Vie de Guastavino et Guastavino, d'
Andrés Barba
Traduit de l'espagnol par
François GaudryDevant la douleur des autres de
Susan Sontag
Traduit de l'anglais (États-Unis) par
Fabienne Durand-Bogaert
le Style
Camp de
Susan Sontag
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Guy Durand
le Passé, d'
Alan Pauls
Traduit de l'espagnol (Argentine) par
André Gabastou.
Mumbo Jumbo, d'
Ishmael Reed
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Gérard
H. Durand
Nouvelle préface inédite de l'auteur
Dalva de
Jim Harrison
Traduit de l'anglais (États-Unis) par
Brice Matthieussent + Lire la suite
C'est à cette époque que j'ai été pris d'une fringale de lecture. Je m'étais toujours demandé pourquoi les profs nous jetaient le savoir à l'école sans se soucier de ce qu'on comprenait. Moi, j'ai commencé de comprendre qu'ils avaient fait du savoir une cabale ! qu'il était réservé aux initiés mais une fois retirés les grands mots, les codes secrets, la terminologie, leur argot, on apprenait vite. Il ne faut pas 4 ans comme en faculté et ces 4 ans ne servent pas à apprendre mais à éliminer les révoltés, les dissidents. Par ses règles et ses rites académiques l'Homme blanc s'est assuré qu'il aurait des serviteurs zélés à sa disposition. J'entends aujourd'hui des diplômés qui crient bien haut qu'ils sont les nouveaux Noirs alors qu'ils ne font que servir l'Homme qui leur a décerné leurs titres, qui les a initiés à son argot, les a jugés « qualifiés » c'est-à-dire « fidèles ». Moi je m'étais mis sérieusement à la tâche. Je me plongeai dans la biochimie, la philosophie, les mathématiques, j'appris des langues étrangères, je maîtrisai la translittération et la traduction des hiéroglyphes, une connaissance dont l'utilité m'est apparue récemment. Je ne procédais pas selon un système mais un peu comme celui qui voudrait faire une couverture avec des morceaux de tissu, une pièce ici, une pièce là, cousues avec amour. Plein d'appétit, je dévorais les miettes et les restes de l'intelligentsia. J'empruntais à tous, aux diverses philosophies, religions, sciences, à la musique, à la peinture même, mais je recomposais, j'assemblais mon style, mon art, mon évolution ; j'insufflai la vie à un griffon !
— « Pour moi, tous les nègres se ressemblent », murmure Nathan Brown.
Il s'est arrêté l'air absent.
— Que voulez-vous dire ?
— Ceci : il me semble, monsieur Von Vampton, que lorsque des hommes comme vous parlent de l'« expérience noire », ils entendent par là que tous les hommes de couleur ressentent le monde de la même façon. Et de cette façon, vous pouvez reconnaître les non-conformistes, ceux qui seraient capables de défier le pouvoir que vous avez mis en place dans ce pays, de montrer en quelque sorte la barrière qu'aucun esclave ne peut franchir sans réveiller les molosses... J'ai bien peur de ne pouvoir vous aider, monsieur Von Vampton. Aux jeunes à qui je fais cours dans Harlem, j'apprends à ne pas se laisser influencer par des gens comme vous...
A propos, pourriez-vous m'expliquer les raisons de ce fétichisme américain pour les routes ?
— Il veulent aller quelque part, suggère LaBas.
— Echapper à quelqu'un qui les poursuit, ajoute Herman.
— Et qui donc leur court après ?
— Eux-mêmes. Ils baptisent cette chasse : leur destinée, la course aux progrès. Nous y voyons plutôt une fuite devant les esprits en peine, les esprits de leurs victimes, cette brume qui monte des sols d'Afrique, d'Amérique du Sud, d'Asie...
Une réunion des Mu'tafikah se tient dans le sous-sol d'un immeuble de 3 étages à la limite de la « ville chinoise ». Au rez-de-chaussée est installé un magasin d'articles religieux, au-dessus une armurerie et au 3e étage une agence de publicité, spécialisée dans la promotion des lessives (ce modeste bâtiment des années vingt offrait en quelque sorte sur 3 étages et un sous-sol un saisissant raccourci de la civilisation occidentale).
A Haïti, Papa Loa. A la Nouvelle-Orléans Papa Labas. A Chicago Papa Joe. Le nom change, la fonction demeure. Des orchestres créoles cachent Djeuze Grou et lui permettent d'échapper aux contrôles du service social de Chicago (Département d'Hygiène mentale). L'esprit agile d'Erzulie se réfugie dans une trompette. Elle vocalise du grognement à la stridence. Legba a élu pour demeure un trombone parlant. Il y donne consultation.
La musique vient de la boîte clandestine, lourde, épaisse, visqueuse, un marécage, la boue, les alluvions de la ceinture noire du Sud, chaude, ses marais, un grouillement d'oiseaux, de serpents, d'insectes, des fleurs sauvages : l'Egypte en Amérique, disait quelqu'un.
What is the American fetish about highways?
They want to get somewhere, Labas offers.
Because something is after them, Black Herman adds.
But what is after them?
They are after themselves. They call it destiny.