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Citations de Le Monde des Religions (77)


Hénoch. Sa brève apparition dans la Genèse laisse entrevoir un homme au destin hors du commun (il est le septième depuis Adam), jouissant d’un contact privilégié avec le monde du divin (il « se promène » avec Dieu ou les anges). Le nombre de ses années, « 365 » (soit autant de jours qu’il y a dans un an), suggère un lien étroit avec la course du soleil et des astres. Hénoch rejoint alors le monde céleste sans connaître la mort. Imaginez les révélations qu’il a pu y recevoir. La construction d’un tel personnage semble directement issue des milieux apocalyptiques, tant elle intègre les thèmes qui leur sont chers. Toute une littérature se développe ainsi autour d'Hénoch ; des livres sont écrits, regroupés, étoffés, et forment aujourd’hui l’un des corpus apocalyptiques les plus riches.
D’autres personnages se sont également vu attribuer une ou plusieurs apocalypses. C’est le cas d’Abraham : sa proximité avec Dieu ne laisse d’étonner le lecteur de la Genèse ; l’Apocalypse d’Abraham détaille ces échanges et les complète par d’autres, rapportant ainsi les révélations divines ou angéliques reçues par le patriarche. Élie se prête lui aussi volontiers à l’exercice apocalyptique : comme Hénoch, il monte au ciel sans connaître la mort et peut par exemple avertir les humains des dangers qui les guettent ; de fait, ­l’Apocalypse d’Élie met le lecteur en garde contre la venue d’un faux messie, qui sera heureusement anéanti à la fin des temps. Autre document majeur, l’Apocalypse ­d’Esdras est composée de sept visions ou visites angéliques qui sont autant de révélations sur les origines du péché, la fin des temps ou la mise par écrit des livres divins. Citons également l’Apocalypse de Moïse, de Baruch, de Paul, celles de Jean, de Pierre, de Thomas, et bien d’autres encore. La pseudépigraphie n’est donc pas un phénomène ponctuel ou isolé, mais bien plutôt la norme en milieu ­apocalyptique.

