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EAN : 9782080208842
432 pages
Mialet Barrault (07/10/2020)
3.54/5   844 notes
Résumé :
Si l'oeuvre éblouit, l'homme était détestable. Charles Baudelaire ne respectait rien, ne supportait aucune obligation envers qui que ce soit, déversait sur tous ceux qui l'approchaient les pires insanités. Drogué jusqu'à la moelle, dandy halluciné, il n'eut jamais d'autre ambition que de saisir cette beauté qui lui ravageait la tête et de la transmettre grâce à la poésie. Dans ses vers qu'il travaillait sans relâche, il a voulu réunir dans une même musique l'ignoble... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (156) Voir plus Ajouter une critique
3,54

sur 844 notes
Avec Crénom Baudelaire, Jean Teulé nous offre une biographie romancée de l'auteur des Fleurs du mal, assez irrévérencieuse, mais ô combien savoureuse ! Ce très bon conteur, nous peint avec moult grivoiseries le portrait d'un homme décrit comme un punk défoncé du matin au soir, adepte de la confiture verte, extrait gras de haschisch mêlé à du miel et des aromates qu'il prenait en décoction dans du thé, et d'autres substances comme l'opium ou le laudanum prescrit par son médecin pour soigner sa syphilis. Mais il ne tenait aucun compte des doses à ne pas dépasser.
Charles Baudelaire né à Paris en 1821 n'a que 6 ans lorsque son père François, âgé de plus de 34 ans que sa mère, décède. Loin d'en être affecté, il se sent au contraire soulagé, débarrassé d'un rival, sa mère n'aura plus, dès lors, que lui à aimer. Mais son bonheur dure peu, car Caroline, sa mère, se remarie 19 mois plus tard avec l'officier Jacques Aupick. Pour Charles, c'est une véritable trahison, car il lui prend une grande partie de l'affection de sa mère. Ce beau-père va vouloir le dompter et s'opposera même à sa vocation de poète. Ce sera une lutte incessante entre eux jusqu'à ce que, pour le mâter, le beau-père l'oblige à embarquer à bord du Paquebot-des-mers-du-Sud, direction L'Inde jusqu'à Calcutta, pour une durée d'un an. C'est d'ailleurs au cours de ce voyage en mer que notre jeune Charles, tout juste vingt ans, composera ce magnifique poème, L'Albatros, ayant assisté à la pêche et à la capture de de cet oiseau ensuite ridiculisé et maltraité par l'équipage et incarnant pour lui l'artiste incompris et rejeté.
Sa mère l'ayant trahi, une blessure déterminante, il ne fait plus confiance aux femmes. Il va alors mener une vie dissolue, fréquenter des prostituées, dont Sarah la Louchette et bien sûr la devenue célèbre Jeanne Duval, cette grande et jeune métisse qu'il nomme son soleil noir, en quelque sorte son alter-ego, qui sera sa maîtresse et sa muse et avec qui il aura des relations orageuses tout comme avec Marie Daubrun ou Apollonie Sabatier.
C'est cette face sombre du poète, cette personnalité méconnue, cet éternel ado révolté, ce personnage odieux et dépravé, cet homme qui se cherche, et aussi cet homme malheureux souffrant d'une forme de dépression, que nous raconte merveilleusement Jean Teulé, dans ce roman assez long, pas moins de 430 pages, mais jamais rébarbatif, bien au contraire. le texte est émaillé de nombreux poèmes ou de morceaux choisis de ses plus belles rimes, judicieusement placés. L'auteur montre bien également le temps qu'il prenait et le travail et l'application que mettait Charles Baudelaire à peaufiner ses écrits. Il dresse par ailleurs des portraits hauts en couleurs de tous les personnages.
Si Jean Teulé affirme que tout est exact sur ce côté détestable de ce génie littéraire, difficile pour moi de confirmer, ne connaissant que peu sa vie.
