Le scénariste et romancier
Irwin Shaw semble être aujourd'hui tombé dans l'oubli. Victime du maccarthisme, inscrit sur la liste noire du cinéma il connut le succès avec
le Bal des maudits, adapté au cinéma en 1958 par Edward Dmytryk et avec
Quinze jours ailleurs, adapté en 1962 par
Vincente Minnelli. C'est aussi grâce à la télévision qu'il bénéficia d'une large audience, avec l'adaptation de son roman
le Riche et le pauvre.
Il est aujourd'hui difficile de se procurer ses nouvelles et ses romans.
Vol nocturne, publié en 1975, narre les aventures initiatiques tardives de Douglas Grimes, un trentenaire d'extraction modeste, passionné d'aviation. Lorsque sa carrière de pilote privé est compromise suite à une maladie des yeux, il erre désabusé, puis vivote comme gardien de nuit dans une résidence de seconde zone. le destin frappe curieusement à sa porte lorsqu'un client trépasse dans le couloir de l'hôtel. En emportant par réflexe un tube en carton ayant appartenu à la victime, Grimes s'aperçoit que celui-ci dissimule des milliers de dollars. « Une vie nouvelle s'était ouverte devant moi, mais je ne voulais pas y entrer les mains tout à fait vides. » Grimes est un joueur, et un parieur. Il donne sa démission, s'envole pour l'Europe, et à la suite d'une confusion de valise, fait la connaissance d'un flamboyant escroc, qui sera un rival, un mentor, puis un complice, Miles Fabian.
Vol nocturne est le récit d'une fuite, et d'une initiation. Shaw dresse le portrait d'un homme honnête malgré le pêché originel du vol du mort, que la vie n'avait pas préparé à regarder par dessus son épaule et à parcourir le monde. le couple formé par Grimes, intelligent et modeste, et Fabian, l'escroc sûr de lui, bien décidé à mener grand train malgré ses origines, est l'une des grandes réussites du roman. Nous sommes loin du couple Tom Ripley/ Dickie Greenleaf . On pense un peu à l'improbable duo
Vittorio Gassman/
Jean-Louis Trintignant dans le Fanfaron: l'aisance en toute circonstance, les voyages vers des destinations toujours plus prestigieuses, Florence, Saint-Moritz, Gstaad, la Côte d'Azur…Grace à Fabian, Grimes doit apprendre de nouveaux codes sociaux et amoureux, le gout des belles choses et de la Dolce Vita, avec un seul mot d'ordre. Profiter. Chaque homme a droit à sa part du gâteau, surtout quand ceux qui dirigent le monde ne s'en privent pas. Nous sommes en plein Watergate, les allusions sont nombreuses. Mais « Bien mal acquis ne profite jamais », et le roman initiatique doit un jour s'achever.
Je suis donc très satisfaite d'avoir enfin pu lire un roman d'
Irwin Shaw, dont j'avais apprécié les scénarios dont ceux d'
Arc de Triomphe d'
aprèsErich Maria Remarque , Un acte d'amour d'Anatole Litvak ou Barrage contre le Pacifique d'
aprèsDuras. Si son parcours d'écrivain a toujours été lié à l'univers cinématographique, (Engagé comme simple soldat lors de la seconde guerre mondiale, il fut approché par William Wyler qui réalisait des documentaires et intégra l'équipe du metteur en scène George Stevens. En 1974, il fut membre du jury du Festival de Cannes.), son écriture ne souffre pas de certains "tics" caractéristiques. Il ne conçoit pas son roman comme un scénariste conçoit son récit.