LES APOCRYPHES
Hénoch, père de l’apocalypse § Une Œuvre pseudépigraphe
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Une Œuvre pseudépigraphe
L’apocalypse nous emmène au delà des frontières spatiales et temporelles du savoir humain. Elle nous parle des origines de l’univers, relate les chroniques angéliques, explique les phénomènes cosmiques et astraux. Elle annonce aussi les événements à venir, proches ou lointains, avec, il est vrai, un faible non dissimulé pour la fin des temps. Images, symboles et figures sont monnaie courante ; le propos est énigmatique, mystérieux, transcendant.
La dimension morale est omniprésente : les origines de l’univers sont aussi celles du mal ; la fidélité des archanges tranche avec l’impiété des anges déchus ; la course des astres sur la voûte céleste illustre l’ordre et les décrets établis par Dieu lui-même, y compris lorsqu’ils sont transgressés. Quant aux événements futurs, ils sont eux aussi vus au travers du prisme du bien et du mal : les justes seront récompensés et les impies châtiés.
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Canon ecclésiastique
Une telle liste est appelée « canon », du grec kanōn « règle », apparenté à kanna (ou kannē) « roseau », emprunté au sémitique. Dans l’Antiquité, la tige de roseau devenue règle en vint à évoquer plus largement la « norme ». Ce terme est d’ailleurs attesté dans la Bible, par exemple en Galates 6, 16 où Paul invoque la paix et la bénédiction divines sur tous ceux qui « se conduiront selon cette règle », la règle de foi qu’il leur a enseignée et dont ils ne doivent s’écarter. À partir du IVe siècle de notre ère, ce terme sera progressivement appliqué aux saintes Écritures pour souligner leur caractère normatif. Eusèbe de Césarée explique ainsi dans son Histoire ecclésiastique qu’Origène « maintient le canon ecclésiastique » en ne reconnaissant que quatre Évangiles ; la règle (ou canon) ecclésiastique s’étend ici aux écrits qu’Eusèbe de Césarée appelle ailleurs « homologués », c’est-à-dire « reconnus ». Quelques années plus tard, dans sa 39e Lettre festale écrite en 367, Athanase d’Alexandrie dresse la liste de ce qu’il appelle les « livres canonisés », une expression inconnue jusqu’alors.
Les listes canoniques se multiplient : Cyrille de Jérusalem, Épiphane de Salamine, Grégoire de Nazianze, Jérôme, Amphiloque d’Iconium, Augustin, Rufin… Tous proposent une liste de livres reconnus par l’Église. Pourquoi cet engouement dans la seconde moitié du IVe siècle ? Le christianisme est alors en pleine mutation : mouvement en marge du judaïsme, il devient religion impériale. Les conciles se suivent et abordent les éléments fondamentaux de la doctrine chrétienne. Avant la fin du siècle, les conciles de Laodicée ou Carthage proposent déjà des listes de livres canoniques pour l’Ancien et le Nouveau Testaments.
Les christianismes orientaux échappent en partie à ces débats houleux, à tel point que certaines Églises ne se prononceront jamais officiellement sur la question du canon des Écritures. En Occident, il faut attendre la Réforme, au XVIe siècle, pour que les Églises adoptent un canon officiel. Au concile de Trente, l’Église catholique romaine donne la liste des livres canoniques ; ceux de l’Ancien Testament absents de la Bible hébraïque sont appelés « deutérocanoniques ». L’Église ­d’Angleterre adopte le même canon, mais les protestants réunis en synode à Anvers en 1566 précisent, dans la Confessio belgica, que ces livres sont « apocryphes » : l’Église peut les « lire » et en « prendre instruction », mais ne saurait se baser sur eux pour « arrêter » un point de doctrine. Leur Ancien Testament se limite aux seuls livres de la Bible hébraïque.
Pour cette dernière la première mention connue d’une liste de 22 livres se trouve chez Flavius Josèphe, historien juif de la fin du Ier siècle de notre ère. Il les répartit en trois groupes : 5 livres mosaïques, 13 livres prophétiques, et 4 livres hymniques et moraux. Au tournant du IIe siècle de notre ère, 4 Esdras – apocalypse juive présente dans certaines Bibles chrétiennes (voir encadré ci-contre) – mentionne 24 livres lus par tous et 70 réservés aux sages. On y voit se dessiner une frontière entre le biblique et l’apocryphe, sans dénigrer le second. Est-ce un hasard si les témoignages de Flavius Josèphe et de 4 Esdras suivent de peu la destruction du temple de Jérusalem par les armées romaines en 70 de notre ère ? Après ce traumatisme, le besoin de stabiliser la Bible hébraïque a dû se faire plus pressant ; la littérature rabbinique des premiers siècles de notre ère fait état de nombreux débats à ce sujet. Les discussions ont pu se poursuivre jusqu’au IIIe voire IVe siècle ; le Talmud de Babylone finira par livrer la première liste connue de source juive des 24 livres saints tels qu’ils apparaîtront dans les Bibles hébraïques médiévales, selon un ordre parfois légèrement différent.
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Krishnamurti, le voyant qui marchait seul
Le sage indien Jiddu Krishnamurti (1895-1986), proclamé «Instructeur du Monde» à seize ans par les responsables de la Société théosophique, renonce à ce rôle après plusieurs révélations intérieures. Il devient l'apôtre itinérant d'une nouvelle vision, libertaire et humaniste.
p. 46 et 47
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La décadence romaine fustigée
Connu sous le nom de schisme de Rome pour les Orientaux, le grand schisme d’Orient marque la scission en deux branches du christianisme : l’orthodoxie et le catholicisme. Ce n’est qu’en 1965 que le pape Paul VI et le patriarche Athênagoras lèveront leurs excommunications mutuelles.
Au cours du Moyen-Âge, l’église romaine parvient à surmonter hérésies et schismes, mais entre 1517 et 1570, un clivage se fait jour entre l’Europe méditerranéenne, latine et romaine et celle, protestante, du Nord. Née sous l’impulsion d’un moine augustin allemand, Martin Luther (1483-1546), qui reprend les critiques qui s’expriment déjà depuis plusieurs siècles contre la décadence romaine et son rapport à l’argent, la Réforme va apporter une réponse aux chrétiens déçus par l’église institutionnelle.
C’est à cause de la vente d’indulgences par Rome que Luther, qui juge que celle-ci est incompatible avec l’esprit des écritures, va amorcer un tournant décisif dans l’histoire de la chrétienté. Il publie 95 thèses contre les indulgences (Disputatio pro declaratione virtutis indulgentiarum), qui font grand bruit à travers tout le continent. Largement diffusé, ce texte qui démonte l’exploitation de la crédulité populaire à des fins mercantiles, est soudain tenu comme un manifeste de libération. Violemment attaqué sur la position qu’il adopte ensuite vis-à-vis de l’Eucharistie (et des sacrements en général, dont il réduit drastiquement le nombre), Luther affine sa doctrine et rompt définitivement avec l’église romaine en 1520. Il semble qu’il n’ait pas cherché à provoquer un schisme, ni à fonder une secte, mais plutôt à réformer l’église universelle.
« Je ne puis autrement. Que Dieu me soit en aide » : c’est sur ces mots qu’il termine son propos face à la diète de Worms qui l’a convoqué et devant laquelle il ne renie pas ses œuvres. Entre 1518 et 1525, celles-ci vont se propager dans une Allemagne qui abhorre la civilisation latine et où les plus simples comme les élites vont se reconnaître dans les vertus luthériennes : foi, patience, abandon total à la volonté de Dieu, dans un langage épuré qui s’oppose à celui de la théologie classique.

