BOIS D’HIVER
J’ai mis les livres de côté
et je vois les dernières pommes
tomber des arbres gelés
j’ai vu aussi les glands darder
leurs pousses rouges
dans le sol dur
et l’écorce des bouleaux blancs
fut pour moi plus que tous les livres
et ce que là je lus
dénuda mon cœur au soleil d’hiver
et ouvrit ma cervelle au vent
et tout à coup
tout à coup je sus dans ce bois d’hiver
que j’avais toujours été là
avant les livres
comme après les livres
il y aura un bois d’hiver
et mon cœur nu
et ma cervelle ouverte au vent.
WINTER WOOD
So I have put away the books
and I watch the last apples fall
from the frosty trees
and I have seen also
acorns stretching red shoots
into the hard soil
and the white bark of the birches
was more to me than all the pages
and what I read there
bared my heart to the winter sun
and opened my brain to the wind
and suddenly
suddenly in the midst of that winter wood
I knew I had always been there
before the books
as after the books
there will be a winter wood
and my heart will be bare
and my brain open to the wind.
La pensée est une pensée …
La pensée est une pensée à coups de vagues
Et les mains tiennent la barre
Oui, la barre du monde
Et la poésie nage, rouge
Dans les abîmes de la mer
La poésie des profondeurs contre laquelle je troque ma vie
Et je la sens comme je sens mon sang
Et comme je sens le pays où je vis
Voilà, c’est là
En douceur – serre
Et les filets s’enfoncent en ondulant
Tandis que les premiers cheveux gris de l’aurore
Se montrent dans le ciel
Attends, attends le temps qu’ils dérivent
Dérivent
Dans le monde rouge et noir
Attends tout en fumant
Et tout en fredonnant
Tandis que les filets s’épaississent et se gonflent
Et alors hisse
Hisse toi-même
Hisse à bord la masse convulsive de ta blancheur
Et chavire ta mort dans la cale
Et après çà retourne-t’en
Le moteur battant doucement
En doublant les Mamelles
Vers le rivage
Vers un matin grisonnant comme un vieux
SOIR D'HIVER
Soleil de betterave et de boue
Six heures d’hiver à Dumbarton road
J’achète gâteaux d’avoine et lait à la crémerie
Tandis que les autos crachotent vers le ferry
Les lampadaires saisis par le premier gel
Ont des moustaches de lumière mais elles se perdent
Dans les feux de joie électriques des tramways qui passent
Près des voitures d’enfant trimbalées par des femmes lasses
Vers le thé familial. Je pourrais tout de suite rentrer manger
Mais j’attends que le flot dans la rue se soit calmé
Et sens cette profonde solitude qui vient recouvrir mes pensées
Maintenant que la lune est là comme une épluchure de navet
Au-dessus des toits et des grues. La chanson de Gaspard Hauser
Rôdaille dans ma conscience comme je traîne sur le trottoir
M’arrêtant au coin de la rue pour boire le lait
Tandis qu’un chat, irréprochable dans la soie qui le revêt
Noir, de ses yeux inaccessibles considère avec dédain
Mon entreprise, décide de poursuivre son chemin
Et se faufile dans une impasse sans un regard
J’ai dans l’idée d’aller jusqu’à Pollok ce soir
Comment pourrais-je rentrer dans mon chez-moi truqué
Où j’ai écrit sur la tombe de Jonas toute la journée
Je ferai le voyage en tram et j’espère que mes esprits
N’auront pas trop honte à s’évader en compagnie
De la première image issue du ventre rouilleux de la ville.
p.119-121
Poèmes du monde blanc
MARCHE MATINALE
C’était un froid un lent brouillard agglutiné
Autour du soleil, accroché
Au petit soleil blanc, la terre
Etait seule et délaissée et un grand oiseau
Jetait son cri rauque de la héronnière
Tandis que le garçon s’en allait sous les hêtres
Voyant les débris bleuâtres des coquillages
Et les moites amas de feuilles pourrissantes
p.81
POÈME DU LIÈVRE BLANC
Une pensée qui a bondi hors comme un lièvre
Sur la lande de derrière un grand rocher
Oh de bondir le lièvre blanc et la bruyère
Lui faisait un beau monde ardent où folâtrer
Justement ce jour-là sur la lande, un jour gris
En marche sur les vents, s’enfonçant dans l’hiver
Un jour pour une mer étincelante
A trois milles au large dans le goulet des îles
Un jour juché au bout de l’an et un silence
A fendre le cœur oh
Le lièvre blanc voyez bondir le lièvre blanc.
p.85