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EAN : 9791041414567
600 pages
Points (12/04/2024)
3.43/5   53 notes
Résumé :
2018, São Paulo. Trois adolescents paumés, sentant un « feu vert » dans le discours du président en devenir pour exprimer leur haine, agressent un homosexuel. Ils lui gravent au couteau, sur le torse, un V pour victoire et une croix gammée. Le jeune homme meurt peu après.

2003. Les inspecteurs Mario Leme et Ricardo Lisboa, de la police civile, enquêtent sur le meurtre de Paddy Lockwood, directeur de la British School. Leur hiérarchie souhaite une con... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (26) Voir plus Ajouter une critique
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« Cette ville ne dort jamais, se dit-il. Elle se débat dans les remugles de sa propre agonie. » Cette ville, c'est São Paulo. Douze millions d'habitants. Plus grande ville du Brésil. Plus grande ville d'Amérique du Sud. Etat de 42 millions d'habitants, le plus peuplé du continent américain. Une majorité de blancs, une minorité de noirs et d'Amérindiens, une minorité d'ultra riches, une majorité de pauvres. L'essence de ce roman noir du Britannique Joe Thomas est contenue dans la photographie qui figure sur la couverture: un amas de bidonvilles qui cerne des immeubles modernes, le tout copieusement nappé de brouillard, l'état de Sao Paulo concentrant un taux record de particules polluantes en suspension.

Brazilian Psycho, n'est pas un autre American Psycho à la Bret Easton Ellis car un seul Patrick Bateman ne suffirait pas pour incarner les excès et les dérives d'une mégapole. Pour saisir la quintessence de São Paulo, Joe Thomas choisit deux périodes phares de son histoire récente, la présidence de Lula, puis celle de Bolsonaro, et surtout le mandat de Marta Suplicy, ancienne députée, ancienne maire de São Paulo, ancienne ministre, et sénatrice. Car la ville, puissant levier économique du pays, est décisive sur le plan national. C'est par le biais du roman noir et à travers le parcours d'une multitude de personnages, policiers, délinquants des favelas, agents de la CIA, avocats, hommes politiques, prostitués, que le romancier dresse un portrait terrible de la ville tentaculaire, cloisonnée, raciste, corrompue, où l'ascenseur social n'existe pas, où la justice vous rendra blanc ou noir selon que vous serez puissant ou misérable, et où la politique influe de manière démesurée sur les esprits, que ce soit par l'espoir (ou crainte pour les financiers et les Américains) suscité par la politique sociale menée par Lula ou Rousseff, ou par la haine avec la montée des violences homophobes et racistes chez les partisans de Bolsonaro.

Le roman est colossal, l'écriture percutante, et laisse le lecteur étourdi par la violence de la ville, et le rythme du récit. Brazilian Psycho lorgne du côté de Don Winslow pour le Mexique ou de Ellroy pour Los Angeles. Je n'ai pourtant pas compris le choix de traduire et de publier le dernier volume de cette tétralogie, car trois romans précèdent Brazilian Psycho, et mettent en scène des personnages que l'on retrouve ici, Paradise City, Playboy et Gringa. Il est dommage de ne lire que le dernier volume de ce quatuor brésilien. Je remercie les éditions du Seuil et Babelio pour ce roman reçu dans le cadre de l'opération Masse Critique.
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Cette ville pousse à boire, ma première réflexion, ou celle d'un auteur connaissant parfaitement ce coin-là, São Paulo. La plus grande ville de l'Amérique du Sud, de hauts buildings, richesse d'une économie florissante, quartier d'affaires et de magouilles. Juste à côté, la favela, immense bidonville où survivent un peuple aux origines diverses. Entre les deux, du trafic, de drogue, de sexe, de dollars. Pour encadrer ce marché florissant, des gouvernements qui se succèdent. Lula, Dilma, Temer, et pour finir Bolsonaro. 2003 - 2018, une grande épopée brésilienne au coeur de São Paulo.