J'ai particulièrement apprécié ce livre qui permet, à travers la personnalité méconnue de cet immense poète maudit dont le recueil Les Fleurs du mal, publié en 1857, fera scandale à sa sortie et dont six poèmes devront être supprimés de l'oeuvre incriminée de mieux comprendre son oeuvre. Outre les poèmes inclus dans le roman, Jean Teulé a également inséré quelques vers avec les corrections de l'auteur envoyées à l'éditeur.
L'écrivain réussit à merveille à faire revivre ce 19ème siècle avec les grands travaux entrepris dans Paris. Il nous permet aussi de côtoyer avec Charles toutes ces figures célèbres que sont entre autres Gustave Flaubert, Théophile Gautier, Gustave Doré, les frères Goncourt, Edouard Manet, Gustave Courbet, Nadar ou encore Auguste Poulet-Malassis, cet éditeur qui a osé publier Les Fleurs du mal.
Crénom Baudelaire m'a beaucoup appris tout en m'amusant beaucoup. Il faut, à mon avis, beaucoup de talent pour réussir une oeuvre de vulgarisation comme cet ouvrage sans tomber dans le ridicule ou le niais. C'est à la fois très divertissant et hautement instructif et sérieux.

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Avec sa verve habituelle, Jean Teulé ne déçoit pas en publiant Crénom, Baudelaire !, hommage vibrant au plus grand des poètes.
Pourtant, tout au long du livre, il ne ménage guère son héros, cet homme qui ne pouvait exprimer son génie que drogué, halluciné, toujours très désagréable avec les gens qu'il croise.
Sa chute au sortir de l'église Saint-Loup de Namur, en 1866, ouvre ce roman plein de surprises et d'enseignements, ouvrage qui permet de lire ou relire les vers du poète, ce qui est parfait.
Sans délai, le voilà à cinq ans, complètement accroché à sa mère, Caroline (33 ans). Sa passion pour elle marque à jamais sa personnalité. Son père a 34 ans de plus que Caroline et décède le 10 février 1827. Pendant dix-neuf mois, Charles vit une relation passionnelle avec sa mère qui se remarie avec Jacques Aupick (39 ans), un officier. Cette rupture est très dure à vivre pour l'enfant, traumatisé par ce qu'il vit comme un abandon.
Quelques années plus tard, alors qu'il est élève au lycée Louis-le-Grand, il en est exclu. À vingt ans, Louis-Philippe étant au pouvoir, il traîne dans les cabarets, clame qu'il veut être poète, dépasser Racine et Hugo. C'est après avoir agressé son beau-père que celui-ci l'envoie sur le Paquebot-des-Mers-du-Sud, à Bordeaux pour un an de navigation. Il vit très mal cette punition. Mélancolique, boudeur, il est horrifié par le piégeage d'un albatros par les matelots et rédige un poème magnifique :

« Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers. »

Toujours coiffé d'un chapeau très original et vêtu comme un dandy, il se paie une prostituée pour qu'elle le dépucèle. Résultat : une blennorragie, la chaude-pisse ! Un peu plus tard, dans Le Quartier latin, une actrice noire l'époustoufle. Cette mulâtresse originaire des Caraïbes, est grande, une tête de plus que lui. C'est elle, Jeanne Duval, qui sera sa muse, celle avec laquelle il vit les plus forts moments de sa vie et les plus douloureux, lors des ruptures. Elle lui fait cadeau de la syphilis, la grande vérole, et Charles est pris dans l'engrenage infernal de la drogue : shit, laudanum, opium, avalant des doses impressionnantes pour être bien et surtout doper son inspiration géniale. J'ajoute qu'il dépense sans compter et qu'il est sans cesse la proie des huissiers et dépend de la générosité de sa mère.
