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EAN : 9782070302833
192 pages
Gallimard (25/03/1970)
4.13/5   31 notes
Résumé :
Eupalinos. (suivi de) L'Âme et la danse. (et de) Dialogue de l'arbre

Par Paul Valéry
Que lire après Eupalinos - L'Âme et la Danse - Dialogue de l'ArbreVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Pour être bien franc, je connais assez peu Paul Valéry et c'est un recueil de poésie que je m'attendais à trouver sous cette couverture.
Ma surprise d'y trouver plutôt des dialogues ne s'est toutefois pas tournée en déception puisque ce sont nuls autres que Socrate et Phèdre sont mis en scène dans le premier dialogue, qu'ils sont rejoints par Érixymaque dans le second et que le troisième se déroule entre Lucrèce et Tityre. Je me suis dit que c'était une belle idée de la part de Valéry, car, bien qu'il n'ait pas une grande réputation de philologue, sa poésie se déploie très souvent en des horizons teintés de philosophie et il me semblait donc assez naturel qu'il se soit prêté au jeu des dialogues socratiques.
Et au final, je garde un très bon souvenir de cette lecture. Les échanges sont mis en place avec beaucoup de finesse :
« LUCRÈCE
Ce que j'allais te dire (peut-être te chanter), eût, je pense, tari la source de paroles qui surgit tout à coup du fond de ton esprit. Mais parle!... Si je te demandais d'attendre, tu t'écouterais intérieurement toi-même, avec complaisance, au lieu de m'écouter. »(171)
Et les envolées lyriques sont franchement sublimes :
« PHÈDRE :
Elle semble d'abord, de ses pas pleins d'esprit, effacer de la terre toute fatigue, et toute sottise... Et voici qu'elle se fait une demeure un peu au-dessus des choses, et l'on dirait qu'elle s'arrange un nid dans ses bras blancs... Mais, à présent, ne croirait-on pas qu'elle se tisse de ses pieds un tapis indéfinissable de sensations?... Elle croise, elle décroise, elle trame la terre avec la durée... O le charmant ouvrage, le travail très précieux de ses orteils intelligents qui attaquent, qui esquivent, qui nouent et qui dénouent, qui se pourchassent, qui s'envolent!... Qu'ils sont habiles, qu'ils sont vifs, ces purs ouvriers des délices du temps perdu!... Ces deux pieds babillent entre eux, et se querellent comme des colombes!... le même point du sol les fait se disputer comme pour un grain!... Ils s'emportent ensemble, et se choquent dans l'air, encore!... Par les Muses, jamais pieds n'ont fait à mes lèvres plus d'envie!
SOCRATE
Voici donc que tes lèvres sont envieuses de la volubilité de ces pieds prodigieux! Tu aimerais de sentir leurs ailes à tes paroles, et d'orner ce que tu dirais de figures aussi vives que leurs bonds. »(127)
L'ensemble, fort joli et brillant, laisse un sentiment de joie sereine qui me semble convenir parfaitement aux vacances et aux voyages.
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L'âme et la danse, de Paul Valéry, nous transporte dans un dialogue imaginaire entre Socrate et deux amis, peut-être des disciples, Phèdre et Eryximaque, le médecin.

Pour ceux qui ont lu le Banquet de Platon (moi, c'était il y a très longtemps) on retrouve trois des principaux convives qui devaient, chacun son tour, discourir sur l'amour.

Il s'agit donc d'un dialogue, à la manière de Platon, imaginé par un grand écrivain d'une grande culture grecque, notamment.

Le sujet du débat ? La danse ou l'orchestique ; la beauté perçue, manifestée dans l'évolution gracieuse de jeunes et délicates danseuses sur la musique de l'aulos, de la cithare et, sans doute, du tambourin...

"L'air résonne et bourdonne des présages de l'orchestique..."
"Voyez-moi cette troupe mi-légère, mi-solennelle. - Elles entrent comme des âmes."

Comment se nomment-elles ? Eryximaque les connaît toutes et, une à une, il informe Socrate et Phèdre de leurs noms qui "s'arrangent très bien en un petit poème qui se retient facilement :
- Nips, Niphoé, Néma,
- Niktéris, Néphélé, Nexis,
- Rhodopis, Rhodonia, Ptilé."

"Mais la Reine du Choeur n'est pas encore entrée, Athikté."

Ces trois messieurs s'extasient sur la beauté de ces "charmeresses", devisent sur la volupté qui émane de leur mouvement. Athikté se détache du groupe et fixe intensément leur l'attention. Elle a quelque chose d'Aphrodite assurément.

