La vie tumultueuse de Mary W.

On connaît tous Mary Shelley, on connaît moins voire pas du tout sa mère, Mary Wollstonecraft et, pourtant, celle-ci, également auteure mais aussi philosophe, a déchaîné en son temps moults débats, entre respect et dénigrement, admiration et rejet.

Pionnière du féministe, considérant que les femmes se doivent de prendre leur destin en main pour devenir égales aux hommes, Mary Wollstonecraft a mené une vie loin des conventions de l'époque. Son anti-conformisme, du point de vue de la manière dont elle a dirigé (pas toujours volontairement d'ailleurs) ses amours lui a valu une réputation qui a longtemps éclipsé son oeuvre et ses engagements. "Aucune femme soucieuse du respect qu'elle se doit d'elle-même ne saurait lire ses oeuvres", pouvait-on alors écrire à son sujet ! Édifiante recommandation destinée à laisser les femmes dans l'obscurantisme et, par conséquent, dans la soumission.

Alors que le 200ème anniversaire de Frankenstein était fêté à grand renfort d'hommages et de publications, Samantha Silva s'est demandé ce que Mary Wollstonecraft, à l'aube de sa courte vie, aurait voulu transmettre à sa fille, comment elle se serait racontée, avant que la fièvre purpérale ne l'emporte quelques jours après son accouchement. Cette idée de roman a d'autant plus traversé la romancière qu'elle perdait sa propre mère à cette époque.

Choisissant le versant romancé , Samantha Silva a tissé un magnifique et poignant récit enrichi par un personnage de femme à l'opposé de Mary Wollstonecraft.

Ce personnage de fiction, Mrs B., est la sage-femme chargée de prendre soin de Mary W. Peu accoutumée à se laisser envahir par l'empathie, tant donner la vie était alors un évènement risqué dans la vie d'une femme, Mrs B va se retrouver subjuguée par cette femme libre et moderne, emportée par un sentiment d'admiration, d'attachement pour sa patiente qui sans le savoir lui entr'ouvre la perception d'un monde différent. Témoin de l'étonnante relation pour l'époque, car faite d'égalité, de respect et de démonstrations d'affection , entre Mary et son époux, Mrs B. va amorcer sans vraiment s'en rendre compte un virage vers la modernité.

Excellent roman choral avec deux femmes, l'une réelle, l'autre inventée, très attachantes et l'on se surprend à regretter que la seconde n'ait pas réellement existé pour accompagner la première. A lire.

Nous sommes à la toute fin du 18e siècle en Angleterre, la France a tué son roi, l'Amérique s'émancipe et dans ses milieux intellectuels, le libéralisme des pensées et des moeurs frémit. Avec ce panorama en toile de fond, La vie tumultueuse de Mary W. raconte l'émancipation d'une jeune femme dont la volonté de caractère et l'intelligence triompheront d'un prédéterminisme peu encourageant. Un père soulard aussi violent que dépensier, une mère née d'un meilleur milieu mais aculée par la ruine et les naissances multiples, une éducation à la hauteur de celle qui était donnée aux filles de cette époque, autant dire nulle, rien n'était gagné d'avance pour Mary. Pourtant, l'opportunité de certaines rencontres, la ténacité et l'esprit critique donneront à cette trajectoire un destin hors du commun.
Comme je ne connaissais pas la vie de Marie Wolkstonnecraft avant de lire ce roman, je ne peux distinguer ce qui relève de l'invention fictionnelle et ce qui rend hommage à la vérité biographique. C'est assez ennuyeux car je me retrouve dans l'impossibilité de distraire ce qui appartient à notre époque et ce qui relève effectivement des années 1790. Car Mary a tout d'une héroïne contemporaine : des amours féminines et masculines, une envie de vivre la beauté des relations sans en subir l'entrave, une soif de liberté et d'indépendance supérieure à toutes les contraintes, un désir d'apprendre et de forger sa propre opinion. Rien que ne renierait une lectrice du 21e siècle.
Les remerciements à la fin du roman ainsi que les références bibliographiques laissent entendre une solide préparation historique à la rédaction de ce livre et on peut donc supposer que les troublantes similitudes entre nos deux époques, les concordances des temps, disent finalement la possible répétition de l'histoire et ne sont pas l'adaptation de cette dernière à ce qu'on voudrait en faire aujourd'hui. Ou du moins pas au point que cela en devienne faux. Ce qui m'a fait songer que si les réflexions féministes en étaient vraiment là à la fin du 18e siècle, on avait vraiment régressé ensuite ! Et que le 19e sera bien plus puritain et oppressif à l'endroit des femmes que ce que promettait l'Europe de 1790.
Le propos tisse deux temporalités : celle de la naissance de la futur Mary Shelley et celle de la vie passée de Mary W, sa mère. L'entrelacs n'est pas gênant, il est convenu, guère justifié mais assez léger pour qu'on l'oublie. Et il dynamise peut-être la narration. Quoiqu'il en soit, c'est un roman qui se lit avec beaucoup de bonheur et qui peint un personnage féminin puissant. C'est toujours bon à prendre. Dans le détail, j'ai pu trouver que certaines postures de Mary W, à l'égard de son amant américain notamment, étaient difficiles à faire entrer dans la cohérence globale du personnage et la pastorale norvégienne m'a semblé un peu longuette et moins inspirée. J'aurais préféré qu'on écourte ce passage pour nous raconter comment les deux parents de la toute petite Mary s'étaient finalement trouvés. Mais ce sont des peccadilles qui n'ont en rien entamé mon plaisir de lecture.