Ainsi, au fil des chapitres enchaînés nerveusement, Jean Teulé m'a fait souffrir avec les déboires de Baudelaire, m'a enthousiasmé avec ces vers d'une force extraordinaire, m'a révolté devant l'attitude des bien-pensants qui iront jusqu'à le condamner et interdire plusieurs poèmes des Fleurs du Mal. Ici, je salue le formidable courage de son imprimeur, Auguste Poulet-Malassis. Il ira jusqu'à se ruiner pour publier ce poète qui le touche beaucoup.
J'ajoute que Jean Teulé sait bien faire ressentir la vie dans Paris au XIXe siècle, des plus beaux salons aux bas-fonds, qu'il démontre bien les bouleversements créés par Haussmann et surtout permet à son lecteur de rencontrer, dans le désordre : Félix Nadar, Edouard Manet, Charles Asselineau – son plus fidèle ami -, les frères Goncourt – pas à leur avantage-, Hector Berlioz, Daumier, Gustave Courbet - d'une patience infinie -, Gustave Flaubert, Gustave Doré, Alfred de Musset, Barbey d'Aurevilly, Gérard de Nerval, Eugène Delacroix que Charles Baudelaire, jamais de bonne humeur, croise chez la délicieuse Apollonie Sabatier qui tient salon le dimanche. Voilà une belle brochette d'immenses artistes pour faire honneur au plus grand des poètes qui meurt le 31 août 1867, à 46 ans !

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Ce livre est loin d'être une biographie de Baudelaire. Malgré le style amusant et amusé de Jean Teulé, les approximations et les inventions proposées pour coller au récit déforme la vie du grand poète. le style de Teulé reste contemporain des années 1980 avec tout le vulgaire qu'on lui connaît. Il est vraiment désolant de voir ainsi la vie de Baudelaire bafouée. Je conseille la biographie d'Henri Troyat, une des plus juste et documentée.
Non, Monsieur Teulé, Caroline, mère du poète, n'avait pas les cheveux ondulée. Il n'existe qu'une seule photo d'elle où on ne distingue pas le visage. Non, il n'y a jamais eu de Port à Saint Denis de la Réunion mais que deux pontons d'embarcadère. Non, Saint-Denis n'avait pas de Palmier et en 1841, il n'y avait pas de cannes à sucre. Non, le général Aupick ne touchait pas les fesses de Caroline en public. le même Général s'est remboursé des dépenses du voyage sur l'héritage de Charles. Non, Charles n'était pas efféminé mais raffiné, revoyez un peu le dandysme.
Toutes ces libertés peuvent être plaisante pour les fans de Teulé mais Crénom, respectez Baudelaire et ce qu'il a vécu !
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Je ne sais s'il convient d'attribuer cette citation à l'auteur ou au sujet de ce livre : « Une imagination bizarre jusqu'à l'incohérence. »
Difficile de rester objective sur cet ouvrage que j'ai lu jusqu'au bout parce qu'il m'a été offert mais que je n'ai pas tellement apprécié.

Sans doute en raison de ma folle admiration pour « Les fleurs du mal » que j'ai lues et relues, déclamées dès mon adolescence … Ainsi suis-je effarée du portrait que fait Jean Teulé du poète le plus violent, certes, mais sans doute le plus novateur du XIXème siècle.

Une piste éventuelle : « Mais qu'importe l'éternité de la damnation à qui a trouvé une seconde l'infini de la jouissance. »
Bref, l'apport majeur du livre est la description du lent suicide conscient d'un enfant vraisemblablement surdoué mais complètement inféodé à sa mère, qui ne supporte pas que celle-ci se remarie avec un homme important qui ne fera aucun effort – mais cela aurait-il abouti ? – pour comprendre le génie précoce de Charles.

Autre remise en contexte : à la lecture des pièces les plus hardies – celles qui valurent à l'auteur et à son éditeur les foudres de la justice du Second Empire comme fut condamné Gustave Flaubert pour son roman Madame Bovary – on peut imaginer les hauts-le-coeur des bourgeois de l'époque.

