Cette préoccupation, très-louable d'ailleurs, de poursuivre partout le bien moral comme le but suprême, préoccupation qui a déjà fait éclore et patronné, dans l'art, tant de choses médiocres, a causé aussi, dans la théorie, un semblable préjudice. Pour convier les beaux-arts à prendre un rang vraiment élevé, pour leur concilier la faveur de l'État, la vénération de tous les hommes, on les pousse hors de leur domaine propre : on leur impose une vocation qui leur est étrangère et tout à fait contraire à leur nature. […] On trouve illogique que ce même art, qui contribue dans une si grande mesure au développement de ce qu'il y a de plus élevé dans l'homme, ne produise cet effet qu'accessoirement, et fasse sa préoccupation principale d'un but aussi vulgaire qu'on se figure qu'est le plaisir.
Il est parfaitement indifférent pour la dignité de l'art que son but soit un but moral, ou qu'il ne puisse l'atteindre que par des moyens moraux. [...]
Si c'est le but lui-même qui est moral, l'art perd tout ce qui fait sa force, je veux dire son indépendance et, ce qui fait son efficacité sur toutes les âmes, l'attrait du plaisir.
Vidéo de Friedrich von Schiller