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Et si Adolphe Hitler, le 08 octobre 1908, avait été reçu au concours d'entrée à l'Ecole des Beaux-Arts de Vienne, au lieu de s'y voir lamentablement recalé ? La face du monde en eut peut-être été changée ; et plus particulièrement entre 1933 et 1945. C'est du moins le thème de réflexion que nous propose Eric-Emmanuel Schmitt dans « La part de l'autre ».

Publié en 2001, voilà un roman bien étrange dans la mesure où l'auteur nous fait vivre en parallèle une biographie romancée d'Adolph Hitler et celle non moins romancée et U-Chronique d'Adolph H., son double imaginaire.

Que se serait-il passé si, au lieu d'être humilié, le sulfureux chef du Parti National-Socialiste – plus tard, nazi – s'était vu encensé ? Sa vie aurait sans doute été bien différente… Celle de nos parents et la nôtre également, je suppose… A moins que l'Histoire ne se charge de créer ex-nihilo, les monstres dont elle a besoin ; chacun d'entre nous ne cache-t-il pas au mieux une part d'ombre qui n'attend que l'occasion pour se révéler ?

« La part de l'autre » parle de chacun d'entre nous et nous ébranle dans nos certitudes : l'homme est un être dual.
Il faut tout l'art d'Eric-Emmanuel Schmitt pour ne pas tomber dans le conflit un peu simpliste du bon et du méchant : nul n'est parfaitement bon ou mauvais et chacun porte en lui la part de l'autre

Comme souvent chez Eric-Emmanuel Schmitt : dérangeant, fascinant… original !
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J'ai lu autrefois un ouvrage de science-fiction où coexistaient en parallèle autant de réalités que de choix possibles pour un individu. "La part de l'autre" est un peu bâtie sur ce principe, imaginant ce qui se serait passé si Adolf Hitler n'avait pas été recalé au concours d'entrée de l'Académie des beaux-arts de Vienne en 1908.

Le récit débute le jour fatidique de l'annonce des résultats et superpose les deux possibles. Hitler, recalé, ressent son échec comme une humiliation et cherche à se venger de ses semblables car il n'ont pas reconnu son génie. Tandis qu'Adolf H., admis, se coule dans le monde artistique, s'ouvrant aux autres et à l'amour.

Par petites touches, Eric-Emmanuel Schmitt évoque ce qu'aurait pu être le destin politique et économique de l'Allemagne sans dictateur – et sans deuxième guerre mondiale – mais ce n'est pas la partie la plus convaincante du livre. En effet, il me semble naïf de croire que sans Hitler, le nazisme n'aurait pas existé. Hitler n'était pas seul dans son délire belliqueux et meurtrier, mais entouré de cerveaux autant, sinon plus malades que le sien : Göring, Hess, Goebbels, Himmler... le mal a d'infinies ressources pour perpétrer son oeuvre infâme.

L'intérêt du livre est ailleurs : à l'intérieur, dans l'humain. L'introspection d'Hitler et de son double l'emporte largement sur la fiction politique. Et ceux qui s'attendent à un portrait manichéen avec l'ultra-méchant d'un côté et le gentil peintre de l'autre seront surpris...

« En montrant qu'Hitler aurait pu devenir un autre qu'il ne fut, je ferai sentir à chaque lecteur qu'il pourrait devenir Hitler » explique l'auteur dans son journal. Si bien qu'au début, le vrai Hitler semble plus à plaindre que le faux. le déclencheur de sa "vocation" – portée par l'opéra "Rienzi" de Wagner – est la défaite de l'Allemagne en 1918. Contrairement à Adolf H. et aux autres jeunes gens, cette guerre meurtrière, en offrant un métier au vagabond Hitler, est sa bouée de sauvetage. La défaite lui intime de trouver un coupable : ce sera la début de son antisémitisme. La haine galvanise ses propos : ce sera le début de son éloquence. Adolf H. et Hitler sont névrosés en raison d'un père violent et d'une mère morte trop jeune. L'un sera guéri par la psychanalyse (« l'oreille qui écoute ») et s'en sortira, l'autre sera traité par l'hypnose (« la bouche qui ordonne ») et on ne peut pas en dire autant...

