L'un des bonheurs que nous offre la littérature, est sans aucun doute le bonheur de voyager depuis son fauteuil qu'il soit de salon ou de train vers d'autres horizons, de nous transporter vers d'autres cultures que jamais peut-être nous n'approcherons, ou au contraire de nous préparer à ces rencontres que nos désirons.
Et "
Méchamment Berbère" fait partie de ces livres autobiographiques qui nous permettent de connaître une de ces cultures éloignées de la nôtre, une culture que certains même, rejettent avec force et dédain voire avec dégoût...le monde de ces familles d'un autre monde, celui de la pauvreté, celui de ces immigrés originaires d'Afrique du Nord, le monde de ces gamines "mariées à treize ans, enceintes à quatorze et battues à partir de quinze ans", le monde de ces femmes passant leur vie dans leur appartement, entièrement dépendantes d'un Vieux, qui n'a strictement aucune considération pour elles
Un monde dérangeant....un monde glauque qu'on connaît grossièrement à coups de poncifs, de on-dit, un monde source de débats politiques et d'idées toutes faites, préconçues...mais que peu ont approché..
"Quand on est de Marseille, on est condamné à ne plus croire à rien!" écrivait
Gaston Leroux
Et pourtant comment ne pas croire
Minna Sif?
Babelio et Masse critique m'ont offert ce livre en échange d'un commentaire. Un commentaire qui fera suite à quelques heures de trouble grandissant au fur et à mesure de cette lecture, de cette baffe parfois glauque.
Ecriture coup de poing car elle décrit un monde violent, celui de ces familles venues en France pour fuir la pauvreté de leur Maroc originel, et en découvrant une autre encore plus violente, celle de ces immeubles sordides dans lesquels vivent aux cotés des rats, ces hommes, responsables de familles, qui plaqueront femmes et enfants, sans état d'âme, pour courir vers une gamine qu'ils plaqueront plus tard,elle aussi, quand son ventre sera déformé par les grossesses qui suivent les grossesses, quand ils en auront marre de lui balancer des claques chaque fois qu'elle osera le contredire.Ces hommes qui captent les allocations familiales pour construire une maison au Maroc.
La vraie héroïne de ce texte, ce n'est pas un roman, c'est Inna, la maman en langue berbère, faite pour enfanter et tenir le foyer et plaquée pour une plus jeune par le vieux qui l'avait eue alors qu'elle était encore ado.
Inna qu'on admire !
"Elle nous a tirés du tiers-monde sans nous accoler la fameuse étiquette d'enfants d'immigrés prêts à un emballage d'infortune."
Comment ne pas être perturbé par ces phrases et cette langue brutes, sans aucune rondeur ni douceur...mais comment comment parler de la brutalité de cette vie sans employer cette langue...il y aurait un décalage incompréhensible !
Comment ne pas être ému par cette crasse, par ces fils et frères qui sont sortis de cette fange et qui dorénavant la regardent avec dédain, elle et ceux qu'elle habille, par ces femmes répudiées ou mises dans ces bordels crasseux, par ces superstitions d'un autre temps, par ces gamins placés par les services sociaux, et par ces promenades dominicales dans les beaux quartiers pour découvrir un monde inconnu qui fait rêver....
J'ai été percuté par cette écriture coups de poings...Au pluriel. Ému par ces femmes seules personnages auxquelles le roman rend hommage. Tout le travail, tout le peu de bonheur reposent sur elles. Les hommes sont jetés au pilori. Comment pourrait-il en être autrement quand on lit leur faible considération, pour leur épouse kleenex qu'on peut jeter à la rue, à tout moment ?
Il est bon de lire ce qui se passait dans ces tours et ces barres d'immeubles des quartiers dans lesquels on n'ose s'aventurer. Est-ce toujours d'actualité ?
Au moins faites le depuis votre fauteuil... au risque d'être dérangé, fortement perturbé par ces portraits de femmes et de familles déracinées abandonnant lentement leurs traditions pour l'émancipation.