Je suis au début ou à une fin, peu importe l'ordre comme le dit l'auteur ou l'éditeur, au coeur d'un grand Quartet, dans la lignée du L.A. de James Ellroy, voilà le São Paulo, version I ou version IV de Joe Thomas. Un roman, passionnant et riche, foisonnant de personnages, des types biens, flics dépassés par des crimes de haine, des femmes bonnes, aides sociales dépassées par les magouilles financières et autres pots-de-vins, jusqu'à l'exécrabilité en la personne de son dernier président, misogyne, homophobe et raciste pour ses principales qualités.

A São Paulo, je n'y suis pas pour danser la samba. A São Paulo, je n'y vais pas pour me prélasser sur la plage de Copacabana. A São Paulo, non, je ne rencontre pas la fille d'Ipanema. A São Paulo, j'observe les maux d'une société brésilienne florissante et en pleine expansion, autour d'une, mais là tu ne me crois pas, donc de plusieurs bières, fraîches et parfois glacées - peu importe la marque d'ailleurs. Un grand moment littéraire, qui demande certes du courage, certes de l'attention, mais d'une telle richesse que j'y étais, dans la place, favela fever. Saúde ! São Paulo !
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2018, Sào Paulo
Un homosexuel est découvert mort, un svastika gravé sur la poitrine ainsi que le V de victoire. Ce dernier concernant, certainement Jair Bolsonaro, alors candidat à la présidence du Brésil.
La police enquête.

Ce livre, outre ce début en 2018, conte une histoire de la ville de Sào Paulo, état de Sào Paulo, plus grande ville du Brésil, de 2003 à 2018 soit durant la présidence de quatre personnes : Lula, Dilma Rousseff, Temer en intérim et le début de Bolsonaro.

Mais la véritable héroïne du récit c'est, indubitablement, la favela Paraisopolis, la ville du paradis, enfin le paradis elle n'en a que le nom.
Il y a bon nombre d'autres favelas ici ou là dans la ville mais ce ne doit pas être loin de celle-ci.

Fleurant bon les lignes du livre, l'argent ce veau d'or, cet objet du désir universel est omni présent, autre héros, si pas le principal, de l'histoire.
Car pourquoi se haïr et se faire la guerre si c'est pour des clopinettes quand l'argent qui soigne tout ou presque est à portée de main.

Chaque président(e) pour son élection promet d'éradiquer la corruption, ce qui en fait rire plus d'un! Certes cela part d'un bon sentiment et si l'on vote c'est que l'on y croit. Bolsonaro également sauf que lui il y ajoute l'éradication des LGBTQ.

C'est donc des tranches de vie de différents personnages, tous n'ayant qu'un seul but : le profit, excepté deux flics incorruptibles bien disposés à trouver le ou les responsable du meurtre d'un professeur. Il faut dire que tout est détourné y compris l'argent des constructions, les matériaux de construction...le beurre et l'argent du beurre, tout!

L'auteur Joe Thomas dans un style rappelant fort celui de James Ellroy, nous conte une histoire de la favela Paraisopolis à l'aide de nombreux personnages mafieux, ex de la Cia grand amateur de drogue et de femmes, politiciens corrompus, policiers véreux de la police militaire mais aussi honnêtes de la police civile, jeunes caïds etc.
Certes je pense que le but est, quand même, la ville de Sào Paulo qui, comme New York, ne dort jamais.
J'ai trouvé des longueurs dans ce roman mêlant fiction et réalité. A vrai dire je trouve que l'on s'y perd un peu sans pour autant que le récit soit inintéressant mais le fait qu'il ne se passe que des faits divers liés au fric lasse le lecteur que je suis. Je m'imagine bien, m'intéressant à la géopolitique, que tout cela peut être tristement bien réel, mais bon 580 pages cela fait beaucoup.

J'ai compté dans la "Dramatis personae" plus de 100 personnes, certes sur 4 romans dont seul celui-ci, le dernier, a été traduit. Même si, apparemment, chacun peut être lu indépendamment des autres, je trouve un peu dommage de ne pas les lire dans l'ordre.

Pour finir Marielle Franco, à qui le livre est dédié nous dit :
"La favela n'est pas le problème. La favela est la ville. La favela est la solution."
Alors...

