J'ai une tendresse particulière pour ce livre. Pas tant pour le roman lui-même qui, bien que faisant partie des « incontournables » de
Jules Verne (une bonne douzaine de titres) présente des aspects un peu déroutants, que pour les circonstances où je l'ai acquis : c'était à la distribution des prix de 1966 (classe de 5ème), j'avais reçu «
Raboliot » de
Maurice Genevoix, et «
le Château des Carpathes » de
Jules Verne. Ce dernier, c'était nouveau pour moi, dans la nouvelle collection « le Livre de poche
Jules Verne », avec bien entendu un format de poche, le texte intégral (un progrès par rapport à la Bibliothèque verte), et les illustrations de l'époque ; plus une notice biographique que j'ai lue et relue au point de la savoir presque par coeur. C'était mon premier
Jules Verne dans cette collection (à présent je les ai tous, sauf un).
«
le Château des Carpathes », dans les «
Voyages extraordinaires » tient une position un peu insolite. L'ambigüité vient, me semble-t-il, du thème même du roman : l'exploitation simultanée du surnaturel (ou l'apparence du surnaturel) avec le déploiement scientifique qui est censé en être l'explication.
Jules Verne peut être un bon auteur de fantastique : on l'a vu dans «
Maître Zacharius » on le verra dans «
le Secret de Wilhelm Storitz » et dans maintes nouvelles qui mériteraient d'être mieux connues, «
M. Ré-Dièse et Mlle Mi-Bémol », ou « Fritt-Flacc », par exemple. Plus souvent encore,
Jules Verne est capable de créer une ambiance, une atmosphère qui touche au fantastique : c'est évident dans « Les Aventures du Capitaine Hatteras » ou «
le Sphinx des glaces » ou encore dans «
Les Indes Noires » (au passage un de ses plus grands romans). Ici, toute la première partie exploite le côté « gothique » de l'histoire : un pays propice aux légendes, superstitions et autres diableries (ce pays-même où cinq ans plus tard
Bram Stoker situera son «
Dracula »), mais tout ce matériau fantastique tombe à plat dès lors qu'une explication rationnelle est apportée aux phénomènes inexpliqués et anxiogènes. Cela dit, l'auteur, au début de l'ouvrage, explique son point de vue (avec une pointe de mauvaise foi) : « Cette histoire n'est pas fantastique, elle n'est que romanesque ». Mon oeil ! Fantastique elle l'est, et de belle façon, tant que la clé de l'énigme n'est pas trouvée. Après c'est ce contraste qui fait « retomber le soufflé ». Remarquez, les amateurs de fantastique sont déçus, mais les théoriciens de la rationalité jubilent, c'est le triomphe de la science sur la superstition. Et l'ami Jules, en vieux roublard, nous roule dans la farine en orientant le roman vers la découverte scientifique (les ancêtres des enregistrements audio et vidéo), excitant ainsi notre curiosité, en mettant à jour une extraordinaire histoire d'amour, et en enrobant le tout dans une poésie qui lui est particulière, la poésie de la science, qu'on ne retrouvera guère après lui, sinon chez certains auteurs,
Gustave le Rouge, entre autres.
Malgré ces réserves, ou à causes d'elles, «
le Château des Carpathes » reste un très grand roman : à la fois fantastique et romanesque, il démontre une fois de plus le talent de
Jules Verne à raconter une histoire en la situant dans un cadre précis (quitte à l'en sortir) et à lui donner des prolongements inattendus, pour le plus grand plaisir du lecteur, de l'auditeur ou du spectateur. C'est la définition-même de l'enchanteur.
En 1976,
Jean-Christophe Averty a réalisé une adaptation mémorable, avec Benoit Allemanne (Franz de Telek), Sacha Pitoeff (Rodolphe de Gortz) et
Mady Mesplé dans le rôle de la Stilla. Disponible sur le site de l'INA.