La mémoire amputée: Mères Naja et Tantes Roz

Je viens de terminer cet incroyable chant-roman de @Werewere-Liking grâce à la réédition par les Editions les prouesses. Ce livre est un véritable bijou, grâce auquel nous entrons dans la vie, qui est loin d'être un long fleuve tranquille, de la narratrice, Halla. Nous la rencontrons au crépuscule de sa vie et nous faisons corps avec elle dans le récit qu'elle livre de sa vie, de ses rêves de petite fille, pouvoir aller à l'école puis au collège, de jeune femme, qui veut vivre sa vie sans être obligée de suivre les diktats patriarcaux de la société, qui ne veut pas céder à ses valeurs et ses envies pour un mariage de convenances ou de confort, qui veut apporter sa pierre à l'édification d'un monde meilleur.

Le récit est vraiment fort, certaines scènes sont difficiles à lire mais nécessaire pour comprendre ce que vivent de nombreuses femmes en Afrique (et ailleurs), où choisir de suivre sa propre destinée peut vous obliger à renoncer aux vôtres, à votre clan, à votre famille.

Les chants qui émaillent le livre au grès des différents temps de vie d'Halla sont d'une beauté poétique très forte, emplissant l'esprit d'images, de sensations, d'émotions. On sent le rythme du chant à travers les pages du livre.

C'est un très bon livre, un de mes gros coups de coeur de ces dernières années. Je vous le recommande chaudement.

"La mémoire amputée" est, bien-sûr, celle de la narratrice - Halla Njoké, déjà âgée lorsque le récit commence.

Se lançant à l'origine dans le projet de rendre hommage à sa Tante Roz, c'est finalement depuis son parcours à elle qu'elle retranscrira celui de ces femmes puissantes, jamais soumises ni aux hommes ni aux colons, les femmes de sa famille, de sa communauté, les femmes du pays (le Cameroun) et du continent.

Car oui, la mémoire amputée est aussi celle des lieux et des espaces. Ou comment ce que vivent les habitants est connecté à ce qui traverse les territoires.

Les mères et tantes de Halla, et bien d'autres qui gravitent autour d'elle tout au long des âges, sont résilientes et renaissent, chaque fois que nécessaire et après chaque traumatisme, comme les piliers inébranlables d'une société qui pourtant les maltraite.

Pourquoi se souvenir? de quoi? Comment nos souvenirs nous forgent et nous permettent d'avancer, ou au contraire parfois, nous figent? Existe-t-il une mémoire collective? Ou bien chacun.e l'entretient-il avec sa propre mémoire?

Ce récit magnifiquement écrit, mêlant témoignage et conte, servi par des chants qui prennent aux tripes, est bouleversant. le genre de bouleversement nécessaire ❤

Encore une oeuvre incroyable que @lesprouesses nous permettent de redécouvrir! Quel travail splendide, soutenu par les illustrations de @attiogbemagali et la préface édifiante de @boumhemley 🔥🔥

       《La phrase à retenir》
"Quand l'emmurement de notre conscience se met en branle, il crée jusqu'à l'oubli de nous-mêmes, de nos états d'âme, nos désirs et nos contradictions, effaçant questions et réponses, au seul nom de la survie."