Éric-Emmanuel Schmitt manie la langue française avec virtuosité ; sa description de la guerre des tranchées est terriblement réaliste. L'humour est là aussi, salutaire sur un tel sujet. Hitler et Adolf H. sont parfois d'un ridicule qui tourne à la farce et cette humiliation littéraire a la saveur d'une vengeance. le passage d'Adolf H. sur le divan de Freud est irrésistible. Comme le portrait d'Hitler en puceau irrécupérable : c'est osé, mais cela se tient.

Après nous avoir donné sa version du bien dans "L'Évangile selon Pilate", Éric-Emmanuel Schmitt nous livre ici sa version du mal et sa clairvoyance est édifiante. « le mal est un mystère plus profond que le bien car, dans le bien, il y a une lumière, un dynamisme, une affirmation de la vie. Comment peut-on choisir l'obscur ? »
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« L'écriture vire à l'hallucination.
Hier, en marchant sur les trottoirs avec mes neveux, j'ai entendu un sifflement et j'ai crié :
- Couchez-vous !
Ils m'ont regardé, interloqués. Un vélo passait.
J'avais cru reconnaître un shrapnell. »


Ah ! quel humour ! et quel don prodigieux de l'exagération ! Ainsi EES revient-il sur le parcours de l'écriture de la part de l'autre dans son Journal du livre –journal qu'il n'a bien sûr pas écrit pour lui-même mais à seule fin d'être inclus en conclusion de la part de l'autre, comme témoignage de la souffrance qu'un auteur s'est infligé pour satisfaire son lectorat trop souvent ingrat. En vérité, ce témoignage vient trop tard. Pour donner le ton exact du livre, il aurait dû être placé en introduction et aurait peut-être dissuadé bien des lecteurs qui n'ont que faire des romans à la gloire de leur auteur.


Exagération, nous disions donc, mais aussi égocentrisme : ESS semble avant tout avoir voulu parler d'Hitler pour faire parler de lui. Avec un temps de retard, il s'imaginait sans doute qu'il suffisait d'évoquer ce nom pour faire trembler la foule, provoquer son enthousiasme ou sa répulsion extrêmes, et s'emparer de la place convoitée de l'écrivain controversé. Mais n'est pas Céline (entre autres et par exemple) qui veut.


« Grande résistance de mon entourage à mon projet. Seul Bruno M. comprend et m'encourage. Les autres, Nathalie B. en tête, m'incitent à renoncer.
- Tu ne peux pas associer ton nom à Hitler !
- Mais parler d'Hitler ne consiste pas à devenir hitlérien.
- Moi je sais que tu n'es pas nazi, mais les autres, les lecteurs pressés, les journalistes… »


ESS, trop innocent pour parler de Hitler ? Véritablement convaincu de l'indigence du thème de la Part de l'autre ? Sans doute pas assez innocent en tout cas pour ne pas sentir qu'il y a là de quoi pavaner et se faire passer pour un écrivain à la fois provocateur, martyr et polémique. C'est sans aucune honte qu'il croit bon d'inclure dans son Journal cette remarque faite par un de ses amis (forcément) :


« - Comment parviens-tu à raconter l'existence d'un raté, toi qui as toujours tout réussi ? me demande Bruno M. »


Un raté, Hitler ? Plutôt un vainqueur, même si ses exploits sont amoraux. Un vainqueur, EES ? En tout cas pas en ce qui concerne la Part de l'autre. L'idée était pourtant prometteuse. Que serait devenu Hitler –et donc le monde- si celui-ci n'avait pas échoué son examen d'admission aux Beaux-Arts ? Cette question, beaucoup se la sont déjà posée. Pour rendre cet exercice plus évocateur, EES ne se contente pas seulement de développer cette hypothèse ; il la fait évoluer parallèlement au « véritable » destin que connut Hitler. Pourquoi ces guillemets ? Parce que même si EES respecte les principaux marqueurs historiques de l'existence du dictateur, il s'autorise beaucoup de spéculation en lui attribuant des angoisses, des névroses et des sentiments qui le transforment moins en homme qu'en stéréotype ambulant –complexe d'Oedipe et de castration en tête.


