Kanô, le narrateur, annonce d'emblée la couleur: il est un bon à rien vivant aux crochets de sa maitresse. Ça, c'est dit.
Petit retour en arrière : sept ans auparavant, ledit Kanô, s'étant amouraché de la geisha Okayo, abandonna sa femme
Ohan enceinte. Lui demandant néanmoins d'attendre que sa crise passe... Un type bien, quoi.
Depuis, il travaille comme brocanteur pour son argent de poche. Pour le reste, Okayo, qui a regagné son indépendance professionnelle pour ouvrir une okiya (maison de geishas) fournit tout, amour compris.
Mais voilà, un été, Kanô croise sa femme par hasard et se dit que finalement, il renouerait bien avec. Et c'est ainsi que le roman commence...
A première vue, on pense avoir affaire à une énième histoire de triangle amoureux où le mari hésite entre sa femme (et son fils qu'il n'a jamais vu en sept ans) et sa maîtresse qui lui assure une très confortable vie d'oisiveté. Pour ce qui est des atermoiements et des tergiversations, Kanô se pose là. Il a beau jeu, tout le long de sa confession, de déclarer sa veulerie et d'appeler sur lui moqueries et mépris de son auditoire. Et d'affirmer régulièrement que vraiment le coeur de l'homme est insondable et misérable. Il met du coeur et de la complaisance à se couvrir d'opprobre...
Donc
Ohan un roman qui sent le réchauffé? C'est sans compter sans le talent de
Uno Chiyo. L'auteure a mis dix années pour rédiger ce qui est considéré comme son oeuvre la plus aboutie. Très court (80 et quelques pages), l'ouvrage est ciselé, affiné et travaillé dans ses moindres détails.
Uno Chiyo déroule son intrigue sur un peu plus d'une année, à compter de la retrouvaille de Kanô et de
Ohan. Cette période est rythmée par le passage des saisons et les différentes fêtes traditionnelles japonaises qui les ponctuent.
De quasi vaudeville entre le trio Kanô-
Ohan-Okayo, le ton évolue subtilement vers un ton plus dramatique avec l'entrée en scène du petit Satoru, le fils né après que Kanô ait abandonné sa femme, l'obligeant à retourner chez sa mère et à vivre d'incessants travaux de couture. Et l'histoire d'évoluer et se poursuivre vers son tragique dénouement, au gré des sempiternels atermoiements de cette tête à claque de Kanô.
En comparaison de son narrateur masculin,
Uno Chiyo dresse deux beaux portraits de femmes.
Ohan, toute d'obéissance et de retenue, de respect même pour l'autre femme. Elle est la parfaite épouse japonaise. Okayo, elle, vive et alerte maîtresse d'okiya, sans remords vis-à-vis de sa rivale mais mue par un attachement véritable et profond pour Kanô.
Et le petit Satoru bien sûr. L'innocence perdue au milieu des turpitudes des affaires des adultes.
Ce livre est un véritable bijou. L'écriture est superbe de sobriété et de subtilité. Chaque mot, on le sent, est soigneusement choisi et pesé. L'émotion, comme souvent dans la littérature nipponne, se fait discrète et pleine de pudeur. À l'image de ces sourires féminins qui se cachent derrière la manche soyeuse d'un kimono.
Par le cadre de vie général,
Uno Chiyo offre un côté intemporel à son récit.
Une oeuvre d'une grande beauté à découvrir sans la moindre hésitation.