Troisième et dernier tome des comédies de Térence chez Belles Lettres, regroupant deux pièces très intéressantes qui témoignent d'une certaine proximité de la maturité de l'auteur. Je déplore vivement la fin trop précoce de Térence car sa montée en puissance était palpable et les comédies (qui ne sont pas vraiment des comédies d'ailleurs) qu'il n'a pas eu le temps d'écrire eurent probablement valu le détour.
Faute de mieux, nous nous contenterons d'abord de l'Hécyre, c'est-à-dire la Belle-Mère, qui traite d'une délicate question, celle de la normalité du viol et de l'adultère à l'époque romaine.
Pamphile aime une courtisane, Bacchis, depuis des années et ne semble pas pressé d'avoir des relations " sérieuses " avec les femmes. Voyant l'âge arriver, son père, Lachès, le presse de prendre une épouse. La fille des voisins, paraît tout indiquée pour remplir cet office.
Pamphile n'est pas tellement chaud d'abandonner sa vie d'avant et de prendre femme, mais le paternel a parlé, il faut s'exécuter. le mariage est donc conclu, mais Pamphile n'arrive guère à prendre goût à son épouse légitime et songe toujours à sa courtisane.
Cependant, peu à peu, par sa bonne prestance et malgré l'absence de tout rapport charnel, la jeune épouse parvient à se faire de plus en plus apprécier de son mari. Celui-ci songe de plus en plus sérieusement à daigner enfin l'honorer des plaisirs du lit lorsque le décès d'un parent l'éloigne pour quelque temps du foyer.
Hors, pendant ce temps, la bru s'en retourne chez ses parents. Tout de suite, la belle-mère accède au statut de suspect numéro 1 pour expliquer ce déménagement précipité.
Pourtant, la pauvre Sostrata n'y est pour rien. La cause est bien ailleurs. La jeune épouse a, en réalité été violée avant même son mariage par un inconnu et, comme à chaque fois en pareil cas, se retrouve enceinte. Elle sait trop qu'elle n'a eu aucun rapport avec son légitime mari et redoute d'avoir à donner naissance à ce fils bâtard car il pourrait bien être cause de son renvoi pur et simple du foyer si le mari découvre le pot aux roses...
Le sac de noeud est bien ficelé et Térence pose un décor ma foi fort sympathique et d'une étonnante fraîcheur avant, malheureusement, de gâcher quelque peu la marchandise par un final, un peu facile et d'une saveur moindre au reste...
Ensuite, nous passons à l'une des pièces de Térence que j'aime le mieux, les Adelphes, c'est-à-dire, les Frères. C'est une transcription de deux pièces grecques, l'une de Ménandre et l'autre à Diphile, et il en réussit une fusion tellement naturelle, tellement bien sentie qu'elle devient un tout très cohérent et plaisant.
Voici donc deux dyades de frères : tout d'abord, les aînés, Micion et Déméa, deux frères que tout oppose. L'un (Déméa) vit à la campagne, est rude, laborieux, économe et dit tout net ce qu'il pense. L'autre (Micion) est un citadin, quelque peu oisif, qui sait toujours arrondir les angles et qui recherche volontiers les plaisirs.
Déméa s'est marié et a eu deux fils (Ctésiphon et Eschine). Bien sûr, Micion ne s'est pas marié. Cependant, il a adopté l'un des fils de son frère, Eschine, et l'élève comme son propre fils.
On comprend vite que le contraste qui existe entre les deux aînés aura des répercutions sur la façon d'éduquer les deux fils. Et finalement, c'est là que réside l'essence même du propos de Térence : une réflexion sur l'éducation.
Dans un cas, la force, la rigueur, la morale dans l'autre la permissivité, la bienveillance, la compréhension. Ce qui me semble intéressant, c'est le fait que les deux pères sont parfaitement conscient de leurs choix éducatifs.
Micion considère qu'en créant une relation de confiance avec son fils adoptif, ce dernier ne cherchera pas à lui dissimuler une éventuelle mauvaise action. Déméa pense quant à lui que ce qui le garantira d'une éventuelle mauvaise action de son fils, c'est de lui inculquer au plus haut point les valeurs du juste, du bien et du vrai.
Je vous laisse découvrir le verdict de Térence, beaucoup plus subtil et nuancé qu'il y paraît, et qui finalement est toujours complètement d'actualité, notamment dans la tension qui existe souvent entre parents et grands-parents concernant l'éducation des enfants.
En somme, deux pièces qui ne sont probablement pas à considérer comme des comédies, puisque leur but ne semble guère de chercher à nous faire rire, mais bien plutôt à nous faire réfléchir sur le fonctionnement psychologique et social des individus. Architecture solide (pour l'époque), finesse d'observation sociale, propos intéressant et toujours pertinent à l'heure actuelle (notamment sur l'éducation ou sur la condition de la femme). Selon moi donc, un beau moment de théâtre antique qui touche à l'universalité de l'humain. Mais ce n'est bien sûr que mon avis, c'est-à-dire, très peu de chose.
