Comme j'aime beaucoup les autobiographies, j'ai continué la lecture du journal intime d'Anaïs Nim, cette écrivain américaine dont la vie me fascine. Je me suis donc plongée dans le tome 5, qui couvre les années 1947-1955 : Anaïs a passé la quarantaine, et se retrouve dans une impasse. Persuadée de ses talents, elle ne trouve cependant plus d'éditeurs, est boudée par les journalistes littéraires, bref, se retrouve un peu toute seule à se couper les cheveux en 4. Elle en profite pour voyager, et nous fait découvrir un Mexique flamboyant et luxuriant, une Californie désertique et isolée, et un New-York de plus en plus impersonnel...
Autant j'avais beaucoup aimé le tome précédent, avec les doutes, les questionnements de l'auteur sur son talent d'écrivain, autant ici je me suis ennuyée ferme : Anaïs est maintenant sûre d'elle, et elle ne comprend pas de ne pas être connue et reconnue. La démarche peut donc paraitre hyper prétentieuse, et on a envie de lui dire d'arrêter de se prendre la tête comme ça... A l'opposé, les passages sur sa vie à Acapulco sont sublimes, vivants et colorés (heureusement d'ailleurs !). Bref, je pense que je vais laisser passer un certain temps avant de m'atteler au volume suivant.
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20 octobre 1949 : Mon père est mort ce matin à Cuba. La blessure a été si profonde, le choc si profond, le sentiment de la perte si profond que c'était comme si j'étais morte avec lui. J'avais l'impression de me briser, de tomber. Je pleurais de ne pas l'avoir revu depuis Paris, de ne pas lui avoir pardonné, de ne pas avoir été là lorsqu'il est mort, seul et pauvre à l'hôpital.
Joaquim m'a envoyé un télégramme. J'ai pleuré et ressenti la perte dans mon corps, ce terrible amour frustré. N'avoir jamais été intime avec lui, n'avoir jamais fusionné avec lui. L'éloignement maudit qui est le plus grand chagrin que puisse connaître un être humain. Je l'ai vu endormi, comme je l'ai vu évanoui après un concert. La mort est là, au-dedans de vous. Il est certain qu'une part se soi-même meurt avec ceux que l'on aime. On le sent, mais on ne peut y croire. La peine attaque le corps. J'aurais dû sacrifier ma vie pour lui, ainsi qu'il le souhaitait. J'ai lutté pour ne pas être comme lui, coupée des êtres humains. J'ai lutté pour atteindre tous ceux qui étaient comme lui coupés des êtres humains. C'était cela le mystère de ma relation avec les êtres fermés, froids, lointains. J'ai lutté pour être proche, pour fusionner, pour réaliser l'inverse, la communion avec autrui. Je ne peux accepter sa mort. Cela ne guérira jamais. Parce que ce fut une relation incomplète, qui ne pouvait arriver à son terme et qui avorta. On peut accepter la mort lorsqu'elle arrive comme un couronnement, une mort naturelle. Mais quelque chose ici, cet échec, était comme une opération chirurgicale. Une amputation pas une mort naturelle.
Ce que je ne peux supporter, c'est que pour sur-vivre à la force destructrice des autres, nous nous révoltons, nous les frappons, nous leur nuisons, nous nous détournons. Je regrette de n'avoir pas été une sainte.
219 - [Le Livre de poche n° 3905, p. 89]
Quelle ironie que Proust, qui choisissait les êtres plus superficiels, qui appartenaient au monde de la richesse et de l'aristocratie, à la haute société, soit parvenu aux plus grandes profondeurs de l'inconscient jamais atteintes par un romancier, et qu'il ait été accusé de ne dépeindre que des êtres décadents.
Je trouve qu'il y a un danger à regarder des films. C'est comme un rêve passif. Cela ne requiert aucune participation, aucun effort. Cela engendre la passivité. C'est de la nourriture pour bébés : pas besoin de mastiquer, pas besoin de couper. Inutile d'apprendre à jouer d'un instrument, d'apprendre à lire un livre. On est confortablement installé dans un fauteuil incliné et on reçoit les images avec un manque d'initiative infantile. La parole déjà insuffisante en Amérique va bientôt disparaître, en même temps que la capacité à trouver un sens au mot imprimé. C'est un changement aussi radical que le passage du singe à l'homme, c'est une évolution de l'homme vers l'automate.
Les éducateurs font tout ce qu'ils peuvent pour vous préparer à lire pour le plaisir après les études supérieures. Il est bon de lire selon son tempérament, ses occupations, ses goûts personnels et ses inclinations. Mais c'est un signe de grande insécurité intérieure que d'être hostile à ce qui n'est pas familier, et de refuser de l'explorer. En sciences, nous respectons le chercheur. En littérature, nous ne devrions pas toujours lire les livres qui ont reçu la bénédiction de la majorité.
Ma vie actuelle ne ressemble à celle ni de mon enfance, ni de mon adolescence. Je ne devrais pas me sentir vulnérable, accablée par des forces destructrices.
La névrose est une possession. On est possédé par les démons de la destruction. Ils vous mènent. Ils vous obsèdent. Ils vous rendent destructeur. Ce n’est pas vous, votre voix, votre personnalité. Mais cela habite votre corps. C’est l’esprit du passé. Ce sont les Moi du passé qui se superposent au présent, pour l’effacer, l’étouffer.
Dans Grand seigneur, Nina Bouraoui se tourne vers l'écriture pour conjurer la douleur de la mort de son père, entré en soins palliatifs en 2022. Entremêlant les souvenirs de sa vie et le récit de ses derniers jours, elle illumine par la mémoire et l'amour un être à l'existence hautement romanesque.
Le désir d'un roman sans fin rassemble quant à lui de nombreux écrits de l'autrice, portraits, nouvelles, chroniques, parus dans la presse ou publiés entre 1992 et 2022. Une oeuvre à part entière, qui pourrait se lire comme un roman racontant la vie, ses arrêts, ses errances.
Ces deux parutions récentes prolongent l'oeuvre prolifique et lumineuse d'une romancière majeure de la littérature contemporaine. Elle reviendra sur son parcours d'écriture à l'occasion de ce grand entretien mené par Lauren Malka, dans le cadre de l'enregistrement du podcast Assez parlé.
Nina Bouraoui est l'autrice de nombreux romans et récits dont La Voyeuse interdite (Gallimard, prix du Livre Inter 1991), Mes mauvaises pensées (Stock, prix Renaudot 2005) ou Otages (JC Lattès, prix Anaïs Nin en 2020). Elle est commandeur des Arts et des Lettres et ses romans sont traduits dans une quinzaine de langues.
Rencontre animée par Lauren Malka dans le cadre de l'enregistrement du podcast Assez parlé.
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