Je remercie Babelio de m'avoir choisi pour cette masse critique et les éditions du Seuil Cadre Noir de m'avoir offert ce livre.

Lien : https://www.babelio.com/livr..
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J'ai reçu ce roman dans le cadre de l'opération « Masse Critique », je remercie sincèrement Babélio et les éditions du Seuil de m'avoir permis de découvrir cet ouvrage. Il s'agit d'une chronique sociale qui se déroule au Brésil, dans la mégapole de Sao Paulo, plus grande ville du Brésil, entre 2003 et 2019. L'auteur anglais, Joe Thomas, a vécu une dizaine d'année à Sao Paulo, ce qui lui permet de nous faire partager l'atmosphère très particulière de cette ville mêlant corruption, pauvreté, délinquance, drogue, prostitution mais aussi le monde des ultras riches des quartiers d'affaire.
L'auteur mêle adroitement fiction et réalité, il explique d'ailleurs très bien dans sa postface les éléments qui relèvent de la réalité et ceux qui relèvent de la pure fiction. Ceci rend son ouvrage particulièrement crédible, très ancré dans la réalité de cette ville gigantesque. C'est pourquoi, j'ai introduit cette chronique en parlant d'une chronique sociale et je dirai même politique. Cet ouvrage est intéressant en ce sens car il nous éclaire fortement sur les évènements qui ont amené à l'accession au pouvoir de Jaïr Bolsonaro. C'est à, mon sens, un des intérêts majeurs de ce roman. En effet, les dérives sous les présidences de Lula et Dilma Rousseff issus du parti des travailleurs ancrés à gauche, ont finit par induire un changement radical au niveau politique. Ce changement a été fortement appuyé par les riches milieux d'affaires, les catholiques conservateurs et la police militaire nostalgique de la dictature à grand renfort de populisme et de magouille. L'auteur nous explique très bien, également, comment le Brésil est devenu le 1er pays au monde par le nombre de crime commis à l'encontre de la communauté LGBTQ en lien avec la montée du populisme qui a légitimé ces exactions.
Mais c'est aussi un roman noir dont le fil conducteur est un crime odieux commis sur le directeur d'un école britannique de Sao Paulo. L'enquête freinée par des intérêts liés au pouvoir local qui s'exprime par le biais de la police militaire cherchant à tout prix à enterrer cette affaire en désignant un coupable facile et pauvre, que l'on peut aisément acheter, au sein d'une favela de Sao Paulo. C'est grâce à l'engagement et à la pugnacité de deux policiers de la police civile que l'on connaîtra la vérité sur cette affaire. Une part importante de ce roman se déroule au sein de Valpareiso, une des principales favela de Sao Paulo. On y découvre la vie de ce quartier, l'organisation qui la régit et qui régit son économie parallèle, mais qui permet aussi, de vivre ou survivre à une grande partie de sa population. On y apprend les règles de vie dans les favelas, on vit le soulèvement de la fête des mères qui a réellement eu lieu et la répression sourde et aveugle qui s'en est suivi par la police militaire. La vie dans les favelas est extrêmement difficile, ce qui apporte beaucoup de noirceur à ce roman, mais les personnages en sont d'autant plus attachants. On suit notamment la vie de deux petits délinquants, Rafa et Franginho, habitants la favela de Valpareiso. On suit leur évolution, leurs rapports avec l'organisation mafieuse qui régit ce quartier. Ces deux personnages majeurs sont très attachants et leur amitié indéfectible est source d'espoir dans cette noirceur.
L'auteur a un style très direct, très haché par moment. Il y a beaucoup de description qui nous permette de s'imprégner de l'atmosphère de cette ville tentaculaire. Cependant, le récit est parsemé de dialogue, ce qui le rend très vivant malgré tout. C'est un roman particulièrement dense, les personnages sont nombreux, les intriques et les faits également mais tout finit par se regrouper et le final est de mon point de vue plutôt réussi. Je peux comprendre également que cette densité puisse gêner certains lecteurs, c'est vrai que ce roman demande un effort, il est exigeant. J'ai eu des lectures bien plus faciles. L'auteur a inséré par moment des articles de presse, des points de vue différents, des scènes vues et racontées par différents personnages. Ce qui implique qu'il faut en permanence savoir se situer dans le temps et dans les lieux. Pour certain personnage, la narration est à la première personne, ce qui la rend plus immersive. Pour d'autre, la narration est à la troisième personne, ce qui amène plus de détachement. Dans certains dialogues, on retrouve des expressions en brésiliens, ce qui peut gêner la lecture ; personnellement, ça ne m'a pas gêné, même si par moment certaines sont un peu répétitives et n'amène rien « entendeu » par exemple.
Au final, j'ai passé un bon moment. Ce roman m'a permis de me plonger dans un pays que je ne connaissais pas du tout et que j'ai donc pu découvrir par certains aspects, pas forcément les plus reluisants et les plus réjouissants. On n'est pas du tout sur les plages de Rio baignées par le soleil, mais plutôt dans le crasse des favelas de Sao Paulo. Pour ma part, je préfère largement cet aspect là. Par certains côtés de la plume de l'auteur, j'ai retrouvé du Don Winslow qui est un auteur que j'aime beaucoup voire du James Ellroy. Pour les amateurs, n'hésitez pas, sans être un chef d'oeuvre c'est une bonne lecture de qualité.
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Livre reçu dans le cadre de l'opération Masse Critique.

