Emil Szittya, quel drôle d'énergumène! Né en Hongrie en 1886, il parcourt l'Europe à pied, mendie, dort où il peut, rencontre Chagall, Soutine et
Cendrars avec qui il partage le goût de la mythification: on n'en saura pas plus sur ses véritables origines mais il se plaît à dire qu'il aurait pour ancêtre un tueur en série.
Ceux qui l'ont connu ou étudié sont d'accord pour dire que c'était un excentrique doué qui semblait avoir mille idées à la minute et beaucoup de projets.
L'un d'eux est cette collection de rêves mendiés au cours de la deuxième guerre mondiale auprès des gens qu'il rencontrait: veuves, soldats allemands, intellectuels, marchands, ouvriers, jeunes filles, enfants, artistes, vieillards, déportés, immigrés...
Ces 82 rêves collectés sont répertoriés dans ce livre dans lequel chaque personne rencontrée est d'abord présentée dans son contexte.
Les rêves sont là, bruts, sans explication et surtout sans aucune tentative d'analyse. L'objectif: comment la guerre influence-t-elle les rêves des gens?
Ce qui en ressort, outre de parfois belles images complètement surréalistes, c'est pêle-mêle cette terreur des soldats allemands présentés sous forme de nuages noirs, de chiens-loups ou d'hommes sans pitié, mais c'est aussi la faim, très souvent. Ici, on rêve de pain, même rassis, de pommes, d'une belle table mise comme avant la guerre, de pâtes, d'un peu de confiture.
On rêve en couleur, des soleils, des étoiles brillent au creux des mains, mais le ciel est sombre, brumeux.
Certains rêves sont simplement insolites, d'autres sont terriblement émouvants et montrent une détresse extrême.
Publié dans l'indifférence dans les années , il mérite amplement de l'être à nouveau aujourd'hui, en partie grâce à
Emmanuel Carrère. L'entendre en parler sur France Inter il y a quelques semaines, avec passion, m'a donnée envie de découvrir ce livre intriguant, donc je remercie l'opération masse Critique et Allary Editions de m'avoir permis de le faire.
C'est un bel objet, avec une peinture de l'auteur sur la couverture en prime, qui était aussi un peintre expressionniste. Ca se lit facilement, et c'est un magnifique témoignage d'une sale période.