Si EES semble persuadé de son talent et de son intelligence, aucune de ses remarques ne nous le prouvent. Espère-t-il se montrer fulgurant lorsqu'il écrit par exemple que Hitler n'est pas le seul coupable dans le génocide juif, mais qu'il faut aussi prendre en compte tous ceux qui l'ont aidé et qui ont cru en lui ? ou prend-il seulement son lecteur pour un ignare capable de rivaliser avec son portrait d'Hitler ? Afin de nous montrer que le personnage n'est pas un monstre total et sans vergogne, mais plutôt un triste sire qui ne joue pas assez à touche-pipi, EES abuse de la caricature et utilise des procédés grossiers qui, en tentant de détruire tout manichéisme réducteur, finissent par devenir également simplistes. Et cela commence dès l'enfance. Avant son échec aux Beaux-Arts, Hitler nous est présenté comme un gentil garçon de bonne famille. Absolument pas raciste, pas même antisémite, il passe du bon temps avec ses collègues et voisins étrangers, et pour que l'ouverture d'esprit de Hitler soit suffisamment flagrante, EES nous brosse des portraits qui réduisent l'individu à des clichés nationaux :


« Sans bien discerner pourquoi, il appréciait Guido. L'éternelle joie de l'Italien, son sourire désarmant, ses paupières rieuses, sa poitrine velue qu'il montrant sans gêne aucune, la force virile qui éclatait en lui… »


L'uchronie se met véritablement en place lorsque, dans un des deux univers possibles, Hitler apprend son échec à l'entrée des Beaux-Arts. Commence alors le cheminement que l'on connaît. EES se fait plaisir et introduit dans l'existence du personnage tous les détails graveleux qu'il est possible d'imaginer : complexe de castration, terreur des femmes, vie sexuelle inexistante, arrivisme, égoïsme, inceste limite pédophile… A l'opposé de cette existence qui connaît toutes les déchéances possibles, EES imagine le parcours d'un Hitler qui aurait été admis aux Beaux-Arts. Son énergie aurait alors été dirigée dans la réalisation de son oeuvre. Hitler aurait rencontré des gens avec qui il aurait pu élaborer des relations satisfaisantes, et tout s'enchaîne : copains, petite amie, vie sexuelle, travaux réussis, emploi stable, reconnaissance du milieu, famille… Avec EES, la vie se joue à pile ou face : pile, on gagne le jackpot social, professionnel et sexuel ; face, on sombre dans le milieu de la vermine, déshérité et rejeté de tous.


La part de l'autre, outre ses simplifications grossières, commence véritablement à devenir agaçant lorsqu'on comprend que Hitler n'est qu'un prétexte habilement utilisé par EES pour parler de lui –ou de ce qu'il croit être. Son discours à l'égard des deux personnages n'est pas neutre. Hitler l'homme politique a beau avoir réussi à dominer le monde et à le façonner durablement pour des décennies au moins, EES ne peut s'empêcher de le ridiculiser et de le mépriser en exacerbant son inaptitude à la vie sociale. En revanche, Hitler l'artiste est précipité sous une avalanche d'éloges derrière lesquelles se dessine la figure plus générale du créateur –celui qui transcende ses pulsions et instincts néfastes pour les transformer en oeuvres. le contexte historique est à peine évoqué. Quant au monde tel qu'il l'aurait été si Hitler n'avait jamais été au pouvoir, il n'est même pas évoqué. L'histoire se termine sur un air d'inachevé. On croyait lire une uchronie mais La part de l'autre n'est qu'un condensé de la Psychanalyse pour les nuls –à moins qu'il ne soit un manuel de libération sexuelle post-soixante-huitarde dont le credo adressé à Hitler aurait été : « Vide-toi un coup et ça ira mieux ». le Journal de la Part de l'autre apparaît alors à point voulu. En retraçant sa vie lors de l'écriture de son roman, de nombreuses similitudes se dessinent entre la personnalité d'EES et de Hitler l'artiste. Serait-ce une manière d'insinuer que si l'écrivain n'avait pas réussi à se faire connaître en tant que tel et aurait échoué à vendre ses petits romans, il aurait fini par devenir aussi décrépi que Hitler le dictateur, et aurait risqué de faire connaître au monde entier la virtuosité d'une vengeance sanglante ? EES, futur criminel de guerre ? Voilà qui ferait l'objet d'une uchronie tout aussi sympathique et inutile que cette Part de l'autre !

