Le terme de « monde » est encore plus difficile. Comme tous les mots simples, d'usage courant, il est compliqué et contient beaucoup de sens. Le sens le plus général, c'est celui d'une structure socio-historique. Ici, je propose un peu de philologie afin de pénétrer vraiment dans le sens du mot. Dans les langues germaniques, world en anglais, Welt en allemand, l'étymologie est précisément wer-alt, une « époque humaine », limitée dans le temps. C'est le sens qu'a fini par avoir le mot équivalent dans les langues romanes : monde, mondo, mundo... Mais à l'origine de ces mots romans, il y a le latin mundus. Or mundus signifiait un emplacement où, lors de la construction d'une cité, c'est-à-dire le début d'une politisation, les habitants de la terre, avant de devenir citoyens, plaçaient une poignée de la terre de leurs territoires. Le mundus était donc à l'origine un rappel du dehors, un foyer de ressources, un pôle d'attraction, et il a fini par avoir un sens esthétique. Il est significatif que l'on n'ait retenu de ce sens esthétique que le négatif : « immonde ». C'est comme si, depuis longtemps, homo historicus s'était résigné à vivre dans un monde immonde, et même à s'y complaire, ne se rendant plus du tout compte de ce qu'il a perdu, de ce qui lui manque.
Pour « vivre poétiquement » sur la terre, il ne s'agit pas seulement de savourer un poème consolateur de temps en temps, mais de se sentir exister dans un espace-temps où circulent les grands courants poétiques de la planète.
La petite phrase "habiter poétiquement le monde" est devenue depuis quelques temps un murmure dans les marges.