La première chose à dire sur
La nuit des Groenlandais, c'est que c'est un livre exigeant.
Comme certains présentent des trigger warning pour des éléments d'intrigue de roman, je vais en présenter pour le style de celui-ci, mais ne vous arrêtez pas à cela.
Tout d'abord, c'est une pavasse, près de 700 pages, à la police assez réduite. le style est assez ardu : rédaction au passé simple, beaucoup de narration indirecte, un lexique soutenu, des chapitres à rallonge (trois seulement pour l'ensemble du livre), un thème très historique.
Tout cela peut vraiment rebuter, j'en ai conscience. Moi même, j'ai eu de gros doutes pendant les 50 premiers pages, j'étais au bord de l'abandon. La froideur et le détachement imposés par le style m'empêchaient de m'attacher aux personnages, de ressentir des émotions…
Et puis, tout à coup, sans trop comprendre pourquoi, je n'arrivais plus à lâcher le livre.
Le charme avait agi et j'étais complètement immergée dans cette communauté nordique du 14e siècle. le style lui-même m'apparaissait comme naturel, aussi dur et froid que la vie de ces hommes et femmes du Grand Nord, nécessaire pour supporter les épreuves de cette vie difficile.
J'ai finalement beaucoup aimé les personnages : Gunnar et sa soeur Margret, Birgitta, Kolgrim, Helga ou encore Jon Andres, pour ne citer que les principaux. Car cette immense fresque historique couvre près d'un siècle, de la naissance de Margret à son décès.
Le style m'a peu à peu rappelé ces recueils de contes et légendes que j'aimais tant lire lorsque j'étais enfant. Ici, nous suivons donc l'histoire de quelques clans groenlandais au 14e siècle, mais il y a très souvent de nombreux récits mythiques nordiques, hérités des sagas, et racontés par les personnnages eux-mêmes : je trouvais au départ que cela ralentissait l'action, et pourtant j'ai adoré ces passages.
Historiquement, j'avoue que le sujet m'a passionnée. Nous vivons le dernier siècle de colonisation nordique du Groenland (fin 14e – début 15e). Quand le pays sera redécouvert au 17e siècle, on n'y trouvera que des Inuits. Où sont passés les descendants d'Erik le Rouge et de Leif le Chanceux ?
C'est l'histoire de la chute d'une civilisation (je trouve ca passionnant de voir comme un peuple peut prospérer, puis vivre une décadence complète, comme lors de la chute de Rome par exemple) dont les premiers membres sont arrivés au 10e siècle, en plein Optimum médiéval. Ils se sont convertis au christianisme et commercaient avec l'Europe, exportant des produits de valeur tels qu'ivoire et peaux de bêtes.
Mais au début du livre, au 14e siècle, c'est le début du Petit Age Glaciaire. Les températures baissent un peu et dans ce pays au climat déjà difficile, c'est le début d'une lente dégradation des conditions climatiques. Les hivers de plus en plus longs, les étés moins chauds… certains établissements doivent être abandonnés, il est de plus en plus difficile d'aller au nord chasser pour se nourrir et se procurer des objets précieux. de plus en plus difficile également de cultiver de quoi nourrir le bétail pour l'hiver. Les famines sont de plus en plus fréquentes, les épidémies également.
C'est également le moment de la Peste Noire en Europe, et peu à peu, les Groenlandais sont abandonnés par la Norvège, qui n'envoie plus les navires commerciaux promis, par l'Église, qui n'envoie plus d'évêques (et ceux qui sont envoyés n'arrivent pas souvent à bon port). La colonie est peu à peu condamnée à ne compter que sur elle-même. Jusqu'à ce qu'elle soit finalement pillée par des raids barbares.
Qu'est-ce qui a finalement causé la fin de cette civilisation ? le livre ne le dit pas vraiment, historiquement on n'en est pas sûr non plus : les derniers Groenlandais ont-ils rejoint l'Islande ? le Labrador ? Ont-ils été assimilés par les Inuits ?
En tout cas, j'ai trouvé ça passionnant, et j'ai à présent très envie de me renseigner davantage sur l'histoire de cette civilisation !