Comme Kerouac,
Rimbaud exerce une magie particulière sur ceux qui le lisent avant l'âge de 20 ans. C'est le cas d'"
Edmund White", qui commence ce bref récit de la vie de
Rimbaud par une tranche qui lui est propre : les jours qu'il a passés en tant que écolier gay malheureux dans la banlieue de Détroit, lisant "Le Bateau ivre" sur les toilettes à minuit et « s'identifiant complètement aux désirs de
Rimbaud d'être libre, d'être publié, d'être sexuel, d'aller à Paris. Adolescent timide du Midwest, séduit par les livres, White ne pouvait que rêver.
On connaissait déjà
Edmund White comme biographe grâce à son
Jean Genet monumental (Gallimard 1993, National Book Critics Circle Award), mais c'est un court portrait de
Rimbaud qui nous est offert ici sous la plume intimiste du célèbre romancier et essayiste gay, qui a longtemps vécu à Paris.
Si White s'attache tout particulièrement à la relation de
Rimbaud et
Verlaine, il explore aussi au fil de son récit l'écriture rimbaldienne avec son regard de traducteur (dans l'édition originale il a en effet traduit lui-même les oeuvres citées) et une sensibilité qui éclaire l'univers du poète qui « a inventé l'obscurité en poésie ». Rien de tel qu'une biographie de
Rimbaud pour dissiper les illusions romantiques sur le poète. le livre de "White" sur "
Rimbaud" n'en est pas vraiment une : c' est une fusion de mémoires personnelles , de biographie et de critique littéraire (Le récit de White bénéficie de l'auto-identification honnête de l'auteur avec son sujet).
Avec son sens du détail de romancier "White" propose un récit convaincant sur la liaison tumultueuse de deux ans de "
Rimbaud" avec le poète plus âgé "
Paul Verlaine", notant tout, de l'insistance de "
Rimbaud" à jouer horriblement du piano pour agacer "
Verlaine", au "jeu" de se se poignarder tour à tour avec des couteaux enveloppés dans des serviettes. Mais le livre propose aussi les souvenirs d'
Edmund White sur ses propres aspirations de jeunesse, lorsqu'il lisait
Rimbaud et rêvait de devenir une célébrité littéraire et d'être emmené par un homme tutélaire plus âgé…
J'aimerai insister sur ce que "White" pense de la sexualité de
Verlaine et de ce qui en a été dit auparavant dans les canons biographiques : "White", écrivain gay influent et co-auteur de "The Joy of Gay Sex", note avec un intérêt particulier la précocité sexuelle du jeune poète, mais il insiste sur le fait que l'homosexualité de
Rimbaud n'était pas une source d' inquiétude ou d' insatisfaction. Il est en profond désaccord désaccord avec "
Enid Starkie", autrice de la biographie de 1936 qui a longtemps été considérée comme l'ouvrage anglophone faisant autorité sur "
Rimbaud". "Starkie" extrapole à partir d'un poème intitulé « le coeur torturé » que "
Rimbaud" a été violé par des communards lors d'une de ses premières évasions à Paris ; elle insiste également sur le fait que
Rimbaud a dû apprécier l'expérience, puisqu'il a eu plus tard une liaison homosexuelle avec "
Verlaine". "White" répond dans son livre que c'est du freudisme de second ordre que d'attribuer des traits de personnalité à un traumatisme enfoui, et que les preuves historiques d'une telle agression transformatrice sont inexistantes ; il théorise que c'est une tentative homophobe de rationaliser la romance de "
Rimbaud" avec "
Verlaine" qui a conduit "Starkie" à concocter ce récit de viol.
Quand au couple "
Verlaine", "
Rimbaud", "White" décrit la sexualité de "
Rimbaud" comme fluide mais agressive, et montre qu'il a toujours dominé "
Verlaine", plus âgé mais moins sûr e lui. "
Rimbaud" apparaît ici comme une créature vile et irrécupérable. "
Verlaine" quant à lui fascine par l'écart entre sa force de poète et sa faiblesse d'homme.
Pour "White", une saison en enfer semble présager la révolution industrielle et les changements sociétaux massifs qu'elle annoncerait, apparaissant même étrangement en contact avec les développements explosifs du XXe siècle.
"Ce qui est extraordinaire" c'est que dans sa brève carrière d'écrivain,
Rimbaud a couvert toute l'histoire de la poésie depuis les vers latins jusqu'aux romantiques, aux parnassiens et aux symbolistes jusqu'aux surréalistes, avant même que le surréalisme n'existe."
Malgré tout, cela aboutit à un récit sensible, succinct et largement non partisan, riche en histoire et particulièrement intéressant (paraît-il) pour les non-francophones car "White" propose ses propres traductions de toutes les lignes qu'il cite.
Vers la fin de son livre "White" cite le "
Rimbaud" de "
Graham Robb" (2000) comme étant la meilleure biographie en anglais du poète, et explique que son propre livre ne conviendra pas à ceux qui veulent lire une pure biographie. Mais pour les novices de "
Rimbaud", ou pour tous ceux qui ont encore le mal de mer et l'enivrement de leur premier voyage dans le bateau ivre, cette mini-biographie commenté de poche constitue un excellent moyen d'entrer dans la vie de l'une des grandes énigmes de la littérature.
Un essai captivant.
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