Le roman s'ouvre sur un crime odieux. Haineux aussi, pourrait-on dire, car la victime a acquis ce triste statut à cause, d'une part, de sa supposée orientation sexuelle, d'autre part à cause du sentiment d'impunité qui a soudainement gonflé la poitrine de ses bourreaux, en ce soir d'élection. Pas n'importe laquelle, du reste : celle de Jair Bolsonaro à la présidence de la république du Brésil, celle, en somme, d'un conservateur résolument opposé aux droits des minorités sexuelles - entre autres - et admirateur affirmé de la dictature militaire des années soixante et soixante-dix. D'autres meurtres, encore, agitent les pages du livre : celle d'un directeur d'école, britannique de nationalité, celles de jeunes gens transsexuels, affreusement mutilés, comme de tristes imitations des victimes de Francisco Assis de Pereira, mieux connu comme le Maniaque du Parc. Brazilian psycho, cependant, malgré ce titre, et malgré ces morts qui parsèment ses pages, n'est pas un polar. Plutôt, il faut y voir un roman noir, une chronique violente de l'histoire récente du Brésil, des années Lula puis Rousseff, une tentative narrative pour expliquer l'arrivée au pouvoir d'un homme d'extrême-droite comme Bolsonaro sur fond de misère sociale et de crise morale de la société brésilienne. Pour écrire cette chronique, Joe Thomas a disposé des personnages comme des marqueurs forts de la société brésilienne, ou de ceux qui l'influencent : Leme et Lisboa, les deux flics qui représentent la droiture morale, la quête de vérité ; Renata, Anna, Fernanda, de jeunes femmes qui oeuvrent pour améliorer le quotidien des classes les plus modestes, usant néanmoins de moyens à la limite de la légalité ; Ray Marx, un Américain au rôle obscur qui facilite les financements occultes ; Rafa et Franginho, deux amis issus de la favela de Paraisopolis - la cité-paradis - à laquelle, malgré leurs efforts, ils restent attachés de manière irrémédiable. Malgré ses qualités, à commencer par cet état des lieux de la situation politique, sociale et morale de la société brésilienne, le roman souffre de défauts tenaces, que ce soit son style d'écriture ou les choix narratifs que l'on peine à comprendre.

