Le dépouillement de la pensée et de la langue biblique est déjà un signe de sa transcendance.
Les philosophes païens qui assistèrent à la naissance de ce « phylum » de pensée nouveau s’indignèrent de ce que « des cardeurs et des cordonniers, des gens sans aucune espèce d’éducation ni de culture », « des gens de rien, sans formation philosophique, sans culture, des artisans et dont souvent le métier est sordide, prétendent décider des plus hauts problèmes sur quoi tant de sages balancent ».
La métaphysique biblique a ceci de particulier : elle est communicable aux hommes qui ne sont pas des techniciens de la philosophie.
Elle se communique sous les espèces du récit historique, du maschâl, de la parabole : « Un semeur sortit pour semer sa semence… Une femme prit du levain qu’elle mit dans sa pâte… »
(page 217)
A chaque pas, dans ce travail, nous avons rencontré la Gnose qui nous est apparue comme constituant une métaphysique inverse de la métaphysique biblique, son adversaire.
La Gnose a accompagné fidèlement la philosophie chrétienne au cours de son histoire : la Gnose, c’est la philosophie anti-chrétienne. (…)
La Gnose est dans l’histoire des idées un phénomène pérenne.
De nos jours, on ne prête souvent pas suffisamment attention au fait que la Gnose n’est pas morte.
La métaphysique gnostique s’est continuée et développée avec la Kabbale juive, Jacob Bœhme, Spinoza, Leibniz, Schelling, Hegel, pour ne nommer que les plus célèbres. (…)
Peut-être pourrait-on dire qu’en fin de compte il n’y a au monde que deux métaphysique : la biblique - c’est-à-dire la chrétienne - et la gnostique.
(page 229)
Une épreuve s’avère décisive pour évaluer une métaphysique, c’est de la confronter avec le réel lui-même, tel que les sciences positives progressivement nous le découvrent.
Le seul critère que l’on puisse invoquer pour départager les métaphysiques, c’est la réalité.
En dernier ressort, l’être est seul juge.
Il ne s’agit pas de comparer une métaphysique à des données ou à des théories scientifiques ; ce serait là confondre des ordres de connaissance irréductiblement distincts.
Mais il convient de vérifier dans quelle mesure une métaphysique est ouverte aux enseignements des sciences du réel, capable de les assumer, de les comprendre et même de les promouvoir, ou au contraire inapte constitutionnellement à penser et à intégrer ce que la connaissance expérimentale nous apporte.
(page 10)
Nous ne saurions nous fixer aux apparences présentes, « la figure de ce monde-ci passe ».
« Nos regards ne s ‘attachent pas aux choses visibles mais aux choses invisibles ; car les choses visibles sont pour un temps, tandis que les invisibles sont éternelles. »
Ainsi l’éternité opère dans le temps comme le levain dans la pâte.
« Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. »
(page 153)
La métaphysique que nous ont léguée les Grecs s’avère, du point de vue où nous ont placés les sciences positives, incapable de recevoir et d’assumer ce que ces sciences nous découvrent progressivement du réel. Il n’est pas question, bien entendu, de nier ni de minimiser l’admirable épanouissement de la recherche scientifique dans la Grèce antique. Notre problème se situe à un autre niveau : à celui des structures métaphysiques. Au cours de l’histoire de la science, la métaphysique antique s’est révélée à l’usage comme constituant une gêne et un obstacle pour le développement de la connaissance scientifique, pour l’intelligence objective du monde. (il faut faire une exception pour Aristote, dans la mesure où celui-ci, par son attitude positive à l’égard du réel, a réagi contre les tendances et les thèses mythologiques de la métaphysique hellénique, ouvrant ainsi la voie à une métaphysique qui tienne compte de l’observation scientifique du réel. « Comprenons d’abord les faits, et alors nous pourrons rechercher les causes. »
(page 13)