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Olivier Delbard (Traducteur)
EAN : 9782268038766
185 pages
Les Editions du Rocher (28/02/2002)
4.4/5   10 notes
Résumé :

« Japhy était plein d'entrain : "Je vais composer un nouveau poème, très long, intitulé Fleuves et Montagnes sans fin. Je l'écrirai sur un rouleau qui réservera sans cesse des surprises à celui qui le déploiera, de sorte qu'il oubliera au fur et à mesure ce qu'il a lu un peu plus tôt... Je mettrai trois mille ans à l'écrire et il sera plein de détails utiles sur la conservation des sols... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Le titre de ce recueil de poèmes "Montagnes et rivières sans fin" renvoie à l'univers de la peinture chinoise de paysage. Gary Snyder s'était initié à la calligraphie lors de ses études à Portland. Il découvrit ensuite le Bouddhisme, le Zen, l'hindouisme. Dans ces poèmes imprégnés de spiritualité les citations sont nombreuses comme celles de Milarépa et de Dôgen en ouverture du livre. Gary Snyder voyage beaucoup, en Inde, en Chine, au Japon, où il s'installe pour approfondir sa pratique du Zen, au Tibet, etc. Il revient cependant souvent en Amérique du Nord, s'intéresse aux traditions des amérindiens, se lie avec les poètes de la Beat Génération... Gary Snyder montre des aptitudes assez exceptionnelles. Il combine le nature writing et la spiritualité orientale à la contre-culture de l'Amérique, avec beaucoup de curiosité et de bienveillance.
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Etrange personnalité que celle de cet auteur américain culturellement partagé entre le vieux fond amérindien et la spiritualité asiatique : politiquement engagé dans le courant libertaire des années soixante mais fortement attaché à un mode de vie à l'écart de toutes les modes, voyageur impénitent à l'esprit enraciné dans quelques paysages américains, le poète déroule le fil d'une vie et d'une vision stimulantes pour ceux qui cherchent des nouveaux chemins d'écriture et d'existence.
Oui, c'est d'abord l'impression qu'on a en ouvrant Montagnes et rivières sans fin : impression d'une fraîcheur et d'une liberté uniques, qui nous place d'emblée dans un espace poétique revigorant (combien loin de tout ce qui s'écrit en France et en Europe !), et qui nous ramène aux grands ancêtres américains, Whitman, Thoreau… Auteurs qui ont bien sûr compté pour Snyder et tous les écrivains de sa génération, qu'ils s'appellent Kerouac ou Ginsberg, fidèles compagnons de route. L'entreprise de Montagnes et rivières sans fin est ancienne, et remonte justement à l'époque où les poètes dits de la Beat Generation parcouraient l'Amérique en tout sens, comme le raconte Kerouac dans Les Clochards célestes, laissant la parole à un certain Japhy Ryder : " Je vais composer un nouveau poème, très long, intitulé Fleuves et montagnes sans fin. Je l'écrirai sur un rouleau qui réservera sans cesse des surprises à celui qui le déploiera, de sorte qu'il oubliera au fur et à mesure ce qu'il a lu un peu plus tôt ". Or c'est ce rouleau que nous avons devant nous, composé de lieux et d'époques diverses (" Déroulez le rouleau vers la gauche, section après section, tout en laissant le côté droit s'enrouler à nouveau ", est-il écrit dans une note, car Snyder profita de ses voyages pour visiter les musées et découvrir les collections de peinture chinoise).

On se représente souvent l'écriture beat comme une écriture sympathique mais sans profondeur ni cohérence, comme une espèce de vague rimbaldisme américain, en l'opposant aux grandes constructions poétiques européennes, savantes et complexes (en oubliant du même coup les épopées postpoundiennes, celles d'Olson et de William Carlos Williams, qui ont joué un rôle important dans l'émergence de la nouvelle génération). Bref, une sorte d'antithèse de ce qui s'écrit dans une Europe préoccupée de pensée poétique, souvent lourde… Or en lisant Snyder, on se rend compte de la vigueur intellectuelle qui sous-tend cette écriture, bien loin des clichés faciles. Il y a toujours une dimension excentrique et une grande liberté dans cette poésie, mais soutenues par une vraie discipline que Snyder revendique, et qui le distingue d'ailleurs de ses amis, comme il le reconnaît lui-même : " Les romans de Kerouac et certains poèmes d'Allen Ginsberg transmettent sans aucun doute une atmosphère assez folle… Il est exact que je gardais une certaine distance : cela consistait tout simplement à ne pas sortir tous les soirs ! Si Allen et Jack couraient à droite et à gauche sept soirs sur sept, je ne me joignais à eux que deux fois par semaine et passais mes cinq autres soirées à étudier le chinois ", déclare Snyder en riant. L'écriture poétique ici vise moins la construction d'une oeuvre que la constitution - physique et mentale - d'un individu, à travers une " pratique sauvage " ouverte au dehors et aux rencontres les plus singulières. Cette auto-formation individuelle n'est toutefois possible qu'à travers l'étude, et en cela Snyder est le meilleur représentant de cet anarchisme écologique américain pour lequel la poésie est un exercice de respiration fondé sur une série d'actions concrètes et quotidiennes. D'où, dans ce recueil, le poème " Trois mondes, trois royaumes, six routes ", qui établit la liste des choses à faire dans tel ou tel endroit du monde (autour de Seattle, Portland, San Francisco, Kyôto), actions parfois anodines : " Essayer de faire copier une clé / Essayer de trouver du pain bis / Partir à la recherche de chambres pour Américains / Participer à une réunion importante, parler différentes langues ".