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Alors qu'une nouvelle tragédie vient de s'abattre sur Paris, rallongeant la liste des drames qui jalonnent l'Humanité, l'ouvrage "La part de l'autre" revêt des aspects obsédants. Qu'est-ce qui se serait passé si... Est-ce qu'un détail, un léger détail aurait pu tout changer ?

Voilà le point de départ de la réflexion d'Eric-Emmanuel Schmitt : si Adolf avait été reçu aux Beaux-arts de Vienne, évitant ainsi les rebuffades et l'humiliation, les choses auraient-elles été différentes ?

Roman ? Biographie ? Essai philosophique sous couvert de la fiction ? Qu'il est difficile de faire entrer cet ouvrage dans une case... Mais quel bonheur d'échapper à ces fameuses cases! "La part de l'autre" est un récit déstabilisant, criant de vérité, qui conduit, au-delà du récit de ces Hitler qui évoluent en parallèle, à une véritable réflexion instrospective sur ce que nous sommes, sur notre essence, sur cette part d'ombre que nous portons tous en nous.

Bon, méchant. Gentil, cruel. Généreux, égoïste. Désintéressé, égocentrique. Doué, humilié... Les chapitres concernant cet Adolph H. au talent reconnu, alternent avec l'Hitler que nous connaissons, pour plonger dans la psyché de ce personnage honni de l'Histoire. Tantôt émouvant, tantôt pathétique, parfois drôle, le récit flirte avec la vérité historique pour nous amener vers notre propre vérité.

L'Histoire a crée ses monstres, mais qu'en est-il de notre propre part d'ombre ?

Même si l'on s'en défend, nous hébergeons tous en nous cet être de noirceur tapi, assoupi, qui n'attend qu'un déclencheur pour s'éveiller, s'étirer et peut-être, absorber cette lumière qui nous guide. Et tout peut être différent, tout aurait pu être différent.

Dans le cas d'Hitler, ma grand-mère n'aurait pas connu l'humiliation réservée aux femmes qui ont aimé un allemand, elle l'aurait rencontré lors de vacances entre amis dans le centre de la France, ils se seraient aimés, lui l'aviateur, elle la jeune femme qui se sacrifiait pour son père. Mon père aurait été le fruit de l'amour, le vrai, et non celui de la honte qui a suivi ses pas jusque dans sa tombe.

L'Humanité n'aurait pas subi l'un de ses génocides les plus atroces, on n'aurait pas eu de choix à faire, de camp à choisir, on aurait pas eu à survivre, le quotidien aurait été suffisant. On n'aurait pas appris à pleurer nos morts, à tenter de soigner le traumatisme de notre âme. Je ne suis pas naïve, la vie n'aurait pas été un océan de bonheur, mais on n'aurait pas connu cette horreur qui fait encore verser des larmes de peine mais aussi de haine.

Si j'avais rédigé cette chronique hier, j'aurais mis en avant la virtuosité de la plume d'Eric-Emmanuel Schmitt tout en déplorant quelques longueurs. J'aurais dit que j'avais apprécié cette lecture, qu'elle m'avait parfois arraché des sourires, et que j'avais trouvé Adolf Hitler pathétique parfois, que c'était même amusant finalement de se moquer de lui.

Aujoud'hui, je frisonne devant la pertinence de cette réflexion. Comme d'habitude, les mots d'Eric-Emmanuel Schmitt sont justes et s'imbriquent parfaitement dans la dualité qui nous définit.

La part de l'autre est en chacun d'entre nous... Cet autre, lové dans un petit coin de notre être, qui peut tout faire basculer...

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Et si ?
Et si cet homme avait été reçu à ce concours ?
Et si le jury avait été clément avec ce petit être freluquet, transparent, si banal ?
Et si la pièce était tombée du bon côté de l'Histoire ?
Aurions-nous basculé vers la lumière au lieu de nous enfoncer parmi les heures les plus sombres de l'Humanité ?
Aurions-nous engendré un Monstre ?

