Certains animaux ne devant pas figurer dans l'Arche, Noé n'avait pas hésité à les tromper sur l'heure du départ. La passerelle était déjà levée qu'un mégathérium se présenta :
— Quand on s'appelle Noé on n'oublie personne ! cria-t-il, conscient de son énorme force.
— Ce n'et pas un oubli, dit le père de l'Arche, avec tristesse. Votre destin est d'être un antédiluvien. Or, le déluge est commencé : qui oserait affirmer le contraire ?
— Que je ne figure pas, moi, parmi les animaux de l'Arche, moi, le plus important ! C'est scandaleux. Par ta faute, Noé, on ne saura même pas un jour que j'ai vécu !
— Rassurez-vous, mon grand ami, on vous reconnaîtra à vos vertèbres.
Pleurer, ce n'est pas désespérer encore de la vie, c'est avoir malgré tout quelque obscure confiance en la vertu des larmes et de leur chaleur. N'est-ce pas là un peu de notre être intime qui vient s'exposer avec nous aux événements du monde? (p.70).
[Les mots] ont une façon si insidieuse de se glisser dans votre vie. Il songeait aux noms de maladies, de jurisprudence, de sciences claires et occultes. Les hommes se servent des mots, songeait-il, mais les mots le leur rendent bien. (p.136).
La mère en fut particulièrement affectée, elle déjà si ridée qu'on se demandait comment elle ferait pour trouver une petite place aux rides à venir sur son visage-témoin, enregistreur des moindres préoccupations de la famille. (p.66).
Alors que la joie chez les animaux reste d'habitude opaque à cause de tout le poil, la plume, les écailles qui la retiennent, toutes les bêtes, avec aisance, rayonnaient de la tête à la queue.
Jules SUPERVIELLE – Introduction à son œuvre (Conférence, 2017))
Une conférence d’Adeline Baldacchino, intitulée « Jules Supervielle - Cœur de vivant guetté par le danger », donnée le 4 février 2017 à l’Université Populaire de Caen.