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Bruce Bégout (Traducteur)
EAN : 9782844851260
77 pages
Allia (27/08/2003)
3.86/5   7 notes
Résumé :
“On qualifie l’étranger d’ingrat, dans la mesure où il refuse de reconnaître que le modèle culturel qu’on lui propose lui procure asile et protection. Mais les gens qui le traitent ainsi ne s’aperçoivent pas que, au cours de sa phase de transition, l’étranger ne considère pas du tout ce modèle comme un asile protecteur, mais bien plutôt comme un labyrinthe dans lequel il a perdu tout sens de l’orientation.”
Les deux "essais de psychologie sociale" qui compose... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
J'ai lu ces deux brefs textes, animé(e) par une immense curiosité est convaincu(e) de devoir surmonter quelques difficultés de jargon sociologique. J'y ai au contraire glané de nombreux éclaircissements voire des définitions telles que celle du sociologue "un scientifique qui observe de manière désintéressée le monde social" ou bien celle du "modèle culturel de la vie d'un groupe : toutes les valeurs, institutions, systèmes d'orientation et de conduite particuliers (comme le folklore, les moeurs, les lois, les habitudes, les coutumes, les étiquettes, les modes) qui, selon l'opinion commune des sociologues actuels, caractérisent – si ce n'est constituent – chaque groupe social à un moment donné de son histoire." C'est au fond l'élément de stabilité, la familiarité du quotidien, de notre environnement que nous jugeons plus ou moins sécurisés. L'étranger introduit la différence dans un groupe mais au prix, pour lui-même, de la perte de cette familiarité au monde. C'est ce que relève l'auteur : "le modèle culturel ne fonctionne plus comme un système de recettes éprouvées à notre disposition ; cela montre que son applicabilité se limite en fait à une situation historique spécifique. [...] L'étranger, lui, de par sa situation de crise (du point de vue du nouveau groupe, l'étranger est toujours un homme sans histoire) personnelle, ne partage pas [c]es présupposés de base.[...] Il devient essentiellement l'homme qui doit remettre en question à peu près tout ce qui semble aller de soi aux membres du groupe qu'il aborde."
J'ai beaucoup apprécié la conclusion énoncée avec clarté : "L'adaptation du nouveau venu à ce groupe qui pouvait lui sembler à première vue étrange et inhabituel est un continuel processus d'enquête au sein du modèle culturel du nouveau groupe." En quête donc, d'une place qui serait sienne, l'étranger demeure donc l'objet de toutes les enquêtes (sociale, de police, de proximité, de moralité, fiscale). Seule la réussite de ce processus conduit à l'exercice de la fonction protectrice du groupe sur l'étranger. "Mais alors l'étranger ne sera plus vraiment un étranger et ses problèmes spécifiques auront été résolus." Utopie de l'intégration ? Au bout de sa quête, l'étranger deviendrait ainsi lui-même enquêteur.
Le second texte (L'homme qui rentre au pays) s'ouvre sur l'exemple d'Ulysse, le plus fameux retour au pays de la littérature mondiale. "Malheur ! Où ai-je à présent atterri !" Prenant comme point de départ cette opinion que "l'étranger qui migre doit anticiper ce qui l'attend avec peu ou pas d'éléments de départ ; l'homme qui rentre au pays n'a, lui, qu'à puiser dans ses souvenirs passés, l'auteur va démontrer que le pays natal constitue aussi bien un point de départ que d'arrivée (Le Terminus paradis?). Néanmoins, du fait de "l'irréversibilité de la temporalité interne", "celui qui rentre au pays n'est plus le même homme que celui qui en est parti." Il a "goûté le fruit magique de l'étrangeté, qu'il soit doux ou amer" et par conséquent "l'homme qui rentre au pays et celui qui l'accueille auront tous deux besoin de l'aide d'un Mentor" pour "les instruire des choses." L'exemple développé est celui du soldat de retour de la guerre. Ce serait donc que là le paradoxe de l'étranger itinérant devenu citoyen du monde et de nulle part, nouvel arrivant chez les autres, plus tout à fait des "nôtres" quand il retourne chez les siens.
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En 1944, lorsqu'il écrit ce bref essai, Alfred Schütz vient de s'exiler aux États-Unis et d'intégrer la New York School of Social Research, auprès d'Hannah Arendt et de Hans Jonas. C'est donc très certainement d'expérience, et de son propre trouble qu'il parle, tout en échafaudant une puissante épistémologie de l'incompréhension du « stranger » face au « modèle culturel » de la société dans laquelle il aspire à être admis.
« Stranger », ce n'est pas que l'étranger [« foreigner »], ça peut être : « le candidat qui désire devenir membre d'un club fermé, le futur marié cherchant à se faire accepter par sa belle-famille, le fils de paysan qui entre au lycée, le citadin qui s'installe à la campagne, la recrue qui rejoint l'armée [...] » (p. 7), mais, soyons clairs, il sera dorénavant toujours question de « l'immigré »...
Le « modèle culturel », c'est une « manière de penser habituelle », une « relativ natürliche Weltanschauung (conception relativement naturelle du monde) » (p. 17), en somme, c'est une forme paresseuse de savoir rapporté mais, aussi « (1) incohérente, (2) claire seulement en partie, (3) non exempte de contradictions » (p. 13) soit-elle, elle a néanmoins cours dans toute société donnée, à certaines conditions, et elle englobe et prévoit jusque sa propre évolution.
