Voilà un récit un peu déjanté : amoureux de sa poupée gonflable, Juan traîne son mal de vivre. Ses amis affichent des bizarreries pour le moins incongrues. Les relations sociales sont réduites au minimum : parler de ses angoisses, regarder par la fenêtre le monde, améliorer son introspection.
Témoin de ses sentiments, la poupée agit comme un double de lui-même puis devient inutile.
On peut ne pas aimer
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-L'Eden et le paradis terrestre ne sont-ils pas une seule et même chose ?
-Absolument pas, dit le concurrent au ruban rouge. Le paradis terrestre est cet endroit merveilleux où tout est déjà fait pour nous. Nous n'avons qu'à lever le petit doigt pour obtenir ce que nous désirons ou dont nous avons besoin. Les jambons, les chorizos et les chipolatas pendent aux branches de l'arbre de la vie et le couteau magique qui est à,portée de main nous permet de nous couper toutes les tranches de jambon ou les morceaux de charcutaille qui nous font envie.
-Et cet Eden ? demande l'animatrice.
-En Eden, répond le concurrent de l'équipe rouge, il faut travailler un peu. Il ne suffit pas de tendre le bras comme au paradis terrestre. On y dispose aussi d'un couteau magique, mais, pour s'approvisionner en charcutaille, il faut la fabriquer. Des douzaines de porcs vont et viennent autour de nous, mais c'est à nous de prendre la peine de les tuer."
Je crois bien qu'encore une fois j'ai la berlue. Une légère colonne de fumée bleutée s'élève maintenant de la tête du concurrent au ruban rouge, un peu comme celle qui s'échappe d'une pipe.
J'enfile mon pyjama et descends dans la rue, ma télé sur l'épaule. La benne est sur le trottoir d'en face. J'appuie fortement sur la pédale, le couvercle se lève et je balance le poste sur les sacs-poubelle. À ce moment-là, je me sens capable d'affronter la terre entière.
Dorotea m'accueille avec son sourire éternel. Elle ne change jamais d'expression. Il y a deux soirs de ça, je me suis acheté un crayon-feutre noir et lui ai dessiné quelques cils;
"Voyons un peu ce que nous allons trouver là-bas dedans", lui dis-je en appuyant sur la télécommande de la télévision.
Lecture d'un extrait de la page 16 de "La Noche del Lobo" de Javier Tomeo par Alain Larroche.