Il s'agit donc ici d'une biographie romancée, qui retrace avec délectation la lente agonie, dans le stupre, les stupéfiants, la violence d'une sexualité perverse, le goût de la provocation, l'éternelle impécuniosité, la mauvaise foi, le plaisir de la destruction d'un génie de la littérature. Opération de déboulonnage de statue parfaitement menée. Docteur Freud, où êtes-vous …
L'auteur aura sans doute lu avec attention la notice du poète dans Wikipedia … et utilise les plus beaux poèmes pour leur inventer des décors à sa sauce, pour les transformer en scènes de genre … mauvais genre !
Victor Hugo aurait déclaré « Défense de déposer de la musique le long de mes vers. ». Charles Beaudelaire aurait pu exprimer cette même défense d'entrelarder ses poèmes d'une pseudo biographie brossée de manière aussi crue.
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Comment fait-on pousser les fleurs du mal?

Très tôt le jeune Charles Baudelaire a choisi d'être un poète. Dans cette biographie romancée, Jean Teulé raconte comment Les Fleurs du mal ont fini par avoir la peau de ce stupéfiant personnage. le premier roman des éditions Mialet Barrault est une réussite!

Il arrive au bout du chemin. À Namur, en sortant d'une église, il fait une mauvaise chute qui lui fait lâcher ce juron: et, soutenu par deux amis, va regagner Bruxelles où des religieuses le prennent en charge avant qu'il ne puisse regagner Paris.
Nous sommes en 1867. Voici venu le temps de se retourner, de regarder le chemin parcouru. Enfant, c'est dans les jupes de sa mère que Charles Baudelaire se sentait heureux. À tel point qu'il se réjouit du décès de son père, car désormais la femme de sa vie ne sera que pour lui! Un bonheur qui sera toutefois éphémère, car après quelques mois sa mère a retrouvé chaussure à son pied. Elle épouse le chef de bataillon Jacques Aupick. Charles, qui se sent trahi, n'est pas au bout de ses peines. Car ce beau-père entend faire son éducation. Après son renvoi du Lycée Louis le rand, il décide de le faire embarquer sur un navire partant vers les Indes pour une année qui doit l'aguerrir, en faire un homme.
À bord, il n'apprécie guère la compagnie des passagers, pour la plupart des commerçants, et préfère se consacrer à la poésie dont il est persuadé qu'elle fera sa gloire. Il réussira à Dépasser Hugo. L'escale à l'île Maurice lui donne l'opportunité de rebrousser chemin. Après six mois en mer, il débarque à Paris. Désormais majeur, il va pouvoir mener la grande vie avec l'héritage que lui a laissé son père. Il prend un appartement, achète des toiles et des toilettes et s'offre des femmes et de la drogue. Mais la fille de joie sur laquelle il a jeté son dévolu, Sarah la Louchette, va lui offrir une blennorragie. Qu'il va s'empresser de soigner en changeant de partenaire. Il s'acoquine alors avec Louise Duval, une grande tige à la peau d'ébène, qui lui fera un autre cadeau, la syphilis. Il n'a guère plus de vingt ans et déjà ses jours sont comptés. Car au milieu du XIXe siècle la vérole encore fait des ravages. Alors les médecins prescrivent du laudanum. Et Baudelaire en use et en abuse, ajoutant un cocktail d'autres drogues à son médicament.
Le poète va brûler la vie ou la sublimer, c'est selon.
Après avoir exploré l'univers de François Villon, la plume de Jean Teulé se régale de celui de Baudelaire en revisitant le Paris en pleine mutation de l'époque, au moment où Haussmann redessine l'architecture à coups de démolitions et de saignées dans les rues un peu tortueuses. Mais suivre Baudelaire, c'est aussi faire la connaissance du milieu artistique de l'époque. On y croise Gustave Courbet, Maxime du Camp, les frères Goncourt, Théophile Gautier, Manet ou encore Hugo qui tonne depuis son exil anglo-normand contre ce Napoléon III qui vient de prendre le pouvoir. Si Baudelaire n'aime guère le grand écrivain – mais qui aime-t-il vraiment ? – il le rejoindra dans ce mépris, ainsi que Gustave Flaubert.
