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Citations sur Un soupçon légitime (26)

Ce Limpley était une masse imposante, d'au moins six pieds de haut, avec de larges épaules carrées qui eussent fait honneur à un haltérophile, mais, comme beaucoup de géants il arborait une bonhommie infantile.
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Pour ma part, j'en suis tout à fait certaine, le meurtrier c'est lui - mais il me manque la preuve ultime, irréfutable. "Betsy", me dit toujours mon mari, "tu es une femme intelligente, qui observe vite et bien, mais tu te laisses porter par ton tempérament et tu portes souvent des jugements hâtifs." En fin de compte, mon mari me connaît depuis trente-deux ans et ses mises en garde sont peut-être, et même probablement, justifiées. Je dois donc, puisqu'il me manque cette preuve ultime, me faire violence pour réprimer mes soupçons devant les autres. Mais chaque fois que je le croise et qu'il s'approche de moi, brave et amical, mon coeur s'arrête de battre. Et une voix intérieure me dit : c'est lui et lui seul, le meurtrier.
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Toute une journée et toute une nuit Ponto demeura introuvable ; s'il s'était agi d'un être humain, j'aurais craint un suicide. Il ne reparut que le lendemain soir, sal, affamé, farouche et couvert de morsures ; dans sa rage impuissante, il avait dû assaillir quelque part un autre chien. Mais une nouvelle humiliation l'attendait. La bonne ne le laissa même pas entrer à l'intérieur et lui apporta son écuelle sur le pas de la porte, sans plus d'égards. Cette offense grossière était due à des circonstances particulières, car à ce moment précis la femme était en train d'accoucher et la maison était remplie de gens affairés. Limpley se tenait là, déboussolé, le visage rubicond et tremblant d'excitation, la sage-femme courait en tous sens, assistée du médecin, la mère assise à côté du lit réconfortait sa fille, et la bonne était débordée. Même moi, j'atais venue et j'attendais dans la salle à manger, afin de me rendre utile en cas de besoin, et la présence de Ponto n'aurait donc signifié en effet qu'un dérangement fâcheux. Mais comment, avec son obtus cerveau de chien, aurait-il pu concevoir cela ? L'animal, à cran, ne comprenait qu'une chose, c'est que pour la première fois il avait été chassé de la maison - de sa maison - comme un étranger, comme un mendiant, comme un importun, et qu'on le tenait sournoisement éloigné de quelque chose d'important qui se déroulait là, derrière cette porte fermée. Sa fureur était indescriptible, et il faisait craquer sous ses dents puissantes les os qu'on lui avait lancés, comme s'il s'agissait de la nuque de son ennemi invisible. Puis, il se mit à renifler partout à la ronde ; ses sens aiguisés percevaient que des étrangers avaient pénétré dans la maison - dans sa maison -, il flaira sur le carrelage la trace, qu'il connaissait déjà, de cet homme à lunettes, vêtu de noir, qu'il haïssait. Mais il y en avait encore d'autres qui étaient ligués avec lui, et que faisaient-ils à l'intérieur ?
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La porte qui menait à la chambre de la femme s'ouvrait et se refermait sans cesse et, derrière, on n'arrêtait pas de chuchoter, à mois que, de concert, les femmes n'y fissent tinter leurs instruments de couture. Qu'est-ce que tout cela pouvait bien signifier, et pourquoi était-il exclu, privé de ses droits ? A force de ruminations continuelles, le regard de Ponto se figea peu à peu est devint presque vitreux ; ce qui distingue l'entendement animal de l'entendement humain, c'est qu'il se limite exclusivement au passé et au présent et n'est pas capable d'imaginer ou d'évaluer l'avenir. Et là - cet animal obtus le ressentait avec tous les tourments du désespoir - quelque chose était en train d'advenir, de se produire, qui allait à son encontre et qu'il ne pouvait néanmoins ni éviter, ni combattre.
Cela dura en tout six mois avant que le fier, l'impérieux, le trop dorloté Ponto, épuisé par ce vain combat, ne capitulât humblement, et curieusement ce fut devant moi qu'il mit bas les armes. Ce soir d'été-là, tandis que mon mari faisait une réussite dans la chambre, j'étais restée un peu assise dans le jardin ; tout d'un coup je sentis quelque chose de chaud se blottir, tout doux et tout tremblant, contre mon genou. C'était Ponto qui dans son orgueil blessé n'avait pas remis les pieds depuis six mois dans notre jardin et qui, désemparé, cherchait maintenant un refuge auprès de moi. Les semaines précédentes, alors que tous les autres le négligeaient, il avait dû m'arriver de l'appeler ou de le caresser une fois en passant, si bien que, parvenu au dernier degré du désespoir, il s'était souvenu de moi, et je n'oublierai jamais les yeux implorants, insistants, qu'il dirigeait vers moi. Le regard d'un animal, en cas de détresse extrême, peut devenir beaucoup plus émouvant, j'aimerais presque dire beaucoup plus éloquent, que celui d'un être humain, car nous confions aux mots, ces intercesseurs, l'essentiel de nos sentiments, de nos pensées, tandis que l'animal, qui ne maîtrise pas la parole, est obligé de concentrer toute son expression dans sa pupille - jamais je n'ai vu désarroi aussi bouleversant et aussi désespéré qu'à ce moment-là dans le regard indescriptible de Ponto, alors que ses pattes grattaient le bas de ma jupe comme pour demande l'aumône. Il me suppliait, je le compris et en fus ébranlées : "Explique-moi donc ce qu'a mon maître, qu'ont-ils tous contre moi ? Qu'est-ce qui se manigance là-bas, dans la maison ? Aide-moi, dis-moi : que dois-je faire ?" Je ne savais vraiment pas comment réagir à cette prière bouleversante.
