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EAN : 9782207304136
192 pages
Denoël (03/01/1986)
4.09/5   11 notes
Résumé :
On l'oublie aujourd'hui, mais Antoine Volodine a commencé sa carrière littéraire en rôdant du côté de "ces mauvais genres" que sont la science-fiction et les autres littératures de l'imaginaire.Stupéfiante anticipation de la chute de l'empire soviétique, que Volodine annonçait dès 1986,Un navire de nulle parta surpris les habitués de la SF traditionnelle, désarçonnés à la lecture de cette histoire improbable. Jugez-en : l'U.R.S.S. parallèle de Volodine, victime d'un... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
« Il était deux ou trois heures, à en juger par la température infernale de l'air, la luminosité des nuages au-delà des bananiers et des jaquiers aux proportions de colosses. L'ancienne Moïka était réduite aujourd'hui, comme tous les autres canaux et rivières de la ville, à une esplanade spongieuse et bosselée, envahie d'amomes et de fougères, pour ne pas parler des curcumas et des cardamomes qui faisaient la joie des cuisiniers de la Tchéka. Juste en face du Grand Commissariat, le Jardin d'été trépidait, aux prises avec ses milliards d'insectes. Tressautements malingres et agacements de cuirasses sopranes : un demi-ton, un ton au-dessus de l'habitude. Il y avait un orage en préparation pour le soir. »

Dans ce second roman publié d'Antoine Volodine, paru en 1986 dans la collection de SF « Présence du futur », tout ce qui fera le style inimitable de cet auteur est déjà largement présent. Nous sommes dans un Petrograd (Saint Pétersbourg) alternatif. Des années plus tôt la forêt équatoriale a littéralement surgi dans cette région, peut-être à cause de pratiques magiques. Mais comme d'habitude chez cet auteur, on progresse entre rêves et réalité piégée et rien n'est vraiment sûr.

L'inspecteur Kokoï en sera le personnage principal. Il travaille au Grand Commissariat. C'est un loyaliste du grand commissaire en titre, un certain Wassko Koutylian de Kronstedt. Ce dernier est contesté par au moins deux autres factions.

L'enquête autour d'une affaire de meurtre très politique sera le point de départ de ce cauchemar. Mais, dans le désordre, on sera aussi dans les pensées d'autres personnages, à commencer par une sorte de Baba Yaga, qui a pris la forme d'une tortue. On ira aussi à la recherche d'une sorcière, Toula, dont un des inspecteurs de la Tchéka, Mamoud, était amoureux mais qu'il a dénoncé.

Le plus surprenant à mes yeux a été la présence de Jane Austen dans ce livre ! Des quatre parties, divisées en nombreuses sous-parties, trois portent des titres de ses oeuvres « Raison et sentiments », « Persuasion », « Orgueil et préjugés », sans qu'un lien vraiment évident avec elles n'apparaisse… Disons que la statue de Jane Austen jouera un rôle dans la narration, mais je m'en voudrais de divulgâcher.

Une autre petite remarque avant de partir : le titre est aussi en décalage avec le contenu. S'il y a bien un chapitre d'anthologie sur un déplacement en barque à la suite d'un déluge, pas le moindre navire ne semble ostensiblement naviguer dans ce roman. de toute façon la Neva y est devenue un « marécage à crocodiles » infesté de « lézards-caïmans » et de piranhas !
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Après l'avènement de la Révolution mondiale, des sorciers oppositionnels envoyés au bûcher ont condamné en mourant le monde à une atroce tropicalité mondiale. La selve, la mangrove ont tout envahit. le Parti s'est perdu en décadence, en violences, en corruption. On traverse la perspective Nevski en pirogue. On se cache dans des déserts plein d'oasis mortes. On lutte contre les parasites réels et imaginaires, les cancrelats et les oppositionnels au régime prolétaire. « Sur fond mouvant de menace tropicale, le spectacle de ce duel incodifiable, entre la révolution trahie et révolution impossible. » Bienvenue de nouveau dans un des enfers fabuleux de Volodine.