Cette question dérange. Elle nous renvoie au plus profond de nous. Quelle est cette part de « l' Autre » que nous renfermons ? Est-il possible qu'elle surgisse du néant pour s'imposer à nous ? Sommes-nous si différents de ce Führer au point de le considérer comme un être à part, exceptionnellement pervers, fou, génie du mal ? Sommes-nous assez naïfs pour laisser une nouvelle chance à l'Histoire de nous contredire à nouveau un jour ?

Oui, cette question dérange. Il était comme vous et moi, il n'est pas l'Autre mais nous l'avons laissé prendre cette part de l'Autre, nous ne l'avons pas cru et nous nous sommes lourdement trompés...
Plus jamais ! Plus jamais ça !

Eric-Emmanuel Schmitt nous offre une vision de l'Humanité à travers deux vies parallèles, celle d'un homme banal devenu Hitler, orateur hors pair, égocentrique, capable de lever les foules avec sa langue vipérine et la face noire du coeur, et celle de son alter ego imaginaire, Adolphe H, reçu aux Beaux-Arts, artiste, son exact contraire, qui exercera son talent de peintre dans une Europe en paix. Tout les oppose mais ce n'est pourtant qu'une petite minute de l'Histoire qui changera le Monde et les séparera.

Eric-Emmanuel Schmitt nous fait évoluer en alternance auprès de ces deux hommes, il nous joue avec virtuosité Wagner et puis Mozart, il nous fait courtiser avec grâce les jolies femmes de Montparnasse et nous sert avec une fièvre démente les foules aveuglées, il nous peint avec force le noir et le rouge de la svastika et nous offre de délicieuses aquarelles multicolores, il nous perturbe à ne plus savoir où se trouvent le Bien et le Mal, où se trouve cette part de l'Autre.

J'ai ressenti ce livre, ce voyage à travers les différents chapitres de la vie de ces deux hommes, comme on peut apprécier un repas dans un bon restaurant...
Tout se passe bien... Les chapitres se suivent comme les plats... apéritif, entrée, plat, fromage... tout m'a paru bon, fin, équilibré... l'instant est agréable, on se souviendra de cette très belle soirée... J'attendais la fin pour terminer en beauté... Mais cette fin, ce dessert, m'a un peu déçue... le flan qui retombe, le sabayon qui ne prend pas... Ce moment grinçant qui déçoit après tant de plaisir et qui va au final faire que le repas ne restera pas dans la mémoire. J'aurais aimé de l'apothéose dans ce bavarois ! (si je peux me permettre ce jeu de mots).
On se dit alors qu'on va sortir déçu du restaurant puis, par magie, comme on tourne encore une page après le point final, on découvre qu'Eric-Emmanuel Schmitt nous livre la genèse de son roman et la démarche intellectuelle et philosophique qui l'a habité durant toute la construction de celui-ci...
Le chef qui sort de sa cuisine pour te serrer la main et te demander ce que tu veux boire pour la maison... Et là tu découvres toute la finesse d'un Bas-Armagnac 18 ans d'âge, toute la force glaciale d'une grappa morbida, toute la saveur d'un pur malt écossais !
Vingt-cinq nouvelles pages d'intimité où on se retrouve accoudé au bar avec l'auteur et où tu te repasses tout le livre dans ta tête autour d'un dernier verre... Et tu comprends. Et tu apprécies. Et tu applaudis. Et tu lui mets quatre étoiles !

(Merci pour la découverte de ce beau roman, Magali)
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Eric-Emmanuel Schmitt se livre à un exercice périlleux et combien tabou à travers ce roman, couverture à l'appui: Hitler. A l'avancée de ce roman, Hitler s'insinuera dans les peurs de l'auteur. le passé semble encore tellement proche.

Dans ce roman, on découvre ou redécouvre une biographie romancée d'Adolf Hitler.
L'auteur ne prend pas le parti du jugement, il relate et apporte son juste nécessaire d'analyse. Il le nomme Hitler.
Il s'inspire de « La minute qui a changé le cours du monde ».
Que serait devenu Hitler s'il avait réussi aux Beaux-Arts ?