Parmi les anecdotes les plus croustillantes retrouvées par l'auteur de Entrez dans la danse, il y a ces séances de pose chez Courbet pour son tableau L'Atelier du peintre. Baudelaire y pose avec Jeanne Duval puis demande à son ami de l'effacer de sa composition avant de revenir sur son choix.

L'Atelier du peintre de Gustave Courbet (1855), avec à droite, au premier plan, Baudelaire lisant assis sur une table et Jeanne Duval réapparaissant, à la gauche de la porte, par exsudation du liant et de la peinture au bout d'une cinquantaine d'années. © Commons Media – Musée d'Orsay

Mais le point fort du livre réside dans la mise en scène des Fleurs du mal. Grâce à Jean Teulé, on retrouve les poèmes dans leur contexte, de leur genèse à leur écriture et la volonté hallucinée de l'auteur de rompre avec les codes classiques du sonnet, de renouveler la thématique mais aussi de choquer. Les pérégrinations du manuscrit et les déboires de son éditeur Auguste Poulet-Malassis montrent à quel point il aura réussi. le procès et la ruine viendront mettre un terme à la première édition de ce recueil aujourd'hui considéré comme une pierre angulaire de la poésie française. Crénom !


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critiques presse (5)
SudOuestPresse
12 mai 2023
Le roman de Jean Teulé sur le poète maudit sort en BD. Une adaptation splendide, initiée par l’écrivain avant sa disparition, prévue en trois tomes.
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
LaLibreBelgique
07 décembre 2020
Jean Teulé bouscule dans sa langue baroque et gaillarde la statue du commandeur de la poésie de Baudelaire.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LaTribuneDeGeneve
23 novembre 2020
Le sage foutraque ne respecte rien en littérature, sauf le génie de ceux qui enluminent la vie. La preuve par «Crénom, Baudelaire!» une biographie à la truculence savoureuse.
Lire la critique sur le site : LaTribuneDeGeneve
Culturebox
09 novembre 2020
Le romancier Jean Teulé vient de publier "Crénom, Baudelaire !", une biographie du poète Charles Baudelaire. Concernant Baudelaire, "c'est le plus grand poète français", estime Jean Teulé avant de conclure : "Si on doit lire un seul recueil de poésie, c'est les fleurs du mal".
Lire la critique sur le site : Culturebox
LePoint
27 octobre 2020
Le romancier sort une biographie de l'auteur des Fleurs du mal, politiquement incorrecte, mais savoureuse. A lire par tous les lycéens.
Lire la critique sur le site : LePoint
Citations et extraits (142) Voir plus Ajouter une citation
INCIPIT
— Crénom !
Au sortir du portail baroque de l'église Saint-Loup de Namur, un homme qui aura bientôt quarante-six ans loupe une marche et tombe sur le front, à même le parvis, en jurant. Des deux qui l'accompagnent, le plus jeune – fringant trentenaire rigolard et bariolé à l'accent wallon très prononcé – fait mine d'être offusqué par ce qu'il vient d'entendre:
— Même en utilisant sa forme contractée, on ne sort pas d'une église en s'écriant: «Sacré nom de Dieu!» Ça n'est pas possible ça, sais-tu, monsieur?!
Le Seigneur vous aura puni !
Le second ami – corpulent personnage autrement raisonnable –, déjà accroupi près du corps à plat ventre, le retourne sur le dos en lui disant dans un français plus conventionnel:
— Eh bien dites donc, quelle chute, hein?!
— Crénom…, paraît ne pas en revenir l'accidenté aux airs devenus complètement ahuris.
— Il est sonné. Félicien, prenons-le chacun sous une aisselle pour le remettre sur pied.
