Inutile, si je puis dire, de tourner autour du pot : je suis atteint d'une surdité croissante. (.....) Je me coupe des bruits du monde et le peu que j'entends est distrait par ma propre interrogation sur ce que j'entends. Je m'écoute entendre pour m'assurer que j'entends bien ce que j'écoute.
S'il pouvait, avec la souplesse du contorsionniste, s'arracher les oreilles avec les dents... Cette idée l'obsède : se détacher les oreilles de la tête.
... elle plonge la main dans son sac, en extrait un carnet apparemment bourré de notes rédigées à la hâte. Quand elle se penche pour les relire, ses cheveux lui couvrent le visage. Ses poings sont crispés sur les bras du fauteuil. La tension qui l'habite est trahie par les frémissements de son front et de l'arrête de son nez. Elle garde des traces de café sur le pourtour des lèvres, qu'elle essuie du revers de sa main. Des lèvres roses et enfantines.
La peur, inutile de se le cacher, est au centre du jeu et vraiment ce qui nous lie de part et d'autre de la table du studio. Bien plus, s'il y a une beauté du geste dans l'exercice auquel nous nous livrons, elle tient à notre façon de dominer la peur ou de tenter de vivre avec elle.
Oui, l'entretien avec un écrivain, c'est une tranche de vie après la mort. Parler du livre écrit dans la fièvre et le secret, répondre à des questions brandies comme un point serré, c'est jeter de la terre sur une tombe, avec la circonstance aggravante qu'il s'agit de la sienne.
Alain Veinstein. Cent quarante quatre signes.