On le découvre dans les chapitres fictifs dessinant un portrait imaginé mais probable de l'artiste Adolf H.
Le génie de ce roman tient du fait que l'auteur s'inspire de la personnalité fanatique d'Hitler pour soudoyer la part de l'autre, un Adolf peu confiant, assailli de doutes, attiré par les femmes, rêveur.
L'auteur expose à travers de courts chapitres l'opposition de l'ombre et de la lumière. On suit, dans une suite chronologique d'évènements historiques la vie d'Hitler, le dictateur ou l'artiste raté et Adolf H., l'artiste acclamé.
« Ils ignoraient qu'ils n'avaient pas désigné un homme politique, mais un artiste. C'est-à-dire son exact contraire. Un artiste ne se plie pas à la réalité, il l'invente. C'est parce que l'artiste déteste la réalité que, par dépit, il la crée. D'ordinaire, les artistes n'accèdent pas au pouvoir : ils se sont réalisés avant, se réconciliant avec l'imaginaire et le réel dans leurs oeuvres. Hitler, lui, accédait au pouvoir parce qu'il était un artiste raté ».

Eric-Emmanuel Schmitt réussit l'impossible. Imaginer le visage de la part de l'autre. Imaginer que le bien et le mal cohabitent en chacun. L'auteur réussit avec talent à nous questionner sur ce qui conditionne tout un chacun à tracer un chemin en fonction de l'un ou de l'autre (le bien-le mal; la part de l'autre). Une minute suffit-elle a changer le destin ?
La question est posée, La part de l'autre lui donne la réplique avec brio.

Un roman marquant et magistralement retracé et orchestré.
Un coup de coeur pour toutes les questions qu'il suscite, pour la justesse et profondeur des lignes, parce que se rappeler est vital pour ne plus commettre à nouveau l'impensable.
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Et si Hitler avait eu un tout autre destin, s'il avait été accepté à l'école des Beaux-Arts comme il en rêvait, à quoi ressemblerait le monde aujourd'hui ?
Quelles alliances auraient ou non vu le jour ?
Y aurait-il un état juif et où serait-il implanté ?
Eric-Emmanuel Schmitt s'est risqué à créer un Adolphe H. humaniste, altruiste, qui cherche à se comprendre, qui aime d'amour et d'amitié.
Et on se surprend à rêver, à imaginer nos grands-parents préservés de la guerre et de son lot de souffrances, de peurs, de privations.
Face à cette version édulcorée d'Hitler, il y a le vrai personnage et son évolution vers la dictature, la haine du juif, la mégalomanie, la déchéance physique.
Le fossé entre les deux se creuse au fil des pages et , en tant que lecteur, on est de plus en plus attiré vers l'un et dégouté par l'autre.
Dans le journal que l'auteur a tenu tout au long de sa rédaction et qui figure en postface du livre, Eric-Emmanuel Schmitt dit s'être imposé une tension mentale tellement forte pour raconter cet horrible individu qu'il a eu peur pour son propre équilibre.
Lorsqu'il raconte la naissance de l'antisémitisme d'Hitler, on frissonne de dégoût face à ce délire qu'il retranscrit de façon heurtée et continue, lui-même révulsé par ce qu'il écrit.
La part de l'autre, c'est celle qu'on ne peut ignorer si l'on veut rester humain.

Un livre qui se lit sans ennui de bout en bout, qui captive et provoque la réflexion.
Je suis passée par une incroyable palette d'émotions qui resteront à jamais gravées en moi.
Une lecture inoubliable !
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Un coup de coeur pour ce roman magistral.

On suit le parcours de ces deux hommes Adolf H. et Hitler avec curiosité. EE Schmitt nous fait suivre sa pensée, son questionnement. On cherche le moment où tout va basculer, les indices qui prouveraient que lui, l'autre (surtout pas moi) était destiné au Mal. Que c'était écrit, inéluctable. Qu'il est tellement différent de nous.