Le roman déroule son action entre 2003 et le début de l'année 2019. C'est le temps qu'il faudra pour résoudre un meurtre, celui de Paddy Lockwood, directeur d'une école de prestige pour classes aisées. Deux enquêteurs, Lisboa et Leme, tentent d'abord d'en trouver le coupable, avant que leur chef ne leur intime l'ordre de bâcler l'enquête : certains secrets doivent être emportés dans la tombe. Lors d'une descente dans la favela de Paraisopolis, le fils de la bonne de Lockwood, Sergio Nascimento, est arrêté, puis jugé coupable. Les années passent. Lula, avec la création de la Bolsa Familia, permet d'améliorer le quotidien de milliers de favelados ... et génèrent un juteux business dont profitent aussi bien des multinationales comme Capital SP que les organisations criminelles qui gèrent la favela. Les flux d'argent circulent par des biais plus ou moins légaux, comme cette association à but philanthropique que mène Renata (devenue l'épouse de Leme), qui intervient pour les démarches administratives des favelados et blanchit également un grand nombre de fausses cartes nécessaires pour toucher la fameuse bourse familiale. Parallèlement, la police militaire - issue de la dictature militaire - continue ses descentes dans la favela, y réprimant sans discernement et avec violence la délinquance usuelle, et y générant son trafic utile à ses membres pour vivre décemment. Lors de la fête des Mères de 2006, les détenus des prisons sont libérés en masse, et le PCC - Premier Commando de la Capitale, principal gang à l'échelle du Brésil - en profite pour régler ses comptes, notamment avec la police. le père de Rafa, Sergio Nascimento, décède durant ces événements. 2011 : Rafa et Franginho ont pris du galon dans la favela. Ils gèrent leur business, rencontrent Carolina, fille de bonne famille, militante de gauche. Rafa et Carolina tombent amoureux. de nouveaux meurtres de jeunes homosexuels ou transsexuels sont commis, laissant Leme et Lisboa démunis. Puis Dilma Rousseff arrive au pouvoir. La gauche continue son programme progressiste, mais au prix de distribution massive d'argent. Les choses dérapent pour tout le monde. Ceux qui peuvent partir - tels Rafa et Carolina, ou Ray Marx - partent, ceux qui restent essaient de survivre, et parfois n'y parviennent pas.

L'intérêt principal de ce Brazilian psycho réside donc, probablement, dans la chronique qu'il établit sur les quinze ans de pouvoir du PT (Parti des Travailleurs) brésilien. Marqué par des inégalités criantes, et géographiquement visibles - la photo de couverture les illustre, avec la favela bordant littéralement ce qui semble être un quartier résidentiel pour classes moyennes -, le Brésil connaît un miracle économique sous Lula. Mais cette guerre menée à la misère a un coût, le clientélisme, décrypté ici avec finesse. La circulation massive d'argent public conduit des acteurs institutionnels, des grands groupes internationaux et des acteurs interlopes à chercher à mettre la main sur le magot, ou tout du moins à détourner une partie de ce grand ruissellement d'argent. Ce clientélisme, exploité politiquement, conduit à une impression générale de corruption, qui agace l'opinion publique. Il n'y a pas que cela. La violence quotidienne que connaît la société brésilienne - le jour de la fête des mères 2006 en est un exemple glaçant, l'exemple de la mort de Renata aussi - encourage aussi un retour au conservatisme - qu'on pourrait assimiler, au Brésil, à la période historique de la dictature. Pourtant, la violence n'est pas que le fait des favelados ; la police militaire, toute-puissante dans ces zones, n'hésite pas à tirer avant et réfléchir après. Carlos, l'un des personnages, proche de Lisboa qui voit en lui un militar plutôt intègre, en est l'exemple-type, qui magouille pour son propre compte et celui de ses supérieurs, torture et tue les favelados gênants. Enfin, cette aspiration au conservatisme s'explique probablement par un aspect moral, qui divise la société brésilienne. D'un côte, l'aspiration à une forte liberté individuelle, qui passe notamment par une liberté physique et sexuelle. Bocão, "Grande Bouche", amant de Paddy Lockwood, en est un exemple. Ce rapport très libre au corps - d'un point de vue de la sexualité ou de la transformation corporelle, et notamment sexuelle - rencontre l'opposition morale d'une partie de la population, laquelle fêtera, un soir de novembre 2018, l'accession au pouvoir de Jair Bolsonaro. Et, entre ces dissensions morales, ces manoeuvres politiques, ces accès de violences extrêmes, des personnages sont en quête de tranquillité et de bonheur, de vérité aussi, tels Renata, Leme, Lisboa, Rafa aussi. Hélas pour eux, la société les englobe, les broie, les avale. La société brésilienne apparaît comme un monstre dont l'apaisement, probablement, n'est pas pour tout de suite.