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Mon mari et moi ne pouvions plus ni l'un ni l'autre supporter les effronteries de ce tyran. Intelligent comme il l'était, Ponton ne tarda pas à remarquer notre attitude irrévérencieuse à son égard et il s'attacha désormais, de son côté, à nous faire sentir son mépris de la façon la plus grossière. Il avait du caractère, c'était indéniable ; du jour où notre bonne , comme il avait laissé une trace indubitable de son passage dans un parterre de roses, le chassa avec énergie de notre jardin, il cessa de se faufiler à travers la haie épaisse qui formait la frontière pacifique entre nos deux terrains et se refusa même, malgré les exhortations et les prières de Limpley, à fouler notre seuil.
Nous renonçâmes à ses visites sans déplaisir ; ce qui était plus pénible en revanche, c'est que lorsque nous rencontrions Limpley, en sa compagnie, dans la rue ou devant chez nous, et que cet homme débonnaire et bavard se mettait à nous parler, l'animal tyrannique empêchait par son comportement provocateur que la conversation entre amis ne se prolonge. Au bout de deux minutes, il commençait à glapir ou à grogner de colère et il fonçait la tête la première dans les jambes de Limpley, ce qui signifiait sans ambiguïtés : " Il est temps d'y aller ! Ne discute pas avec des gens aussi répugnants. " Et j'ai honte de le raconter, mais, chaque fois, Limpley devenait nerveux. Il essayait d'abord de calmer le malotru : " Tout de suite, toute de suite ! On y va ! ", mais le tyran ne s'en laissait pas conter, et son pauvre esclave prenait donc -un peu honteux et confus - congé de nous.
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Ce qui lui appartenait, ce qui lui arrivait était splendide, était wonderful ; son épouse était la meilleure épouse du monde, ses roses les plus belles roses, sa pipe la meilleure pipe avec le meilleur tabac ; il était capable de tenir la jambe un quart d’heure à mon mari pour lui prouver qu’on ne devait bourrer une pipe que précisément de la manière dont il la bourrait lui et que son tabac était d’un penny moins cher et néanmoins meilleur que les marques plus onéreuses.
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Pour ma part, j’en suis tout à fait certaine, le meurtrier c’est lui – mais il me manque la preuve ultime, irréfutable. « Betsy », me dit toujours mon mari, « tu es une femme intelligente, qui observe vite et bien, mais tu te laisses mener par ton tempérament et tu portes souvent des jugements hâtifs. » En fin de compte, mon mari me connaît depuis trente-deux ans et ses mises en garde sont peut-être, et même probablement, justifiées. Je dois donc, puisqu’il me manque cette preuve ultime, me faire violence pour réprimer mes soupçons devant les autres. Mais chaque fois que je le croise et qu’il s’approche de moi, brave et amical, mon cœur s’arrête de battre. Et une voix intérieure me dit : c’est lui et lui seul, le meurtrier.
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Parce que son coeur chaleureux, qui débordait, et donnait l'impression d'exploser sans cesse de sentiment, le rendait altruiste, il s'imaginait que pour tout le monde l'altruisme allait de soi, et il fallait déployer des trésors de ruse pour se soustraire à son oppressante bonhomie. Il ne respectait ni le repos ni le sommeil de qui que ce soit, parce que, dans son trop-plein d'énergie, il était incapable d'imaginer qu'un autre pût être fatigué ou de mauvaise humeur, et on aurait secrètement souhaité assoupir, au moyen d'une injection quotidienne de bromure, cette vitalité magnifique, mais guère supportable, afin de la faire revenir à un niveau normal.
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« Qu’ils aillent au diable, lui et son bonheur ! » dis-je, aigrie. « C’est un scandale d’être heureux d’une façon si ostentatoire et d’exhiber ses sentiments avec autant de sans-gêne. Ça me rendrait folle, moi, un tel excès, un tel abcès de bienséance. Ne vois-tu donc pas qu’en faisant étalage de son bonheur il rend cette femme très malheureuse, avec sa vitalité meurtrière ? »
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La lune voguait haut dans le ciel, force sereine, comme poussée par un vent invisible à travers un corridor de nuages qu'éclairait sa lumière argentée, et chaque fois qu'elle surgissait, pure et opalescente, tout le jardin s'illuminait comme drapé de neige. p.67
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