, enseignante, doit assumer seule le ravitaillement de la famille. Elle a 3 garçons.
Le père, lui, est un intellectuel, très érudit.
Il laisse son épouse se débrouiller, car elle est de meilleure communication que lui, quand il s'agit de discuter avec des paysans dans la campagne, pour acheter la nourriture nécessaire au foyer.
Pour se sentir davantage en sécurité, ils doivent quitter Tokyo où ils vivent et travaillent et où Ichiro étudie. Ils vont devoir aller habiter en province. Ils ont loué 4 pièces jusqu'à la fin de la guerre, à Suwa (à environ 200 km à l'ouest de Tokyo).
Dans un premier temps, Ichiro reste à Tokyo pour continuer ses études.
Il écrit à sa mère qu'il est très effrayé à l'avance par les bombardements possibles sur la capitale !
Isoko, sa maman, le rassure en retour en permanence. Elle est toujours apaisante pour lui. Elle est très douce et simple dans ses propos, très clairs.
Ichiro lui raconte ses soucis, mais en même temps, il regrette à chaque fois de l'inquiéter.
Sa maman est émue par ses lettres. Elle voudrait que son fils soit pleinement heureux.
Mais Ichiro ne peut pas rester dans la crainte permanente, loin des siens, et bientôt, il quitte son établissement scolaire de Tokyo pour intégrer une école à Suwa.
Avec ces temps de pénuries, la maman d'Ichiro doit souvent aller loin à pied pour trouver le ravitaillement nécessaire, et elle porte de lourdes charges.
(« A la campagne, on doit faire soi-même tout ce que l'on mange. Ca me paraît bizarre, à moi qui suis née et qui ait grandi à Tokyo »).
Certains passages sont très émouvants, comme celui-ci : Ichiro voulait avoir des patins à glace ; sa maman n'avait pas d'argent pour lui en offrir.
Quitte à avoir froid, elle vend son manteau d'hiver pour réunir l'argent nécessaire ! (« Quand je vois ta joie, j'ai bien plus chaud que si j'avais un manteau. Il y a longtemps que je ne t'ai vu si heureux. Je ne le regrette pas du tout, ce manteau. Ce qui m'est plus précieux, c'est ton coeur. »)
C'est très touchant ! Isoko est une vraie mère-courage !
Ichiro se rend bien compte de la souffrance de sa mère et de son abnégation sans bornes. Il est inquiet pour sa santé ! Et il se demande aussi si son père va devoir partir à la guerre…
Ils viennent de la capitale, et les paysans les appellent « les réfugiés ». Ils profitent d'eux, leur font payer cher les victuailles qu'ils leur vendent !
Ichiro remarque les différences entre les élèves de la campagne et ceux de la ville.
Les élèves de la campagne aident en priorité leurs parents aux tâches journalières, comme par exemple le travail dans les champs.
Dans une lettre à sa mère, il se questionne et pense quitter le lycée à la fin du trimestre pour aider sa famille, mais sa maman lui conseille de ne pas stopper ses études.
Isoko est une mère qui ne sermonne jamais. Elle aide son enfant à grandir en préservant son insouciance le plus possible.
(« C'est inutile que tu deviennes une grande personne plus tôt que nécessaire »)
Ce qui importe à Isoko, c'est que son enfant vive, malgré la guerre, les bombes, et les privations, puis qu'il se développe dans son intégrité, sa pureté.
Bientôt les bombardements s'intensifient. Et des tracts ont été lancés depuis les avions ennemis, sur lesquels est noté qu'en juillet 1945 le Japon va être réduit en cendres. Ils conseillent à la population de fuir. Il va donc leur falloir évacuer.
La correspondance va devoir être interrompue quelques temps… (- le 15 juillet 1945 - « A partir d'aujourd'hui, je continue tout seul notre cahier. Je regrette que Maman ne puisse pas me répondre mais, si nous arrivons à survivre, nous reprendrons notre dialogue. Nous serons heureux alors d'avoir gardé ce témoignage d'une époque si grave, et si je meurs, ce journal restera en souvenir de moi… »)
Ichiro écrit qu'Hiroshima a été bombardée le 6 août. (« La bombe atomique est une arme nouvelle d'une puissance extraordinaire ; elle tue autour d'elle tout ce qui est vivant. ») – (« Est-il possible qu'il existe des choses pareilles et, si elles existent, est-il possible de les employer ? Des accords internationaux ont interdit les gaz asphyxiants comme inhumains, comment est-il possible d'utiliser une bombe tellement plus terrible que les gaz ? »)
Le 9 août, c'est le tour de Nagasaki de subir une autre bombe atomique !
Et le 14 août 1945, l'empereur du Japon décide de stopper le conflit.
Ichiro hait cette capitulation sans conditions, à laquelle la mort lui paraît préférable !