On pourrait donc tenir là, dans ce Brazilian psycho, le grand roman noir de la société brésilienne contemporaine, une mise en lumière sans concession de la façon dont fonctionne intimement ce grand pays, fascinant en bien des aspects - le sexe et la violence sont des ingrédients qui font mouche, de nos jours -, et d'une certaine manière, Joe Thomas touche juste. Pourtant, on peine à être embarqué dans ce pavé de presque six cents pages. le style, d'abord, gêne. Trop verbeux, ou pas assez, on se trouve dans un entre-deux inconfortable : d'un côté, l'exigence de l'action qui voudrait des phrases concises, des dialogues percutants ; de l'autre, la volonté de décrire, d'expliquer au lecteur ce qu'est ce Brésil géant et inquiétant, de détailler donc les mécanismes de tel ou tel phénomène politique ou social. Las, Joe Thomas hésite, ne se jette ni dans une voie ni dans l'autre, place des longueurs où il faudrait de l'action, survole ou parle de façon sibylline - notamment dans la bouche de Ray Marx, dont la position n'est pas clairement établie - lorsqu'il faudrait détailler, expliquer, en un mot se montrer clair. de ce fait, le lecteur croit comprendre, sans en avoir l'assurance, se raccroche à des concepts rassurants mais flous, tels que "corruption", "magouille", "procédés illégaux". N'en demandez pas plus, le lecteur ne saura vous les expliquer. On passera sur les termes brésiliens laissés çà et là, entendeu, querida, sabe, façon artificielle de faire local, d'assurer le lecteur que, oui, nous sommes bien au Brésil, mais qui en doutait, puisque cela se passe à São Paulo, que le lecteur reconnaîtra - et c'est positif - de réels personnages, le plus souvent issu de cette classe politique dont le roman démontre la faillite morale. Au-delà de cet aspect purement stylistique, ce sont les choix narratifs qui interrogent. Là aussi, Joe Thomas semble hésiter. Ce Brazilian psycho du titre est-il une référence au tueur que pourchassent Leme et Lisboa, ou bien est-ce une façon de qualifier la société brésilienne, psychotique comme le sont probablement toutes nos sociétés contemporaines ? Mais l'enquête n'est pas du tout au centre du roman ; elle est évoquée au début, puis à la fin, elle en détermine donc le cadre chronologique, mais les huiles de la police ont dit que le coupable était ailleurs, alors Leme et Lisboa en ont pris leur parti, et Joe Thomas aussi, qui laisse là l'enquête, garde tout de même un fil rouge avec le journal intime de Bocão, donnant au lecteur cette intuition que ce crime vil n'est que l'expression bien triste d'une jalousie amoureuse. Enfin, il y a ces personnages, dont le caractère peut virer du tout au tout. On pourrait penser que cela fait partie de cette façon de décrire ce Brésil contemporain, que rien n'est vraiment sûr, que les personnages évoluent, que la société s'impose à eux. On pourrait aussi penser que la narration n'est pas maîtrisée, que Leme, finalement, n'est pas le personnage central du roman, parce qu'il meurt, que Renata se découvre une fibre philanthropique alors qu'elle semblait être, au début, parfaitement à l'aise avec les activités de Capital SP, que Carlos est décidément un bel enfoiré quand Leme le présente comme un bon militar. Explosif, promettait le bandeau. Pas faux. Brazilian psycho part dans tous les sens.
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critiques presse (2)
Liberation
18 août 2023
Un roman très dense, noir, intriguant, assez finement construit pour garder le lecteur dans un fait précis tout en dessinant la fresque qui raconte un pays.
Lire la critique sur le site : Liberation
LeJournaldeQuebec
17 juillet 2023
Mêlant fiction et réalité, cet impressionnant roman noir la raconte en faisant notamment la part belle à l’ex-président, Jair Bolsonaro.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
Citations et extraits (24) Voir plus Ajouter une citation
Un peu plus de cinq heures du matin, le premier jour de 2011. Un poil tôt. Le téléphone de Leme sonne encore et encore. Il dort depuis près d'une heure. Les mots de Leme résonnent dans son crâne : Joyeuse putain de bonne année !
Leme sommeille. Le téléphone sonne encore et encore. II sent Renata soupirer. Un souffle chaud et rance sur sa nuque.
Lui reviennent des souvenirs d'excès de bières et de shots de pinga, de musique et de cris. Leme tonnant de joyeux compliments et des promesses de sérieux et de fraternité à l'oreille de Lisboa.
Leme sent l'ail et le sel, la graisse de porc et le vieux mégot. Des bouts de chips entre ses dents.
Qui appelle, putain de merde ?
Leme décroche. Lisboa. Putain de merde, qu' est-ce qu'il veut, à une telle heure ?
- Oublie le lit, garanháo, dit-il. On a un cadavre avec notre nom dessus. Joyeuse putain de bonne année, mon pote.
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Happy Hour : trois pintes de Heineken pour seulement trente-cinq réaux. Ou deux pintes de Paulaner au prix cassé de quarante-sept réaux. Des boissons qui sont des symboles de réussite sociale, destinées à une clientèle en pleine ascension, au goût sûr. Qui vit des jours heureux.
Lisboa commande une Heineken. L'envergure d'une vraie pinte, c'est tout de même autre chose. Parfois, une chopp ou une bouteille glacée avec son petit verre ne peuvent pas suffire.
En buvant sa première gorgée, il se demande, vu la taille des verres, comment les gens en Angleterre réussissent à travailler.
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Je suis pour la torture, vous le savez, et les gens sont pour, eux aussi. Ce n'est pas par le vote que vous changerez quoi que ce soit dans ce pays. (Interview télévisée, 1999.)