Le jeune Belge farfelu le hisse du côté droit pendant que l'autre, qui parvient à le maintenir bien en appui sur la jambe gauche, s'en trouve soulagé.
«Ça va, on peut vous lâcher ? » demande-t-il en écartant un peu ses paumes, mais la victime, répétant «Crénom», bascule vers Félicien qui s'en amuse:
— Vous choisissez de plonger dans mes bras plutôt qu'entre ceux d'Auguste! Merci! Cela me met en bonne gaieté.
— Mais redressez-le, bon sang, Félicien ! Soyez sérieux, s'agace Auguste.
— J'essaie mais il s'écroule par là. Regardez ce bras, qui semble n'avoir plus d'énergie, comme il balance.
Et en dessous, cette jambe, si je l'attrape par le pantalon, elle ondule telle de la guimauve. On dirait qu'il est devenu, de ce côté-ci, une poupée de chiffon.
— Bordel de Dieu…, commente Auguste.
— Ah, ben dites donc, ça jure, les Français!
Quand c'est pas l'un c'est l'autre.
— Me reconnaissez-vous, savez-vous qui je suis? demande le plus âgé des amis à l'acrobate maladroit qui s'est étalé sur le parvis.
Celui-ci le regarde comme s'il venait de le découvrir, très étonné:
— Crénom!
— Bon, il donne aussi des signes de troubles mentaux. Il faut le ramener à Bruxelles.
* * *
Dans le gros bâtiment particulièrement sévère de l'institut-couvent Saint-Jean-et-Sainte-Élisabeth situé près du jardin botanique de Bruxelles, une petite dame sautillante de soixante-douze ans est très en colère et ne se gêne pas pour le dire aux religieuses qui l'entourent tout en suivant la mère supérieure au travers d'un corridor :
— Moi, c'est de vous dont je ne suis pas satisfaite, mes sœurs! Je m'insurge contre la rudesse de votre comportement envers lui! Je le croyais sous la protection de douces colombes, comme je me figure que doivent toujours être les religieuses, alors que…
— Depuis son arrivée, fin mars, avant les repas, il ne fait pas le signe de croix! s'indigne la supérieure, commençant à gravir vigoureusement les marches d'un escalier à la rampe ouvragée.
— … Il est handicapé! lui rappelle la dame âgée qui escalade derrière.
— Seulement hémiplégique du côté droit, précise l'autre déjà au palier. Il pourrait remuer sa main gauche!…
— … Alors que, poursuit une des sœurs qui arrive également tout en haut, lorsqu'on insiste il tourne la tête et si on l'en tourmente davantage, il fait semblant de s'endormir!
Le premier étage s'ouvre sur un long couloir bordé à droite par une série de fenêtres hautes et claires donnant sur une cour fleurie en ce mois de juin.
Face aux ouvertures vitrées s'étalent des portes de chambre. Visage entouré d'une guimpe trop amidonnée, une qui ne l'avait pas encore ramenée aborde, excédée, un nouveau sujet aux oreilles de la petite dame à la chevelure frisottée et blanche parsemée de reflets bleutés:
— Dans les établissements religieux, on exige que les malades récitent des prières à haute voix mais lui ne les dit pas!
— Il est devenu pratiquement muet!
Tout le monde part au train vers le fond du couloir.
Les lumières de ce début d'été alternent avec les taches d'ombre sur ces corps féminins qui filent.
— Muet?! s'exclame la mère supérieure. Ah, si vous entendiez ce qu'il répète continuellement en reluquant une certaine partie de l'œuvre d'art dont nous sommes le plus fières dans cet établissement!…
Venez vérifier vous-même.
Elles s'arrêtent toutes devant la double porte ouverte d'une grande salle commune lambrissée de chêne et au plafond ornementé.
— Vous le trouverez là-bas ! Allez-y toute seule.
Nous, on ne s'approche plus de lui.