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L'Hécyre: une histoire d'amour émouvante et très controversée. Une histoire de Pamphile, l'auteur d'un viol qu'il a commis pendant qu'il était sous l'emprise de l'ivresse. Quelques mois après, embarrassé par le choix d'une femme à épouser, voilà que le passé le rattrape et le fait ramener les pieds sur terre. Pamphile se voit obligé d'assumer les conséquences de cet acte ignoble...
Une petite pièce de théâtre qui nous trace, si on peut le dire ainsi, un cycle de vie vicieux. Autrement dit c'est un serpent qui se mord la queue.
Par l'Hécyre, l'auteur nous fait comprendre aussi qu'il est difficile à l'homme d'être maître de soi-même d'autant plus qu'il est lui-même esclave.
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MICION : Le sens de l'honneur et les sentiments nobles valent mieux, je crois, pour retenir les enfants que la crainte. Ces principes, mon frère ne les partage pas avec moi, et il n'y croit pas. [...] C'est lui qui est trop sévère, au-delà de ce qui est juste et bon, et il se trompe beaucoup, à mon sens, s'il croit qu'une autorité sera plus ferme et plus table si elle repose sur la force, plutôt que celle qui s'établit par l'affection. [...] Celui qui accomplit son devoir sous la contrainte du châtiment, ne se contient qu'aussi longtemps qu'il croit que ce qu'il fait peut venir à se savoir ; s'il espère que la chose sera cachée, il revient à son naturel ; celui que l'on attache par de bons procédés agit du fond du cœur, il s'efforce de rendre la pareille, que l'on y soit ou que l'on n'y soit pas, il restera le même. Le devoir d'un père, c'est d'habituer son fils à bien agir spontanément plutôt que par la crainte d'autrui ; c'est cela, la différence entre un père et un maître ; celui qui n'en est pas capable, qu'il avoue qu'il ignore commander à ses enfants.
LES FRÈRES : Acte I, Scène 1.
DÉMÉA : Jamais personne n'a si bien réfléchi à ce que devrait être sa vie, ni si bien calculé que les faits, le temps, l'expérience ne lui apportent quelque chose qu'il n'attendait pas, ne lui apprenne quelque chose, qui montre que l'on ignore ce que l'on croyait savoir, et qui fait qu'à l'épreuve on refuse ce que l'on croyait autrefois le plus important. C'est ce qui m'arrive maintenant ; car jusqu'ici j'ai vécu une vie dure, et voici que, le cours de ma vie presque terminé, j'y renonce. Pourquoi cela ? J'ai découvert par expérience qu'en réalité il n'y avait pour l'homme rien de mieux que la douceur de mœurs et l'indulgence. Que cela soit vrai, n'importe qui peut s'en rendre compte, d'après mon frère et d'après moi-même. Lui, il a toujours passé sa vie dans le loisir et les banquets, paisible, tranquille, ne heurtant personne, souriant à tous ; il a vécu pour lui, il a dépensé pour lui ; tout le monde dit du bien de lui, et l'aime. Moi, le rustre, le mauvais, le sombre, l'avare, le bourru, l'entêté, je me suis marié ; quelle misère j'en ai eue ! Des fils sont nés ; nouveaux soucis ; hélas ! En cherchant à faire le plus possible pour eux, j'ai usé au travail ma vie et toute mon existence ; maintenant que j'ai presque terminé mon temps, voilà le fruit que je tire d'eux pour ma peine : la haine ; l'autre, sans effort, jouit des avantages de la paternité ; c'est lui qu'ils aiment ; moi, ils me fuient ; à lui ils confient tous leurs projets, ils le chérissent, ils sont tous deux chez lui ; moi, je suis abandonné ; ils souhaitent qu'il vive, et moi, ils attendent évidemment ma mort.
ADELPHES : Acte V, Scène 4.
LACHÈS : Ainsi, il y a unanimité, chez les belles-mères, pour détester leurs brus. Pour contredire leurs maris, pareil zèle chez toutes, pareille obstination, et toutes mes semblent avoir appris la malice dans la même école. Et dans cette école, si elle existe, je suis certain que ma femme y est maîtresse.
LA BELLE-MÈRE, Acte II, Scène 2.
DÉMÉA : Cela te plaît, Micion ?
MICION : Non, si je pouvais y changer quelque chose, mais comme je ne le puis pas, je le supporte patiemment. La vie des hommes, c'est comme quand on joue aux dés ; si ce qu'on obtient en les lançant n'est pas exactement ce dont on aurait eu besoin, il faut y remédier par son habileté à jouer.
ADELPHES : Acte IV, Scène 7.