De retour chez elle, Laure s'était regardée dans le miroir de la salle de bains, elle n'avait rien vu, ni la mort sur son visage, ni ses épaules pointues comme des pics à glace. Elle avait cessé de se voir. C'était trop tard. Ni la peur ni la révolte ne pouvaient plus l'atteindre. Elle se sentait bien. Tellement plus légère. Elle ne voulait pas mourir, juste disparaître. S'effacer. Se dissoudre.
En manque, le corps vole au-dessus des trottoirs. Plus tard, les chutes dans la rue, dans le métro, et l'insomnie qui accompagne la faim qu'on ne sait plus reconnaître. Et puis le froid est entré en elle, inimaginable. Ce froid qui lui disait qu'elle était arrivée au bout et qu'il fallait choisir entre vivre ou mourir.
Vous n'avez pas besoin de mourir pour renaître. Elle avait noté ces mots quand elle était rentrée chez elle. Ces mots ensuite avaient fait leur chemin.
Si elle reprend une apparence normale, elle deviendra translucide (...). Si elle guérit, elle s'effacera aux yeux du monde, elle se noiera parmi les autres. Elle étouffera en elle. (...) Si elle guérit, elle deviendra une jeune femme aux formes insoupçonnables , une adulte, écoutez comme ce mot est laid.
C'était quelque chose en dehors d'elle qu'elle ne savait pas nommer. Une énergie silencieuse qui l'aveuglait et régissait ses journées. Une forme de défonce aussi, de destruction.
Cela s'était fait progressivement. Pour en arriver là. Sans qu'elle s'en rende vraiment compte. Sans qu'elle puisse aller contre. Elle se souvient du regard des gens, de la peur dans leurs yeux.
C'est un tel effort de vivre. Ce sont les mêmes mots qui lui viennent à la bouche, des mots qui l'inscrivent dans cette lignée de blessures intactes.
Pour la première fois quelqu’un criait pour qu’elle se retourne, quelqu’un l’appelait, qui savait nommer cette souffrance ; la souffrance de son corps. Pour la première fois quelqu’un venait la chercher là où les autres ne pouvaient pas, n’avaient plus la force.
Il lui demandait , lui ordonnait de venir. Il savait que tout se jouait au premier contact. Elle imaginait l’appréhension qu’il avait eue, peut-être , en composant le numéro. Elle entendait, dans les inflexions de sa voix, la peur d’échouer et cette volonté brutale aussi qu’il avait de la convaincre.
Elles partagent le soir les confidences d'une folie en miroir. Une fois Laure prend dans ses bras ce petit corps secoué de sanglots. Dans la chambre d'Anaïs flotte une odeur suave de confiture.
Elle a l'air d'un trombone démantibulé, d'un cintre de pressing, d'une antenne télé après une tempête.
Et puis le froid est entré en elle, inimaginable. Ce froid qui lui disait qu'elle était arrivée au bout et qu'il fallait choisir entre vivre ou mourir.