Mais comme il s'agit de Socrate, au lieu de jouir simplement du spectacle, à l'instar de ses deux amis, il faut qu'il pose la question : "O, mes amis, qu'est-ce véritablement que la danse ?"

Si Eryximaque lui montre l'évidence : "N'est-ce pas ce que nous voyons ? Que veux-tu de plus clair sur la danse, que la danse elle-même ?"

Phèdre qui a compris où le Maître veut en venir déclare : "Notre Socrate n'a de cesse qu'il n'ait saisi l'âme de toute chose ; sinon même, l'âme de l'âme."

On croit connaître la signification d'un mot, et au moment de l'énoncer mentalement on ne trouve pas les termes adéquats. le mot âme, par exemple : S'agit-il ici de l'essence de la danse ensemble de mouvements entrant en harmonie avec le son et le rythme de la musique pour engendrer la beauté réjouissante pour la vue et le coeur ? Ou bien s'agit-il d'autre chose ?

Car Socrate, en bon avocat du diable, émet l'hypothèse suivante, à propos de la merveilleuse évolution d'Athikté, que : " Un oeil froid, la regarderait aisément comme une démente, cette femme bizarrement déracinée, et qui s'arrache incessamment de sa propre forme, tandis que ses membres, devenus fous semblent se disputer la terre et les airs ; et que sa tête se renverse, traînant sur le sol une chevelure déliée ; et l'une de ses jambes est à la place de cette tête ; et que son doigt trace, je ne sais quel signe dans la poussière !... Après tout, pourquoi tout ceci ? - Il suffit que l'âme se fixe et se refuse, pour ne plus concevoir que l'étrangeté et le dégoût de cette agitation ridicule... Que si tu le veux, mon âme, tout ceci est absurde !"

Visiblement l'âme du philosophe serait ici son esprit (autre synonyme du mot âme ? ), esprit conscient d'un parti pris, celui d'imaginer la danse comme quelque chose de ridicule.

Eryximaque, dès lors, déclare non sans justesse que la Raison semble être la faculté de notre âme (encore celle-là) de ne rien comprendre à notre corps (je traduis, à nos émotions, qui provoquent, comme chacun en fait l'expérience, une véritable kinesthésie), pour lui, à l'évidence, la danse est ce qu'elle est entrain de montrer. Rien de plus !

En revanche, Phèdre semble lui donner une signification supplémentaire, symbolique, "une image des emportements et des grâces de l'amour".

Ces deux points de vue laissent insatisfait le philosophe. Mais, il a du mal à contenir les observations et peut-être, les critiques de ses amis qui lui reprochent de chercher midi à 14 heures. Alors, le voilà embarrassé de pensées nombreuses et confuses qui le désorientent et ne lui apportent aucune certitude.

L'échappatoire ? Une nouvelle question au médecin Eryximaque ; "Connais-tu point quelque remède spécifique, pour ce mal d'entre les maux qui se nomme l'ennui de vivre ?" "Cet ennui absolu (qui) n'est en soi que la vie toute nue, quand elle se regarde clairement."

Eryximaque lui apporte une réponse plus que déconcertante : " Rien de plus morbide en soi, rien de plus ennemie de la nature, que de voir les choses comme elles sont." "Le réel à l'état pur arrête instantanément le coeur."

Au fond, une trop grande clairvoyance, une parfaite lucidité mettent l'âme en présence d'elle-même et lui font prendre conscience de sa vacuité, par conséquent de son ennui.

La lucidité a démasqué ce Tout (univers) qui ne se suffit pas à lui-même et dont l'effroi "l'a donc fait se créer et se peindre mille masques". Les mortels en font partie. On n'y peut rien, et pas sûr que cela se soigne !

Et comme avait dit le diable de Jean d'O, dans "Dieu, sa vie son oeuvre ", grâce son inspiration, les mortels apportent de l'animation dans ce Tout, s'agitent, cherchent à comprendre, commettent mille bêtises, éprouvent amour, passion, haine, etc., drapent leur âme d'illusions, de mensonges, vêtent leur corps d'apparence, camouflent ce réel qui n'échappe pas, comme on l'a vu, au regard lucide du philosophe.

Ce dernier reconnaît, en effet, que l'amour, la haine, etc., donnent goût et couleurs à la Vie.