Et puis on découvre un jeune homme dont on pourrait avoir pitié, qu'on pourrait avoir envie d'aider. On se dit que cette fois-ci l'histoire ne sera pas la même. Mais cette fois-ci encore l'histoire a suivi son cours et Hitler est devenu Hitler, l'homme qui a causé tant de souffrances.

Par ses choix EE Schmitt se révèle énormément. La mort de son chien adoré, l'hypnotisme ... j'ai eu l'impression qu'il fallait un déclencheur, qu'Hitler ne pouvait pas être naturellement mauvais.

Il le confirme d'ailleurs dans le journal en postface. M. Schmitt est un humaniste qui pense (si j'ai bien compris) qu'on ne nait pas mauvais, mais qu'on le devient.



Mais qu'est-ce que ça implique? ça implique que, quel que soit notre passé, notre enfance, nos meurtrissures, notre destin n'est pas une fatalité. Nos zones d'ombre il faut les découvrir, les regarder droit dans les yeux, les accepter pour mieux lutter contre elles.

Je crois que c'est ce qu'il a fait en écrivant ce roman. IL a regardé celui qui, pour lui, ressemblait le mal, s'est mis dans sa peau, a essayé de le comprendre pour mieux saisir dans quelle mesure il était en lui.



Un roman troublant, essentiel, intelligent ... , un roman d'Eric-Emmanuel Schmitt...
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Cela faisait déjà un petit moment que j'avais ce livre sous le coude et j'attendais à chaque fois le bon moment pour le lire mais je ne sais pas si il y a réellement un moment approprié car je savais déjà plus oyu moins à quoi m'attendre et je pense que c'est cela que je redoutais. En effet, Eric-Emmanuel Schmitt retranscrit ici une superbe uchronie de l'histoire mondiale.
A travers l'histoire de deux hommes qui ne sont en réalité qu'un, Adolf H. et Hitler, l'un étant la part d'umanité qui se trouve en chacun de nous et l'autre, au contraire, son pire ennemi, à savoir un monstre démuni de sentiments et capable des pires choses qui soient sur cette terre.

Adolf H. est un jeune homme très humain qui a réussi son concours d'entrée à l'école des Beaux-Arts, qui s'épanouit au fur et à mesures autant dans ses relations amicales qu'amoureuses et, plus que tout, apprend l'amour altruiste, en prenant du plaisir à donner du plaisir aux autres. Cet homme va d'ailleurs en payer les frais puisqu'en ayant appris à aimer plus qu'à être aimé, il va également découvrir ce qu'est la souffrance, et notamment la souffrane de perdre un être proche.

En parallèle de cette histoire, le lecteur découvre celui qu'il croyait connaître au travers des abominables actes qu'il a commis lors de son arrivée à la tête du parti naziste en Allemagne mais il se rend également compte qu'il ignorait une grande partie de sa vie avant qu'il ne devienne cet homme-là. En tous cas, ce fut valable pour moi et je crois que c'est un peu pour cela que je remettais sans cesse à plus tard la lecture de ce livre car l'auteur nous démontre qu'il existe un Hitler enfoui au plus profond de nous, qui est la part la plus obscure de nous-mêmes et que, même si c'est un être que l'on exècre, il est suscepible de remonter à la surface.


Un roman bsoulument envoûtant et captivant, tantôt effrayant, tantôt attendrissant. L'écriture d'Eric-Emmanuel Schmitt fait parfois peur tellement elle réveille en nous des émotions fortes, soit en nous indignnant, soit en nous démontrant que nous avons rarement raison et que l'erreur peut parfois être dangereuse autant qu'elle peut être instructive. Un roman, certes, mais aussi une magnifique leçon d'histoire, de morale et de philosophie. Une merveille. A lire sans faute !
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Que se serait-il passé si Hitler avait réussi les beaux arts ?
On a décrits en parallèle les deux parcours possibles d'Hitler, et son évolution dans chacun. L'évolution du monde aurait elle aussi été tout autre. Très bien écrit, une uchronie plaisante.
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Par quoi commence le récit et la vie d'Adolf H.?

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Thème : La Part de l'autre de Eric-Emmanuel SchmittCréer un quiz sur ce livre

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