Vieil oncle solitaire, parfois Thomas, 91 ans, rêve d'un oiseau. Quand il se voit dans ce rêve, il a toujours 18 ans, c'est l'oiseau d'un amour perdu, dans un temps d'il y a fort longtemps et une géographie fort lointaine. Pourtant, comme le lui répète son jeune médecin, Thomas a « absolument toute sa tête, surtout pour son âge ». C'est juste que depuis ses 18 ans et son enrôlement forcé dans l'armée allemande, Thomas a un rapport particulier à la nature, un brin méditatif. Un oiseau l'a choisi et les arbres qui entouraient le camp de détention de Tambov, l'ont sauvé de la folie qui a emporté son frère, Alex.
A la fin de la deuxième guerre mondiale, tous les deux ont été enrôlés, ils étaient des « malgré nous ». Ils portaient l'uniforme allemand et fuyaient l'avancée de l'armée rouge, égarés dans une vallée de Bessarabie. Et puis, la détention, la transformation que les conditions de survie leur ont imposé, son amour perdu au fin fond du kolkhoze où les deux frères attendaient le train du retour, ont laissé Thomas solitaire et singulier.
Thomas conjugue son passé au présent, parce qu'il n'est jamais complétement revenu. Il a vécu à côté des siens, de la famille qu'il a tenté d'avoir. Au village, on ne le regarde pas comme un traitre, d'autres sont partis aussi et partagent le même souvenir, mais de lui, on dit qu'il a appris des pouvoirs. Il impressionne avec sa stature, sa prestance, ses yeux si clairs si bien que Mona, son aide à domicile de 30 ans de moins que lui, se verrait bien partager la maison qu'il occupe toujours, entouré des bois de la forêt des Vosges … Elle s'en inquiète d'ailleurs, des longues promenades de Thomas, entreprises au petit matin, avec quelques morceaux de viande tendre dans un sac.
Elizabeth est la petite nièce de Thomas, et à peu près la seule à prendre irrégulièrement de ses nouvelles. Elle a habité aux USA, elle a une fille, Vina, le père, Georges, est mort subitement. de retour à Paris, elle ne s'est laissée aucun répit, ne vit que pour son travail, son refuge. A la tête de « Non fiction production », elle dirige, tranche, se survit. Vina est une élève modèle, quasi surdouée. Lorsque Elizabeth est contactée par l'établissement scolaire parce que Vina a menacé Gaspard de lui taillader le visage, cutter en main, la sidération l'emporte et pour la première fois, elle envoie un mail à ses collaborateurs annonçant qu'elle prend 15 jours de vacances. C'est ainsi que Thomas recueille sa nièce et sa fille inconnue, en pleine crise d'amour maternel, d'amour de soi, d'amitiés qui se fracturent.
Durant quinze jours, dans le cocon de Thomas, ces deux personnages tentent d'apprivoiser l'explosion que la violence de Vina a déclenché. Entre la mère et la fille, il y a une ombre, Anju, la mère porteuse de Vina, une femme indienne payée pour accoucher de l'enfant qu'Elizabeth et Georges ont ensuite emporté loin de la misère … Vina a toujours fantasmé sa mère biologique, comme un ange gardien, mais dont l'amour est inconnu, l'énigme la vrille parfois en plantant ses griffes dans ses relations d'adolescente avec sa propre identité.
Les deux thèmes peuvent paraitre difficiles à articuler tant l'espace temps entre l'histoire des malgré nous et le thème de l'adoption rémunérée est conséquent, mais l'intériorité des personnages sauve ce roman de l'artificialité. le quatuor forme un équilibre romanesque car finalement ce qui les lie est d'apprivoiser la culpabilité, apprivoiser ce qui fait souffrir, des choix qui ne sont pas les leurs et qui les composent malgré tout.
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