Mon édition du "Silence de la mer" est un recueil de huit nouvelles de Vercors, toutes plus brillantes les unes que les autres.
Publié en pleine Seconde Guerre mondiale, "
Le silence de la mer" a valeur de document. Il raconte la cohabitation forcée entre un oncle, sa nièce, et un officier allemand. Celui-ci déploie des trésors de patience et de culture pour amadouer ses hôtes, qui l'ignorent consciencieusement.
Ce récit a ceci d'intéressant que l'allemand est sincèrement convaincu de l'intérêt des deux pays à s'apprivoiser puis à s'unir. Ce personnage impressionne par sa sensibilité, et sa ténacité fait écho à celle des français qui l'accueillent malgré eux. Plutôt que de critiquer frontalement l'occupant, Vercors choisi la finesse : le silence est une toile sur laquelle s'épanouissent les sentiments des protagonistes. Jean-Pierre Melville (autre résistant) en a filmé une adaptation tellement fidèle qu'on y retrouve le texte en intégralité.
Le silence est aussi au coeur du "Désespoir est mort". Ce court récit met en scène un officier atterré par l'egocentrisme et la superficialité de ses collègues suite à l'armistice de 1940.
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La marche à l'étoile", c'est le trajet fait par Thomas pour rejoindre la France depuis son Danube natal. Ce voyage, qui fait directement référence à l'histoire du père de Vercors venu à pieds de Budapest, est l'occasion d'une magnifique déclaration d'amour à la France à travers le regard d'un immigré Slovaque. Cet amour inconditionnel évoque immanquablement celui qui anime l'officier allemand du "Silence de la mer" et témoigne de la complexité des sentiments, de la mise à mal des valeurs et des loyautés pendant l'occupation. Un récit d'une finesse remarquable.
Ne pas se fier au doux titre du "Songe", qui cache un récit d'une atroce lucidité. le narrateur raconte la manière dont il partage le sort de déportés par
le songe, tout d'abord comme témoin, puis comme victime. Écrit en 1943 il montre de manière incontestable que les (dirigeants) français savaient au moins en partie ce qu'il arrivait aux prisonniers. Les descriptions sont glaçantes, incroyablement proches des témoignages des survivants des camps. Bouleversant.
"L'impuissance" pose la question de la place de l'art dans un monde inhumain.
À l'annonce de la mort "d'extrême faiblesse" de l'un de leurs amis dans un camp de Silésie, qui coïncide avec la nouvelle du massacre du village d'Oradour, le narrateur assiste à la colère homérique de l'un de ses compagnons. Il s'apprête à brûler tous ses livres, tableaux et objets précieux.
"Tu voudrais que je garde tout ça sur mes rayons ? Pour quoi faire ? Pour, le soir, converser élégamment avec Monsieur
Stendhal, comme jadis, avec Monsieur
Baudelaire, avec Messieurs
Gide et Valéry, pendant qu'on rôtit tout vifs des femmes et des gosses dans une église ?" apostrophe-t-il le narrateur.
Comment créer après la Shoah ? Quelle place pour l'art alors que l'humanité est capable de telles monstruosités ?
Se poser ces questions en juillet 1944 et y répondre en se gardant de céder au désespoir montre l'incroyable clairvoyance de Vercors, qui n'a cessé de me surprendre récit après récit.
"Le cheval et la mort" est un très court récit satirique et presque fantastique, qui compare Hitler à la fois à un cheval errant et à la mort.
"L'imprimerie de Verdun" montre bien la foi qu'avaient les anciens combattants en Pétain, et en profite pour dénoncer les louvoiements et les trahisons du héros de Verdun envers ses propres soldats, doublé d'antisémitisme ordinaire :
"Tu sais qu'au fond, les Juifs je les emmerde, mais les gars comme toi... Verdun et les palmes... le Vieux, laisser tomber ses poilus ?"
Est aussi épinglé le penchant à ne pas voir ce qui ne nous plaît pas, sur l'air de "ça n'est pas possible, ça n'arrivera pas", avec les conséquences que l'on connaît, mais aussi l'héroïsme du simple citoyen poussé par l'amitié. Une histoire très humaine, tout en nuances.
"Ce jour-là", un père et son fils partent pour une douce promenade dans la campagne. Un danger plane, de plus en plus perceptible. La nature vibre, le père se comporte de manière inhabituelle, l'enfant sent confusement qu'il se passe quelque chose. Très émouvante, cette nouvelle a été publiée dans une brochure destinée aux enfants des fusillés.
Elle conclue ce recueil en plaçant la lumière sur les enfants, victimes et orphelins, pourtant porteurs d'espoir d'un avenir meilleur.