Ainsi, en poursuivant sa réflexion, le philosophe aboutit à la conclusion que toute cette agitation "illusoire" des mortels, constitue le remède à l'ennui de vivre, que l'immobilité lucide qui est source de cet ennui trouve son antidote dans l'ivresse de l'action seule susceptible "de nous faire entrer dans un état étrange et admirable", état le plus éloigné des idées grises et dépressives du contemplatif lucide dont le philosophe s'est fait l'avocat au début.

Rien de tel donc, que nos passions bonnes et mauvaises, et nos souffrances, et nos injustices, pour épicer une existence qui serait fade sans cela (sans la mort finalement).

En tout cas, l'épiphanie de Socrate sur les épices capiteuses de la vie, redonne des couleurs à Athikté dans l'esprit du philosophe qui la compare, maintenant, à cette créature du feu qu'est la salamandre, et l'assimile même à la substance ignée.

Athikté devient la flamme aux ondulations brûlantes, et dont l'âme prise dans ce tourbillon étourdissant qu'entreprennent ses jambes, voudrait s'évader d'elle-même, dans un élan vers les dieux sans doute...

Mais à force de tourbillonner, Athikté se casse la figure : "O tourbillon ! - J'étais en toi, ô mouvement, en dehors de toutes les choses..."

Philosophie et poésie mêlées : L'âme et la danse" de Paul Valéry.

Pat.