Elle ne mérite pas de se faire violer, parce qu'elle est trop nulle, parce qu'elle est trop moche. ("Blague" sur la députée du Parti des travailleurs Maria de Rosario, décembre 2014.)

Je serais incapable d'aimer un enfant homosexuel. Je préfèrerais que mon fils meure dans un accident que de le voir se présenter avec un moustachu. (Interview du magazine Playboy, 2011.)

Il y en a assez de donner les moyens à de plus en plus de couples de faire venir au monde des êtres qui n'ont pas une capacité minimale à devenir des citoyens à l'avenir. (Commentaire sur les pauvres, les Noirs et les indigènes du pays lors d'une interview radio, 2003.)

Jair Bolsonaro
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Leme et Carlos mastiquent.
Les hamburgers sont copieux, la viande abondante et juteuse, le fromage goûteux, les oignons juste assez doux...
Ils s'enfilent tous les deux des bières fraîches.
Ils les boivent dans de grands bocks glacés aux anses épaisses. Ils les alignent - c'est de la Bavaria, comme marque, une bière faussement allemande, de grande consommation.
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Je suis né dans le Nordeste. Du moins, c'est ce que ma mère m'a dit. Pas de père - je ne l'ai jamais connu, de toute façon. Nous vivions dans une petite baraque dans un bidonville de merde en lisière de Fortaleza et ma mère nous faisait péniblement subsister avec son boulot de bonne. Ma sœur, dès qu'elle en a eu l'âge, a quitté l'école pour l'aider en faisant la même chose. Je ne me souviens pas que ça ait fait une différence au niveau des revenus. Moi, j'ai juste quitté l'école.
Je passais mon temps dans la rue, en me tenant à l'écart des embrouilles, plus ou moins, en m'abritant du soleil.
La lumière à Fortaleza est d'un blanc féroce.
À São Paulo, le soleil est tamisé par la pollution, la fumée, toutes les merdes qui traînent dans l'air : les rayons ressemblent à des hachures de peinture jaune pisse.
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