L'immigré, lui, est porteur de son propre modèle culturel, celui de son groupe natal, résultat d'un développement historique ininterrompu - « Tombeaux et souvenirs sont choses que l'on ne peut transférer ni acquérir » (p. 20). Il va donc interpréter son nouvel environnement, et notamment le nouveau modèle culturel dans lequel il évolue, de façon « nécessairement inadéquate », d'autant plus qu'il en devient partie prenante : « bondissant, pour ainsi dire, de la salle sur la scène, l'ancien spectateur devient un membre de la troupe. » (p. 22)
« Cela revient à dire que, pour l'étranger, le modèle culturel du nouveau groupe n'est pas un refuge mais un pays aventureux, non quelque chose d'entendu mais un sujet d'investigation à questionner, non un outil pour débrouiller les situations problématiques mais une situation elle-même problématique et difficile à dominer.
Ceci explique les deux traits fondamentaux de l'attitude de l'étranger envers le groupe […] à savoir (1) l'objectivité de l'étranger et (2) sa loyauté ambiguë. » (pp. 35-36).
Si le premier trait a tout d'un avantage, provoqué par sa capacité de distanciation critique, le second a tendance à rendre l'immigré un « homme marginal », un « hybride culturel qui vit à la frontière de deux modèles différents de vie, sans savoir vraiment auquel des deux il appartient. » (p. 37) ; de plus, il sera accusé d'ingratitude et regardé avec méfiance.

Le livre se compose aussi d'un autre court essai, « L'Homme qui rentre au pays » (The Homecomer) qui s'élabore d'après le thème homérique du retour d'Ulysse à Ithaque. Il constitue donc le complémentaire du précédent en termes d'incompréhension du « migrant » qui revient. Cet essai date de 1945 et a pour objet spécifique le retour des vétérans (américains d'Europe ou du Japon), dont l'expérience de guerre est incompréhensible pour ceux qui ne connaissent que les images de la propagande, et dont les qualités humaines ont été altérées par cette expérience. En cela, bien que les guerres et les vétérans ne manquent pas alentour aujourd'hui, il m'a moins intéressé que le précédent.
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Assurément, du point de vue de l'étranger aussi, la culture du nouveau groupe possède son histoire particulière, et cette histoire lui est même accessible. Néanmoins elle ne parvient jamais à former une partie intégrante de sa biographie, comme a pu le faire l'histoire de son groupe d'origine. Seul le mode de vie de ses parents et de ses grands-parents devient pour un homme la base de sa propre manière de vivre. Tombeaux et souvenirs sont choses que l'on ne peut transférer ni acquérir. L'étranger, par conséquent, aborde l'autre groupe comme un nouveau venu au sens véritable du terme. Dans le meilleur des cas, il souhaitera et pourra être tout disposé à partager avec ce nouveau groupe le présent et l'avenir au sein d'une expérience vivante et immédiate. Cependant, pour ce qui est des expériences passées, cela est totalement exclu. Aussi, du point de vue du nouveau groupe, l'étranger est toujours un homme sans histoire.
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La loyauté ambiguë de l'étranger est, malheureusement, très souvent plus qu'un simple préjugé de la part du groupe qui l'accueille. Elle est en particulier incontestable dans les cas où l'étranger s'avère réticent ou incapable de substituer intégralement au modèle culturel de son groupe d'origine le nouveau modèle culturel. Alors l'étranger demeure ce que Park et Stonequist ont adéquatement nommé un "homme marginal", un hybride culturel qui vit à la frontière de deux modèles différents de vie, sans savoir vraiment auquel des deux il appartient. Mais, très fréquemment, le reproche de loyauté ambiguë trouve sa source dans l'étonnement des membres internes du groupe de voir que l'étranger n'accepte pas en bloc leur modèle culturel comme la manière de vivre la plus naturelle et appropriée, comme la meilleure des solutions possibles à tous ses problèmes. On qualifie alors l'étranger d'ingrat, dans la mesure où il refuse de reconnaître que le modèle culturel qu'on lui propose lui procure asile et protection. Mais les gens qui le traitent ainsi ne s'aperçoivent pas que, au cours de sa phase de transition, l'étranger ne considère pas du tout ce modèle comme un asile protecteur, mais bien plutôt comme un labyrinthe dans lequel il a perdu tout sens de l'orientation.
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Ce qui est ici en question, ce n'est rien de moins, en fin de compte, que l'irréversibilité de la temporalité interne. Il s'agit du même problème qu'a signalé Héraclite en disant que nous ne nous baignons jamais deux fois dans le même fleuve ; qu'a analysé Bergson dans sa philosophie de la durée ; qu'a décrit Kierkegaard sous le terme de "répétition" ; qu'avait à l'esprit Peguy lorsqu'il disait que la route qui conduit de Paris à Chartres n'a pas le même aspect que la route qui mène de Chartres à Paris ; et c'est encore ce même problème qui, sous un visage en quelque sorte déformé occupe la Philosophie du présent de G. H. Mead. Le simple fait que nous vieillissons, que de nouvelles expériences surgissent continuellement à l'intérieur de notre courant de conscience, qu'à la lumière de ce surgissement continuel qui modifie plus ou moins notre esprit, les expériences passées reçoivent en permanence de nouvelles interprétations, tous ces éléments fondamentaux de notre vie mentale empêchent la répétition du même. En se répétant, ce qui se répète n'est plus le même. On souhaiterait parvenir à la répétition, on la désire même ; mais rien de ce qui appartient au passé ne peut jamais être reproduit dans le présent exactement tel qu'il a été.
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Ainsi le pays natal signifie une chose pour l'homme qui ne l'a jamais quitté, une autre pour celui qui vit loin de lui, et encore une autre pour celui qui y retourne.
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En se répétant, ce qui se répète n'est plus le même. On souhaiterait parvenir à la répétition, on la désire même; mais rien de ce qui appartient au passé ne peut jamais être reproduit dans le présent exactement tel qu'il a été. (...) En résumé, l'expérience antérieure a maintenant reçu une toute autre signification.
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