La guerre étant finie, ils vont pouvoir rentrer à Tokyo, mais Ichiro n'est pas encore très rassuré, ayant vécu tant de mois sous la menace. Et le Nouvel An arrive, le Nouvel An de la Paix, et la famille se réunit, enfin entière…
La vie va petit à petit reprendre son cours…
Ichiro est conscient de la chance qu'il a d'avoir des parents cultivés ; chez lui il y a beaucoup de bons livres ; nombre de ses camarades n'en ont pas et il leur sert de bibliothécaire !
Il franchit le cap de l'adolescence et il fait quelques reproches à sa mère, mais dans le respect !
Il trouve qu'elle est trop effacée face à son mari, qu'elle devrait moins le gâter et s'occuper davantage d'elle-même. Progressivement, alors que la guerre est finie, s'installe dans le pays un esprit démocratique qui amène aussi un changement de comportement au sein de la cellule familiale.
Sur les conseils de son fils, Isoko s'émancipe un peu. Elle va au cinéma et participe aussi à des réunions hors de chez elle (alors que son mari garde la maison). Isoko est toujours humble. Elle apprend de son fils à modifier sa conduite. Elle sait s'auto-critiquer et aussi s'excuser de ses fautes.
Ichiro est très fusionnel avec sa maman, et même adolescent, il est attaché à lui demander conseil et à ne rien lui cacher concernant sa conduite dans la vie.
Isoko a toujours été présente pour donner de sages conseils à son fils et lui clarifier ses idées parfois confuses. Elle lui a inculqué bonne conduite et bonnes moeurs. Elle peut se réjouir qu'il avance en âge et en liberté. Elle l'a formé aux relations humaines, lui qui était encore impulsif et faible.
Ichiro lui en est reconnaissant. Il est fier, il a bonne conscience et est en confiance en lui-même, grâce à la bonne éducation reçue.
Ichiro a maintenant 18 ans. Il suit des cours de prépa pour entrer dans une grande école à Tokyo.
Peu à peu il se rapproche de son père, qu'il découvre sous un nouveau jour plus favorable qu'avant. Son père prend le temps de bien répondre à ses questions. Ichiro apprécie beaucoup cela. Et il admire aussi son père, parce qu'il a su prédire avec justesse ce qui allait se passer…
Ce livre est avant tout un beau livre sur l'Education avec un grand « E » !
Il faut inviter les juniors à le lire aussi !
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79 échanges de lettres entre un jeune élève du lycée de Tokyo, Ichirô, et sa mère, Isoko, qui vit à la campagne. Entre 1944 et 1948, ils évoquent «la difficulté des combats quotidiens dans le monde d'Hiroshima, ce monde d'adultes si douloureux pour le jeune homme.»
Lire la critique sur le site : LeFigaro
A Ichiro, de sa mère :
Au point où nous en sommes, je saurai bien donner encore un coup de collier. Mon papa à moi est mort quand j'étais toute petite et j'ai été élevée à la dure, ce qui fait que notre vie actuelle ne m'est pas aussi pénible que cela peut paraître.
Je ne sais pas si je t'ai raconté ceci.
Quand j'avais huit ou neuf ans, ma mère et moi vivions seules ensemble. Vers midi, maman me disait :
- Allons, déjeunons !
Alors je sortais les plateaux et les assiettes. Je demandais :
⁃ Et qu'est-ce qu'on va manger avec le riz ?
Maman me répondait :
- Le marchand de fèves va bientôt passer.
Nous préparions un grand bol pour les fèves et commencions à manger. En ce temps-là, le marchand de fèves passait dans les rues en faisant tinter une petite clochette. Il venait à l’entrée demander si l’on avait besoin de lui :
- Et aujourd'hui, madame ?
Je voulais me lever avec le bol, mais maman, ta grand'mère, répondait :
- Merci, rien pour aujourd'hui !
C'est ainsi que, jour après jour, maman me berçait d'illusions et nous ne déjeunions que de riz. On pouvait alors acheter une bolée de fèves avec 3 sous.
Notre professeur exigeait qu'on apporte en classe trois crayons : que de fois ai-je manqué l’école parce que maman ne pouvait me les payer !
Je ne t'ai jamais raconté tout cela. C'est pourtant ainsi que j'ai grandi. Et c'est pourquoi la pauvreté ne m'est pas pénible. A cette époque, la vie était facile et les gens autour de nous vivaient à l’aise : nous seules étions pauvres et cela m'affligeait terriblement. Mais aujourd'hui, au Japon, tout le monde est pauvre et cela ne doit pas t’impressionner. Je ne peux pas prévoir quand et comment la guerre finira, mais n’oublie pas que, pour le moment présent, te voir travailler de bon cœur est ce qui me donne le plus de joie.
En disant cela, j'ai poussé la cloison et me suis arrêté, surpris. Papa avait étendu un furoshiki sur la table et il lisait. Près de lui étaient posés en pile les livres que j'avais vus tout à l'heure. Il m'a demandé, sans lever les yeux de son bouquin :
- C'est toi, Ichirô ? Que fais-tu à cette heure-ci ?