Je remercie chaudement Babelio et les éditions 10/18 qui m'ont permis de découvrir ce livre grâce à une Masse Critique !

J'ai beaucoup aimé ce voyage prenant à travers la vie agitée de Mary Wollstonecraft. Je savais qu'elle était la mère de Mary Shelley et j'ai lu un de ses livres il y a fort longtemps en fac et c'est à peu près tout, si ce n'est qu'elle est réputée pour avoir été une pionnière sur de nombreux sujets.

Cette biographie romancée est passionnante et se lit très vite, un peu comme le rythme de la narration. Je ne peux pas juger de la langue originelle, l'ayant lu en français, mais la traduction française est de qualité et le récit très agréable à lire.

On découvre Mary dans toutes ses pensées, ses défauts, ses qualités, ses forces et ses faiblesses. Et l'intrigue est bien rythmée car dès que je commençais à manquer de souffle vis-à-vis des (més)aventures de Mary, revenir à la narration de la sage-femme était toujours bienvenu.
Malgré l'affection que j'ai développée pour le personnage de Mary, ce sont d'ailleurs les chapitres de Mrs B. qui m'ont le plus plu : on comprend très vite que l'inéluctable va se produire (car Mary disait elle-même ne pas donner dans les fins heureuses et plus globalement, c'est là toute l'existence de ce livre, la vie passée tournée vers la mort qui parle à la vie naissante) et pourtant, malgré tout, ce sont les chapitres les plus beaux pour moi.

En outre, j'avais adoré étudier Frankenstein au lycée et j'en garde encore des détails, des souvenirs bien précis. Sans que je m'y attende, ce récit a fait écho à cette étude (j'avais gardé en tête notamment certains thèmes majeurs de Frankenstein, et en lisant ce livre, j'ai compris pourquoi ils avaient émergé du récit de Mary Shelley) et cette mise en lumière teintée de souvenirs m'a fait énormément plaisir et m'a touchée.

J'étais ravie de découvrir la fabuleuse et très remplie existence de la non moins fabuleuse, formidable et redoutable Mary Wollstonecraft, qui gagne à être reconnue pour toute son oeuvre et sa façon de vivre sa vie en des temps où on parlait peu de droits des femmes.
Une très belle lecture !

La tumultueuse vie de Mary W. est une biographie romancée de Mary Wolstonecraft, mère de Mary Shelley. le titre est à propos car l'autrice, Samantha Silva, oriente son récit autour de la vie originale du personnage femme libre et pensante du XVIIIèS. Issue d'une famille abusive et d'un père violent et alcoolique, jeune, elle décide qu'elle ne se mariera pas afin de n'être jamais à la merci d'un homme. Elle développe son idée, écrit des ouvrages sur la question qui font date, participe aux salons réunissant les intellectuels de l'époque, se montre très éloquente et convaincante envers tous, particulièrement les jeunes femmes.
Seulement voilà, le récit s'ouvre sur son deuxième accouchement et on découvre qu'elle est mariée depuis quatre mois avec un certain Mr Godwin dont elle est très amoureuse. Tout le ressort de ce roman biographique va être de comprendre ce qui l'a poussé au mariage. On y rencontre un personnage sensible et touchant, d'une grande force de persévérance qui l'emmènera vers le meilleur comme vers le pire. le roman donne beaucoup de place à l'émotion, à la vie intérieure de Mary, laissant un peu dans l'ombre les circonstances ; ce qui m'a poussé à me questionner quelques fois sur la crédibilité du personnage. Mais quelle force romanesque !