La petite dame usée quoique encore dynamique, elle, y va vers ce quadragénaire qu'elle repère de dos, écroulé dans son fauteuil roulant en bois et osier, face à un grand tableau fixé au mur. On dirait que le quasi-grabataire s'exprime. Alors qu'elle s'approche de ses
épaules, elle l'entend dire et redire une ribambelle de «Crénom!» absolument excités. Elle lève les yeux vers ce qui obnubile tant l'affalé. C'est une Vierge à l'Enfant peinte vaguement façon Renaissance. Au premier-plan et de trois quarts dos, une jeune Moyen-Orientale blondinette (ah bon ?) tout à fait avenante est représentée tendant les bras vers un mioche dans la paille qui fait face au spectateur. Mais le tordu débraillé ne fixe son regard que sur le cul de la Marie mis très en évidence par un souffle de vent pénétrant dans l'étable et plaquant la robe translucide de soie rose chair, bordée de broderies noires, contre les fesses joliment arrondies de la mère (vierge) du fils de Dieu.
— Crénom! Crénom!
On sent bien que si le pervers pouvait articuler deux autres syllabes il s'écrierait plutôt: «Quel cul! Quel cul!» La petite frisottée, sans doute elle-même tous les dimanches à l'église, comprend maintenant la panique des soeurs hospitalières. Contournant le vicelard pour l'examiner de face, elle découvre son bras droit inerte qui pend contre sa poitrine enfermée dans une ample vareuse sombre dont l'usure luit çà et là et que personne n'est venu boutonner. Il ne lui reste qu'un oeil ouvert en cette tête qui retombe, trop lourde, sur une épaule. La dame âgée dit:
— Bon, allez, laisse-moi te pousser. On s'en va. Aucune sœur ne vient l'aider à descendre dans l'escalier le fauteuil roulant qui fait des bonds à chaque marche car les voilà toutes parties chercher de l'eau bénite en poussant des cris d'hystérie. Elles reviennent vers la salle commune pour s'y jeter à genoux, verser d'abondantes larmes et arroser d'eau
consacrée les endroits occupés par le terrifiant malade, ceux où ses roues sont passées. La mère supérieure ordonne:
— Arrachez ses draps, sa paillasse, et faites tout brûler!
Retenant comme elle peut le fauteuil penché, grâce à une main agrippant la poignée fixée à l'arrière du dossier et l'autre cramponnée au col de la vareuse du très mal en point pour éviter qu'il ne bascule en avant, la petite vieille à la chevelure un peu azur croise un prêtre exorciste alerté. Lui non plus n'est d'aucune utilité et son étole flottante, au passage, vient lui fouetter le visage comme si elle n'était pas déjà assez emmerdée comme ça!
— Exorcizamus te, omnis immundus spiritus, omnis…!
Mêlé au fracas cavaleur des gros souliers cloutés du chasseur de mauvais anges, elle entend aussi gueuler un rituel latin alors qu'elle atteint le corridor et que les soeurs, à l'étage, paraissent se sentir enfin délivrées comme si Satan lui-même s'était retrouvé trois mois pensionnaire de leur maison de santé.
Sur les graviers d'une allée de la cour intérieure menant à la sortie, l'aïeule essoufflée fait une pause pour s'éponger le front près d'un bosquet de roses parfumées. L'hémiplégique mutique, de sa main gauche fait risette à une fleur en éclatant d'un rire de fou puis ferme son œil valide et revoit le fil de sa vie, sa vie… Crénom!
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Tout d’abord longuement silencieux, Eugène Delacroix prend, sur la cheminée et à côté d’un petit bronze florentin, des écheveaux de laine épars dans une corbeille dont s’approche le chat. Le peintre les entrecroise, les divise selon leurs teintes puis en rassemble, déclarant que certains tapis de Perse sont les plus beaux tableaux qu’il ait jamais vus. Charles, ultrasensible aux couleurs et le voyant faire, grommelle : « Moi, quand je m’ennuie, je regarde de l’écarlate » pendant que le chat s’enroule dans la corbeille et que Delacroix dit au poète en reposant ses bouts de laine :
-Passons maintenant à la trame de votre style, Baudelaire …
- Comment la connaissez-vous ?
