En 70, les Romains détruisent le Temple de Jérusalem, et sans le vouloir obligent le peuple juif à passer d'une pratique cultuelle à base de gestes et de sacrifices d'animaux, à la lecture de ces gestes et de ce culte dans leur Livre, la Torah. Cette mutation extraordinaire précède de trois siècles le passage des Romains eux-mêmes de la religion civique sacrificielle au christianisme, qui lui substitue le récit d'un autre sacrifice, lu dans un livre. Les étapes de cette mutation sont analysées dans ce livre, recueil de conférences que l'historien israélien des religions Guy G. Stroumsa consacre à l'Antiquité tardive (III°-VI° siècles) et où il décrit de façon synthétique les mutations qui affectèrent l'empire romain et en firent un état chrétien, inaugurées par la destruction du Temple juif. Tout change pendant cette période charnière : la façon dont l'homme se voit, son rapport au Livre et à la parole révélée, le statut de la religion civique, devenant peu à peu culte communautaire engageant la foi personnelle du converti : ce n'est plus un devoir du citoyen. Le signe majeur de ces transformations est la disparition des sacrifices sanglants d'animaux, abolis par Théodose à la fin du IV°s. L'auteur reprend et résume un énorme corpus savant, en y adjoignant des remarques sur les transformations subies par le Judaïsme, trop souvent écarté du champ de la recherche faute de connaissance de l'hébreu chez les historiens. Or il semble que le peuple juif ait vécu et subi toutes ces transformations avant les autres peuples. Les Juifs furent obligés les premiers à renoncer aux sacrifices et à inventer, selon l'auteur, une nouvelle religion intériorisée, fondée sur la méditation de la parole divine et le "service du coeur", la prière remplaçant l'offrande d'animaux. Ce livre donc fournira beaucoup de matière au grand public, mais dans une perspective comparatiste et parfois cavalière. L'auteur en effet n'entre ni dans le détail des spiritualités païennes, comme Pierre Hadot, ni dans l'existence chrétienne, ni même dans l'intimité de la culture juive, fidèle à son parti-pris laïc de rester extérieur à tout. Ses allusions à des détails de l'actualité (journal de Mohammed Atta, "Passion" de Mel Gibson) sont toujours intéressantes et bienvenues : la période qu'il décrit, où l'état central et le civisme reculent, et où des communautés et des identités religieuses fermées prolifèrent, rappelle la nôtre à plus d'un titre. C'est donc un livre finalement très actuel.
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Scheid ajoute enfin qu'une transformation parallèle se retrouve, déjà avant la destruction du temple de Jérusalem, dans le judaïsme de la diaspora, &un judaïsme dans lequel le culte sacrificiel reste nominal, puisqu'il ne peut se pratiquer qu'à Jérusalem, et dans lequel on note une adhésion intellectuelle plutôt que concrète à la religion d'Israël.
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