En second plan, prend place dans le récit la douce et dévouée Mrs B, accoucheuse de Mary qui restera longtemps à son service. La sculpture de ce personnage est bien différente, plus en retenue, discrète bien qu'elle soit forte de son expertise, elle se fait écraser par les médecins et les hommes que va mettre le roman sur sa route, des relations inégales pleine d'incompréhensions. C'est à travers ces deux pôles, ces deux femmes que le récit trouve un équilibre, car toutes les femmes ne peuvent être l'esprit libre de Mary Wolstonecraft, beaucoup ressemble davantage à Mrs B. Cette femme va évoluer au contact de Mary. Car, au deuxième niveau de lecture une toile souterraine se tisse entre les femmes (l'araignée est un symbole tout au long du roman), on les voit s'enrichir les unes des autres, faire force et grandir. Cette subtilité et profondeur du roman est sa plus grande force, elle fait écho à ce que traversent les femmes d'aujourd'hui et nous rappelle cette longue toile qui unit les femmes dans les temps et dans les géographies.

Le très beau titre original – "Love and Fury" – perd sa poésie dans la version française en devenant "La vie tumultueuse de Mary W." ... Nécessité d'expliciter le contenu, peut-être ? Au final, seuls les quelques connaisseurs de la dame, grâce au portrait choisi pour la couverture, sauront de quoi il retourne. Espérons en tout cas que l'attrait prometteur de cette "vie tumultueuse" suffise pour les autres à se plonger dans cette lecture, tant ce roman mérite d'être découvert. Samantha Silva, tout d'abord spécialiste de la figure de Dickens (à qui elle a consacré son premier roman), a décidé de se lancer dans cette aventure après une discussion concernant Mary Shelley, dans l'ombre de qui se cachait trop souvent sa pourtant illustre mère. Pour raconter la vie on ne peut plus rocambolesque de celle que ses amis philosophes appelaient sobrement Wollstonecraft, l'autrice a choisi une structure romanesque judicieuse qui sert tout particulièrement bien les nombreux événements historiques racontés au fil du livre.

En effet, plutôt que de restituer chronologiquement le destin du personnage via un point de vue omniscient (ce qui aurait constitué la porte d'entrée la plus facile), Samantha Silva choisit une période clef de la vie de Mary comme premier point d'ancrage, à partir duquel deux narrations en alternance permettront de reconstituer son parcours, à travers un intelligent jeu d'aller-retour dans le temps. Ces onze jours entre son accouchement et sa mort, au centre du livre, nous permettent de suivre la précautionneuse et attentionnée Mrs Blenkinsop et de découvrir à travers ses yeux la figure fascinante de Mary, tandis que Mary elle-même narre les grandes étapes de sa vie à son bébé. le dehors et le dedans, au rythme d'un chapitre sur deux, tandis que s'égraine le temps jusqu'à l'heure fatidique...

le résultat est fort et émouvant, porté par une écriture fluide et sobre qui rend les événements d'autant plus poignants. On vit ces quelques jours comme un personnage à part entière de l'histoire, un membre de la famille qui partagerait avec les protagonistes ces heures de peine et d'espérance entremêlées. Même lorsqu'on connait l'issue, on les accompagne avec le vif désir de voir mère et fille s'en sortir l'une comme l'autre. Au fil des jours qui passent, un même sentiment d'urgence envahit les différentes voix du récit, dans le fond comme dans la forme. L'inquiétude de Mrs Blenkinsop grandit devant la santé défaillante de sa patiente, tandis que la biographie de Mary par elle-même, en même temps qu'elle multiplie les (réels) rebondissements, s'empresse d'arriver à son terme avant qu'elle ne possède plus la vie pour le faire. le coeur du lecteur, battant de plus en plus vite, les suit dans cette course.

A dessein ou par un mystérieux hasard, les éléments clefs de la vie de la future Mary Shelley apparaissent déjà dans ces quelques jours qui réunissent mère et fille. La question du nom occupe une grande partie du récit, de même que l'attrait du voyage, voire de la fuite, sans oublier évidemment le poids écrasant des convention sociales et la place de la femme. Racontées comme une transmission de l'une à l'autre, ces onze journées ne peuvent une fois encore que nous amener à nous interroger sur l'étonnant mystère des héritages familiaux et des répétitions transgénérationnelles, tant ces thématiques occupent les destins en miroir de Mary Wollstonecraft et Mary Shelley. Questionnement plus fort encore que le roman de Samantha Silva est extrêmement bien documenté et fidèle aux événements historiques.

En bref : Un roman fort et émouvant sur la figure de Mary Wollstonecraft, pionnière du féminisme en Angleterre et mère de la future Mary Shelley. En choisissant comme point d'ancrage les onze jours qui deviendront l'unique point de jonction entre la mère et la fille, Samantha Silva nous embarque dans un voyage passionnant dans le tumultueux siècle des Lumières, aux quatre coins de l'Europe, des salons des philosophes britanniques aux rues mouvementées du Paris révolutionnaires. Sa plume à la fois fluide et profonde redonne vie à cette figure majeure des lettres anglaises et refait d'elle un être de chair et d'émotions. Vibrant, "La vie tumultueuse de Mary W." est un véritable coup de coeur.
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