- je vous ai entendu réciter dans des cafés et j’ai un jour croisé Asselineau allant apporter un tas de vos poésies à un éditeur. Il m’a permis d’en lire juste sept ou huit avant que d’aller rue de Buci. Ne lui en voulez pas. Il vous aime beaucoup celui-là. Donc, dans la trame de ce que vous rimez, vous mêlez des fils de soie et d’or à des fils de chanvre rudes et forts comme en ces étoffes d’Orient à la fois splendides et grossières où les plus délicats ornements courent avec de charmants caprices sur un poil de chameau ou sur une toile âpre au toucher comme la voile d’une barque.
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Enivrez-vous
Il faut être toujours ivre. Tout est là : c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous.
Et si quelquefois, sur les marches d’un palais, sur l’herbe verte d’un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront : « Il est l’heure de s’enivrer ! Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. 
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(Baudelaire) - Une partie de billard en pleine houle de mer, voire de tempête, ce serait jouer contre Dieu !
Les négociants et les officiers de l’armée coloniale, le lorgnant d’un regard hébété, envisagent une cohabitation difficile avec celui qui fait sur eux l’essai de sa férocité, cherchent plus à les choquer qu’à leur plaire :
- Mais qu’as-tu contre nous, petit ?
- Vous m’effrayez comme les cathédrales, réplique sèchement Baudelaire en se dirigeant sans souper, vers la cabine qu’il devra partager durant une longue première nuit où le soleil aussi sera banni.
- Qu’est-ce qu’il a dit ? On l’effraie comme quoi ? Demande l’un des joueurs en battant le jeu.
- Laissez tomber, conseille Pierre Saliz sous sa casquette marine en manœuvrant son sextant. Il paraît qu’il se destine à une carrière de poète…
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- Quant au métropolitain !… Les heureux habitants de cette Jérusalem progressive seront transportés d’un bout à l’autre de la ville avec la rapidité de la bombe .
Puis il écarte les bras près de Baudelaire qui s’en trouve bousculé :
- Un épais rideau de fumée dérobera continuellement la vue du ciel considéré comme inutile. On ne verra de tous côtés que des lignes coupées à angle droit. Il n’y aura plus de chevaux, plus de rossignols. Les immeubles nouveaux, que seront-ils vraiment ?… des coffres percés de petits trous par où sortiront et rentreront incessamment des fourmis humaines noires, affairées, inquiètes, enragées. Et puis s’éloignant ou s’approchant des gares, ce sera une infinité de marmites courant au galop en crachant une fumée infecte avec un bruit de ferraille et de vaisselles remuées aussi discordant qu’une ouverture d’opéra ! Finit-il en apothéose. Qu’en penses-tu, Charles, toi qui es féru de poésie ?
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1,2,3 BD ! Chez les libraires ! présente les BD coups de coeurs de Jérôme et la librairie La planète dessin à Paris. -Zaroff, La Vengeance de Zaroff - « Crénom, Baudelaire ! » de Jean Teulé adapté par Dominique et Tino Gelli chez Futuropolis -L'Oulipo par la bande par Étienne Lécroart chez l'Association 1,2,3 BD c'est le jeudi à 18h30 sur la chaine Youtube et les RS. Trait pour Trait parcourt toujours les librairies de France pour des conseils de lecture. #GALERIE #BD #POPCULTURE #BANDEDESSINEE#COMICBOOKS #9EMEARTRetrouvez 1,2,3 BD ! Chez les libraires! sur :https://www.youtube.com/TraitpourtraitBDhttps://www.facebook.com/TraitpourTraitBD https://www.instagram.com/traitpourtraitbd/https://twitter.com/TPTBD
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