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J'avoue connaître très peu ce grand poète. C'est même la première oeuvre complète que je lis de lui. Et bien, je n'ai pas été déçu. Ce fut une très belle découverte. Difficile de décrire ou de faire un résumé de ce livre, mais même si, je l'avoue à titre personnel, certains passages (très peu) m'ont paru un peu "déroutant" à la première lecture, je trouve cette oeuvre (et ce poète) trop méconnue du grand public. À découvrir absolument pour ceux qui aiment la poésie.
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Trois superbes ouvrages regroupés ici : le dernier nommé, dialogue de l'arbre est particulièrement interressant car ici on frole la philosophie en restant dans l'univers de la Grèce antique : un regal !
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Trois dialogues agréables à lire, intéressants et plutôt courts ; on retrouve les envolées lyriques propres à un poète au sein des réflexions des protagonistes (Socrate et Phèdre).
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Citations et extraits (40) Voir plus Ajouter une citation
Il en est ainsi dans tous les domaines, à l'exception de celui des philosophes, dont c'est le grand malheur qu'ils ne voient jamais s'écrouler les univers qu'ils imaginent, puisque enfin ils n'existent pas. (Socrate, page 19)
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Les vivants ont un corps qui leur permet de sortir de la connaissance et d'y rentrer. Ils sont faits d'une maison et d'une abeille. (Socrate, page 9)
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SOCRATE
Je t’ai dit que je suis né plusieurs, et que je suis mort, un seul. L’enfant qui vient est une foule innombrable que la vie réduit assez tôt à un seul individu, celui qui se manifeste et qui meurt. Une quantité de Socrates est née avec moi, d’où, peu à peu, se détacha le Socrate qui était dû aux magistrats et à la ciguë.
PHÈDRE
Et que sont devenus tous les autres?
SOCRATE
Idées. Ils sont restés à l’état d’idées. Ils sont venus demander à être, et ils ont été refusés. Je les gardais en moi, en tant que mes doutes et mes contradictions... Parfois, ces germes de personnes sont favorisées par l’occasion, et nous voici très près de changer de nature.
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Socrate
Eh bien, Phèdre, voici ce qu’il en fut : je marchais sur le bord même de la mer, je suivais une plage sans fin… Ce n’est pas un rêve que je te raconte. J’allais je ne sais où, trop plein de vie, à demi enivré par ma jeunesse. L’air, délicieusement rude et pur, pesant sur mon visage et sur mes membres, m’opposait un héros impalpable qu’il fallait vaincre pour avancer. Et cette résistance toujours repoussée faisait de moi-même, à chaque pas, un héros imaginaire, victorieux du vent, et riche de forces toujours renaissantes, toujours égales à la puissance de l’invisible adversaire… C’est là précisément la jeunesse. Je foulais fortement le bord sinueux, durci et rebattu par le flot. Toutes choses, autour de moi, étaient simples et pures : le ciel, le sable, l’eau. Je regardais venir du large ces grandes formes qui semblent courir depuis les rives de Libye, transportant leurs sommets étincelants, leurs creuses vallées, leur implacable énergie, de l’Afrique jusqu’à l’Attique, sur l’immense étendue liquide. Elles trouvent enfin leur obstacle, et le socle même de l’Hellas ; elles se rompent sur cette base sous-marine ; elles reculent en désordre vers l’origine de leur durée. Les vagues, à ce point, détruites et confondues, mais ressaisies par celles qui les suivent, on dirait que les figures de l’onde se combattent. Les gouttes innombrables brisent leurs chaînes, une poudre étincelante s’élève. On voit de blancs cavaliers sauter par-delà eux-mêmes, et tous ces envoyés de la mer inépuisable périr et reparaître, avec un tumulte monotone, sur une pente molle et presque imperceptible, que tout leur emportement, quoique venu de l’extrême horizon, jamais toutefois ne saurait gravir… Ici, l’écume, jetée au plus loin par le flot le plus haut, forme des tas jaunâtres et irisés qui crèvent au soleil, ou que le vent chasse et disperse, le plus drôlement du monde, comme bêtes épouvantées par le bond brusque de la mer. Mais moi, je jouissais de l’écume naissante et vierge… Elle est d’une douceur étrange, au contact. C’est un lait tout tiède, et aéré, qui vient avec une violence voluptueuse, inonde les pieds nus, les abreuve, les dépasse, et redescend sur eux, en gémissant d’une voix qui abandonne le rivage et se retire en elle-même ; cependant que l’humaine statue, présente et vivante, s’enfonce un peu plus dans le sable qui l’entraîne ; et cependant que l’âme s’abandonne à cette musique si puissante et si fine, s’apaise, et la suit éternellement.
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SOCRATE : Eryximaque, je t’interrogeais s’il y avait un remède ?
ERYXIMAQUE : Pourquoi guérir un mal si rationnel ? Rien, sans doute, rien de plus morbide en soi, rien de plus ennemi de la nature, que de voir les choses comme elles sont. Une froide et parfaite clarté est un poison qu’il est impossible de combattre. Le réel, à l’état pur, arrête instantanément le cœur… Une goutte suffit, de cette lymphe glaciale, pour détendre dans une âme, les ressorts et la palpitation du désir, exterminer toutes espérances, ruiner tous les dieux qui étaient dans notre sang. Les Vertus et les plus nobles couleurs en sont pâlies, et se dévorent peu à peu. Le passé, en un peu de cendres ; l’avenir, en petit glaçon, se réduisent. L’âme s’apparaît à elle-même, comme une forme vide et mesurable. – Voilà donc les choses telles qu’elles sont qui se rejoignent, qui se limitent et s’enchaînent de la plus rigoureuse et la plus mortelle… O Socrate, l’univers ne peut souffrir, un seul instant, de n’être que ce qu’il est. Il est étrange de penser que ce qui est le Tout ne puisse point se suffire !.. Son effroi d’être ce qui est, l’a donc fait se créer et se peindre mille masques ; il n’y a point d’autre raison de l’existence des mortels. Pourquoi sont les mortels ? – Leur affaire est de connaître. Connaître ? Et qu’est-ce que connaître ? – C’est assurément n’être point ce que l’on est. – Voici donc les humains délirant et pensant, introduisant dans la nature le principe des erreurs illimités, et cette myriade de merveilles.
Les méprises, les apparences, les jeux de la dioptrique de l’esprit, approfondissent et animent la misérable masse du monde… L’idée fait entrer dans ce qui est, le levain de ce qui n’est pas… Mais enfin la vérité quelquefois se déclare, et détonne dans l’harmonieux système des fantasmagories et des erreurs… Tout menace aussitôt de périr, et Socrate en personne me vient demander un remède, pour ce cas désespéré de clairvoyance et d’ennui !..
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Vidéo de Paul Valéry
https://www.laprocure.com/product/1525906/chevaillier-louis-les-jeux-olympiques-de-litterature-paris-1924
Les Jeux olympiques de littérature Louis Chevaillier Éditions Grasset
« Certains d'entre vous apprendrez que dans les années 1912 à 1948, il y avait aux Jeux olympiques des épreuves d'art et de littérature. C'était Pierre de Coubertin qui tenait beaucoup à ces épreuves et on y avait comme jury, à l'époque, des gens comme Paul Claudel, Jean Giraudoux, Paul Valéry et Edith Wharton. Il y avait aussi des prix Nobel, Selma Lagerlof, Maeterlinck (...). C'était ça à l'époque. C'était ça les années 20. Et c'est raconté dans ce livre qui est vraiment érudit, brillant et un vrai plaisir de lecture que je vous recommande. » Marie-Joseph, libraire à La Procure de Paris
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