Troisième lecture du roman publié en 2011 par
Morgan Sportès intitulé «
Tout, tout de suite », un texte toujours aussi impressionnant, consistant en une mise en récit de l'affaire dite «du gang des barbares», initiée par Youssouf Fofana, qui aboutit à la séquestration, à la torture et au meurtre d'Ilan Halimi en janvier février 2006 à Bagneux, en banlieue parisienne (voir fiche Wikipedia complète sous l'intitulé « affaire du gang des barbares »).
le récit se distingue d'abord par la qualité de l'écriture et de la narration : l'auteur se garde bien de toute emphase, de tout pathos, de tout effet de style gratuit. Il reste délibérément au ras de son propos, se limitant à exposer les faits et les dires tels qu'il a pu les reconstituer en compulsant les actes et expertises produits tout au long du procès, voire en s'entretenant lui-même avec certains des protagonistes. C'est ainsi qu'il effectue une reconstitution aussi minutieuse que possible du langage, des attitudes, des conditions de vie (fort disparates) de jeunes adultes (filles comme garçons), déstructurés, paumés, fascinés par le fric, qui finissent par faire allégeance à celui qui leur apparaît comme un chef, un caïd : de ce point de vue déjà, ce texte est un témoignage incontournable sur ce type de délinquance débouchant sur une violence inouïe.
Sur le fond ensuite, l'auteur se garde aussi de toute généralisation, de tout amalgame, de toute confusion : il ne cherche pas à donner une valeur d'exemple à cette affaire, il en souligne au contraire toutes les spécificités, et c'est précisément cela qui confère à ce texte sa valeur « universelle » en laissant au lecteur le soin de tirer de ces évènements les enseignements qu'il voudra : l'auteur prend soin toutefois de signaler sa propre interprétation par le biais de brèves citations introduisant chaque chapitre.
Deux éléments font froid dans le dos. le premier réside dans le nombre de personnes, dont plusieurs adultes « parfaitement intégrés », qui étaient au courant de l'enlèvement en cours, qui auraient pu y mettre fin avant l'issue fatale, et qui n'ont rien dit : même après trois lectures de ce roman, on en reste pantois. le second provient d'une sinistre mise en perspective : vingt ans plus tôt, en 1990, ce même
Morgan Sportès publiait le roman «
L'appât » illustrant la dérive d'une frange marginale de cette jeunesse déstructurée en relatant les assassinats survenus en décembre 1984 (affaire Valérie Subra, Laurent Hattab et Jean-Rémi Sarraud), il y eut ensuite ce « gang des barbares » en 2006 ; aujourd'hui, en janvier 2015, des officines terroristes se sont spécialisées dans la récupération des éléments les plus violents parmi ces paumés pour en faire de pseudo-djihadistes nommés Kouachi ou Coulibaly : il n'est pas du tout certain que la classe politique (quel que soit son bord affiché) ait pris la mesure des ravages en cours puisque nos ministricules, fort occupés, n'ont plus le temps de lire de livres.