Il y va en fait d'un déconditionnement social qui passe par une libération mentale, et le moindre acte peut permettre de progresser dans cette voie. L'étude du bouddhisme a énormément compté dans le trajet du poète, qui a passé dix années au Japon et y a rencontré sa seconde femme. On retrouve d'ailleurs dans sa poésie le souci du détail relié à un ensemble infini, et l'idée d'une existence fluctuante ouverte aux jeux d'énergie. Au coeur d'un poème qui se situe chez un coiffeur (chargé de " couper ras "), on trouve ce faisceau de sensations, cette vision brusque et momentanée ouverte sur un large univers :

Lac à moitié gelé, à quatre mille mètres d'altitude

sa rive rocheuse est stérile

mais il est rempli de truites bondissantes :

les reflets vacillent dans l'enchevêtrement

de cercles

qui sans cesse se propagent

ce réseau insensé de vaguelettes trouve sa cohérence

vu de plus haut.

On pense alors à ce que dit Mircea Eliade de la respiration yogique, qui passe par une rythmisation du souffle, laquelle " met en relation l'inspiration et l'expiration avec le jour et la nuit, ensuite avec les quinzaines, les mois, les années, en arrivant progressivement jusqu'aux plus grands cycles cosmiques ". Par la multiplication des expériences et des observations, la poésie de Snyder arrive peu à peu à une vision plus large et plus riche du réel, et il serait assez vain d'aborder ces poèmes selon des critères uniquement littéraires, sans prendre acte de cette volonté d'élever la poésie à un mode de respiration et de vision plus développé, loin de tout ce que nous lisons habituellement et qui nous enferme plutôt dans une perception restreinte du réel. On n'y retrouvera peut-être pas la virtuosité des techniciens de la poésie moderne, mais on aura envie, après avoir déroulé le rouleau, d'aller découvrir soi-même, dehors, ces montagnes et rivières sans fin, et peut-être de " trouver l'espace dans le coeur ", comme dit le titre d'un poème.
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Je lève les yeux vers les falaises
mais nous sommes emportés par le courant
les radeaux
remuent dangereusement secoués par les remous
les rochers miroitent
sous l'arche que dessinent les flots
parois rocheuses verticales de part et d'autre.
Un faucon traverse cette étroite bande de ciel
frappée de soleil.

nous pagayons en avant, en arrière, tournons,
pris dans les tourbillons et les vagues
et les marches d'escalier des flots écumants.
Au dessus de ce tumulte
s'élève le chant du troglodyte des canyons.

en une coulée harmonieuse, portée par le vent puis
s'immobilisant.
Ecoutons-le encore, ce chant délicat à la gamme
descendante

ti ti ti ti tii tiii tiiii

qui plonge dans des lits archaïques.
Une femelle colvert, seule, remonte le courant -

Au moment de franchir le rapide des Cent Pas
Su Tung Po, pendant un instant,
eut une vision d'immobilité absolue.
"Je fixe l'eau :
elle se meurt avec une lenteur indicible."

Dôgen écrivit à minuit :
"les montagnes s'écoulent
l'eau est le palais du dragon
elle ne s'écoule pas."

Nous accostons à China Camp
au milieu de tas de pierres
empilées par des mineurs aux cheveux noirs,
nous préparons le repas dans l'obscurité
et dormons toute la nuit près de l'eau.

Ces chants qui sont présents et disparus
présents et disparus,
qui purifient nos oreilles.
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Il y a dix millions d'années le fond de l'océan
se glisse comme un serpent sous le continent
et fait craquer
l'ancien lit de la mer jusqu'à ce qu'il devienne une haute montagne
les couches de grès forment un manuscrit de pistes en zigzag
et le calcaire brille comme neige
là où croissent des êtres très anciens.
"Quand cessent les coups de hache
le silence se fait plus profond-"
Des pics tels des bouddhas des sommets
font dévaler les eaux jusque
dans le cœur profond de ce monde en rotation
p154 et 155
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Video de Gary Snyder (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Gary Snyder
Trailer pour La Pratique Sauvage, documentaire consacré à Gary Snyder, et présenté sous la forme d'une longue conversation entre le poète et son ami Jim Harrison.
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