- J'avais envie d'aller au petit endroit. Mais toi, papa, pourquoi es-tu encore levé ? L'alerte est passée.
- Ouf !
C'est tout ce qu'il m’a répondu, en tournant sa page.
- Alors, si tu te couchais ? Ça ne vaut pas la peine de lire, quand on va peut-être être tué dans un instant.
Lorsque j'ai dit cela, papa m'a regardé pendant un bon moment, puis il m'a répondu :
- Ichirô, tu penses donc qu'il vaut mieux dormir, autant qu'on le peut, quatre, cinq heures, avant de mourir ? Moi, je ne le pense pas. On ne sait pas quand on va être tué et c'est pourquoi je voudrais au moins lire tout ce que je peux, pendant que je suis encore en vie. Tiens, il y a là trois livres que je désire lire avant de mourir. Crois-tu que je puisse me permettre de dormir ?
En disant cela, il a légèrement passé la main sur son livre et il a repris sa lecture.
Jamais, de toute ma vie, je n'ai été aussi violemment saisi d'admiration devant papa. Il m’a paru véritablement grand, comme le sont les grands hommes de l’histoire et des récits. J'en suis resté le souffle coupé. Le visage de papa, qui se détachait dans l'ombre, m'a même paru avoir un rayonnement divin. Je suis resté là, à réfléchir. Je ne comprenais pas moi-même pourquoi le cœur me battait si fort.
« Au moins, pendant que je suis encore en vie.» » Je me suis répété ces mots plusieurs fois de suite.
Oui, papa est un vrai savant, un savant jusqu'à la moelle des os. Quand je me suis dit cela, j'ai eu affreusement honte de ma sottise.
Ce matin, en allant à l'école, je marchais comme d'habitude avec Sano, et les autres. Le professeur de japonais allait un peu avant nous.
Comme je ne connaissais pas son nom, je demandai comment il s'appelle. Sano a répondu :
— Micron !
Je n’avais pas bien saisi et je répétai :
— Quoi ? Micron ?
J'avais apparemment parlé fort. M. Micron s'est retourné et m'a lancé un vilain regard. Jusque là je pensais qu'on m'avait dit son nom véritable. Or, il paraît qu'on l’a surnommé ainsi parce qu'il est tout petit... Il est terriblement sensible et déteste qu'on l'appelle Micron. Moi, j'ignorais tout cela. En classe, à l'appel, quand il est arrivé aux éIèves qui ont été évacués ici, il a commencé par dire :
—Maintenant, le supplément !
Puis il a lu les noms. Et encore plus tard, il a déclaré :
— II n'y a que des cancres parmi les évacués ! En regardant de mon côté.
Ce qui s'est passé ce matin doit lui être resté sur le cœur.
Comme le professeur a dit des choses pareilles, mes çamarades m'appellent « Supplement ! Supplement ! ». Ça m’a mis en colère et je suis rentré tout seul aujourd'hui.
Je suis ennuyé en pensant que le Micron va encore, demain, me regarder d'un très mauvais œil. Pour comble de malheur, il habite tout près d'ici, chez le président de l'Âssociation municipale et je crains que tu n'aies des désagréments à cause de cela. Si cela arrive, je t'en demande pardon d'avance : je ne l'ai vraiment pas fait exprès. Et si quelqu'un parle de moi comme d'un « furyô », tu ne le croiras pas, n'est-ce pas, maman ? s'il te plaît.
Quand je porte de vieux vêtements tout usés, que je dois marcher péniblement sur la route gelée, je pense avec beaucoup de regret au bon temps d'autrefois, bien que je sache que ce n'est pas bien. Et quand je vois à la maison du riz mélangé de koliang, et chez les paysans, du riz tout blanc, je sais que c'est vil, mais je ne peux pas m'empêcher de les envier. Je me dépêche de réprimer ce sentiment, mais c'est un fait que je l’éprouve.
Maman, je ne voudrais pas te faire de la peine, mais tu vois que mon cœur est déjà avili. Quand je pense que je suis devenu comme cela à cause de la guerre, je me demande si je parviendrai à préserver ce qui reste encore en moi d'élevé. Cette pensée, je ne sais pourquoi, me rend miserable.
Ton pauvre Ichirô.
Inattendu, incroyable! Hier, dans la soirée, mon oncle est arrivé de Tokyo pour nous annoncer que la guerre est finie. Personne n'a voulu le croire; il semblait que la lutte serait interminable. Cependant, c'est vrai! La guerre s'est terminée brusquement et vite.
L'Empereur en a décidé ainsi; sa sagesse est grande! Une fois de plus, j'ai été émerveillé de sa puissance et de sa bienveillance pour son peuple.
[...]
Je proposerai tout de suite à maman de reprendre notre correspondance; j'y aurai plus de plaisir et d'intérêt qu'au journal que j'écris pour moi-même.
Mon cher journal, je te dis adieu aujourd'hui, mais je te garderai précieusement!