Ce roman n'est pas étrange, il est la plongée onirique dans la réalité la plus vraie car la plus inventée comme disait Boris Vian. D'ailleurs le roman, loin des clichés de la « littérature prolétarienne » fait briller l'ironie du désastre en tournant autour de Jane Austen, utilisée tant pour les grandes parties (« Raisons et sentiments », etc.), que comme figure détournée, devenue passionaria des causes égalitaristes. Ce jeu sur la déliquescence du monde, des grandeurs perdues, des palinodies révèlent encore ce qu'il y a de plus prenant dans cette tension tragique pour sauver ce qui ne peut l'être.
On repense à Enée à qui Virgile faisait dire en bas des remparts de Troie à ses troupes : « le seul espoir des vaincus est de ne pas avoir d'espoir », et à Deleuze qui encore à cette époque définissait la gauche comme ce qui est engagé au côté des devenirs-minoritaires.

Mais ce roman sait rester un roman comme d'habitude chez Volodine n'est jamais un roman à thèse. Ce sont les visions, les odeurs, les sentiments, les vertiges qui prédominent. Pas le temps de penser à la métaphore du réchauffement ou quelconque message transpolitique sur l'effondrement imminent de l'URSS (le livre est publié en 1987).
« L'esprit corné, un limon opiniâtre en guise de cervelle. C'était le genre d'images et de sensations dont on ne se débarrasse pas facilement. »
Le roman croise avec une intelligence farouche plusieurs personnages attachants dans leurs dérives vers nulle part, là où se dirige alors la cause commune : l'inspecteur Kokoï, le Jeune Garde révolutionnaire Vadim, Mamoud, amoureux trompé par sa sorcière de copine, le chef suprême, le Grand Commissaire Wassko Koutylian de Kronstedt, sans oublier le défunt frère Mullöw et la transmigration de la tortue.
« Nous sommes sur un navire qui coule, inspecteur Kokoï… (…) et la différence irrémédiable entre nous et les autres, c'est que nous avons la responsabilité de sauver ce navire. Une différence de nature : par tous les moyens nous devons interrompre le naufrage. En utilisant la Tchéka bureaucratisée et incapable. Et quand la Tchéka n'est d'aucune utilité, en recourant à la sorcellerie. »
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: Pétrograd, 2037.De la SF ? Que non pas , la Sf n'est que l'habillage commode que l'on attribue ( vue la collection) à la « Volodinade » cette entreprise littéraire consistant à bâtir un monde d'une originalité totale : un post communisme décadent infusé de magie , où la Révolution (la vraie celle de 17) n'en finit pas de pourrir bureaucratiquement . Volodine, le Kafka chamanique vous engloutit comme les marais spongieux où sombre Pétrograd . C'est fascinant , délétère et pour moi, addictif.
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"Sur fond mouvant de menace tropicale, le spectacle de ce duel incodifiable, entre révolution trahie et révolution impossible."

Désormais sur mon blog : http://charybde2.wordpress.com/2014/08/14/note-de-lecture-un-navire-de-nulle-part-antoine-volodine/
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
La forêt de plus en plus marécageuse, une succession de piliers friables ; les sous-bois comme une éponge, avec des cavernes soudaines, des buées d’odeurs lourdes, bizarres à la longue. La progression était devenue hasardeuse.
La tortue écarta lentement une dernière brassée de lianes pourries ; le rideau s’accrochait à ses griffes. Elle se redressa, en clignant des yeux, car la lumière se faisait un peu vive à la lisière de l’écorce ; elle venait de déboucher sur une zone moins dense.
Elle s’y était préparée ; une sensation de macadam sous le ventre l’agaçait depuis plusieurs heures, quelque chose que l’humus, les flaques boueuses, n’étaient pas parvenus à recouvrir complètement. Aux feuilles de palmiers, de cocotiers, de manguiers, à la sciure puante des troncs se mêlaient à présent de vieux parfums tenaces ; un zeste invraisemblable de trottoirs et de chiffons humains et de ruines, qui surnageait au cœur de la végétation toute-puissante.
Encore une ville ; mais laquelle ?
Elle tendit le cou vers le soleil qui sans nuance éclaboussait la clairière. À deux pas, un bloc de granit scié à angle droit, avec une grille ouvragée qui allait se perdre dans une fourmilière. Mais plus loin, plus haut -
Malgré l’épaisseur de la mousse et les tentures de volubilis, on distinguait des coupoles bien reconnaissables. Uniques, depuis toujours gravées dans la mémoire, pas de confusion possible… Là, juste en face, l’éclat fané des dorures du couvent Smolny, à peine moins horrible qu’au temps ancien de la grande tourmente !
Bon sang, mais c’est bien sûr ! souffla la tortue, d’une voix rauque qui remontait à son adolescence. Je suis arrivée !
Bien sûr : malgré tous les avertissements lui promettant la mort en cours de route, malgré les prédictions moqueuses, les plaisanteries sinistres des uns et des autres, malgré la complexité de son itinéraire, elle avait enfin atteint son but.
Après cent vingt ans de longue, longue marche, elle avait bouclé son tour du monde.
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Nous sommes sur un navire qui coule, inspecteur Kokoï… (…) et la différence irrémédiable entre nous et les autres, c’est que nous avons la responsabilité de sauver ce navire. Une différence de nature : par tous les moyens nous devons interrompre le naufrage. En utilisant la Tchéka bureaucratisée et incapable. Et quand la Tchéka n’est d’aucune utilité, en recourant à la sorcellerie.
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Le lyrisme de hamada coulait en eux, il y avait là des sentiments qui se situaient au-delà de la simple passion révolutionnaire. Ce qu'ils cherchaient parmi les pierres sonores des immensités, en foulant le sable que le soleil de midi rendait friable, ce ne serait pas seulement leur désir sorcier d'émancipation des masses. Ce serait aussi une volonté, celle de se perdre.
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L’automitrailleuse de la police tremblotait derrière un rideau de chaleur. Il l’enveloppa d’un long regard, amoureux et jaloux.
Pas question d’abandonner celle-là aux sortilèges de la forêt. Il y avait toujours des couches sociales rétrogrades qu’il fallait mater ; et divers attardés qu’il fallait impressionner avec des tourelles et des sirènes. Pas question !
De l’autre côté de la rue, branches et lianes se livraient à une compétition acharnée de luxuriance. Vadim ferma les yeux, en soupirant. Le barrage de la verdure était un écran qui n’allait pas lui masquer la persistance des luttes éternelles. Rassemblé à l’écart des feuilles, le peuple attendait, dans son écrasante majorité acquis à la révolution et à son avant-garde tchékiste.
Rien n’est perdu, finalement, pensa-t-il. Il y a encore quelques ennemis, mais on les aura, on réussira finalement à vaincre les ultimes résistances.
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La liaison spirituelle entre les masses et la police était en effet parfaitement exemplaire, mais, dans la mesure où la nuit exacerbe les contradictions sociales, les policiers avaient fort à faire pour préserver longtemps leur intégrité physique. En dormant dans des appartements discrets, en changeant souvent d’adresse et en limitant ses relations avec le voisinage, on pouvait échapper quelques mois à la curiosité malsaine des couches les plus arriérées du prolétariat ; ensuite, il était préférable de disparaître dans une nouvelle zone de salut, et éventuellement de se cacher quelque temps dans les bambous. S’attarder était une preuve de négligence, une mauvaise appréciation des rapports de classes ; les conséquences en étaient des représailles humiliantes, des coups de main anarchistes, des passages à tabac, ici et là des fractures du crâne – rien d’enviable.
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Vidéo de Antoine Volodine
Rencontre animée par Pierre Benetti
Depuis plus de trente ans, Antoine Volodine et ses hétéronymes (Lutz Bassmann, Manuela Draeger ou Eli Kronauer pour ne citer qu'eux), bâtissent le “post-exotisme”, un ensemble de récits littéraires de “rêves et de prisons”, étrangers “aux traditions du monde officiel”. Cet édifice dissident comptera, comme annoncé, quarante-neuf volumes, du nombre de jours d'errance entre la mort et la réincarnation selon les bouddhistes. Vivre dans le feu est le quarante-septième opus de cette entreprise sans précédent et c'est le dernier signé par Antoine Volodine. On y suit Sam, un soldat qui va être enveloppé dans les flammes quelques fractions de seconde plus tard, quelques fractions de seconde que dure ce livre, fait de souvenirs et de rêveries. Un roman dont la beauté est forcément, nécessairement, incandescente.
À lire – Antoine Volodine, Vivre dans le feu, Seuil, 2024.
Son : Axel Bigot Lumière : Patrick Clitus Direction technique : Guillaume Parra Captation : Claire Jarlan
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