Grands schismes, le rejet de la papauté
Florence Quentin





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Des querelles doctrinales
Les Occidentaux, eux, tiennent au contraire au pain azyme pour les hosties. La place du Saint-Esprit est aussi une pomme de discorde essentielle entre Orient et Occident : les Latins affirment qu’il procède du Père et du fils, alors que les Byzantins pensent qu’il procède du Père seul (querelle dite « du filioque », lire encadré ci-dessous). Le pape envoie trois légats à Constantinople pour mettre fin à des querelles liturgiques et doctrinales séculaires. La rencontre entre le cardinal Humbert de Moyenmoutier et Michel Cérulaire tourne à l’affrontement. Des divergences profondes entre les deux Églises surgissent sur le mariage des prêtres, le symbole des apôtres.
Enfin, le patriarche de Constantinople refuse de se soumettre à l’autorité papale. Le 16 juillet 1054, sur l’autel de la basilique Sainte-Sophie, le cardinal Humbert dépose une bulle excommuniant Michel Cérulaire, geste immédiatement interprété comme une excommunication de toute l’Église byzantine. En réponse, le 24 juillet, le synode byzantin lance l’anathème contre les trois légats du pape.

Grands schismes, le rejet de la papauté
Florence Quentin
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LES PAPES
Grands schismes, le rejet de la papauté
Florence Quentin

Du XIe au XVIe siècle, les scissions se succèdent au sein de la chrétienté bouleversée. Orthodoxie, luthérianisme, calvinisme, anglicanisme : autant de nouvelles églises qui récusent la primauté du souverain pontife catholique.

Tout au long du XIe siècle, les rapports entre la papauté et l’Empire byzantin sont sous tension : alors que Rome ne cache pas sa volonté de régner sur toutes les églises, les patriarches orientaux, eux, affirment leur emprise sur leur territoire. En effet, pour Byzance, la cité terrestre est le reflet du Royaume de Dieu, et l’empereur, son lieutenant, alors que la réforme grégorienne proclame au contraire l’indépendance du pouvoir spirituel et surtout, sa supériorité. Le césaro-papisme (subordination de l’Église à un dirigeant laïque) de l’Église de Constantinople ne peut s’accorder avec la primauté pontificale de Rome.
Dès 1043, lorsque Michel Cérulaire devient patriarche de Constantinople, celui-ci lance une véritable campagne contre les chrétiens d’obédience latine de la ville, n’hésitant pas à fermer certains édifices cultuels. Dix ans plus tard, dans une missive au pape Léon IX, l’archevêque de Bulgarie dénonce des divergences entre les Églises d’Occident et d’Orient, notamment sur l’usage du pain. Les Orientaux préfèrent le pain levé, ou « vivant », pour célébrer l’eucharistie, car pour eux, le pain azyme ne faisant pas partie de l’alimentation quotidienne, il nie symboliquement la nature humaine du Christ.
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Profession de foi du vicaire savoyard (in Émile ou de l’éducation, livre IV, 1762)

« La mort de Socrate, philosophant tranquillement avec ses amis, est la plus douce qu’on puisse désirer ; celle de Jésus expirant dans les tourments, injurié, raillé, maudit de tout son peuple, est la plus horrible qu’on puisse craindre. Socrate prenant la coupe empoisonnée bénit celui qui la lui présente et qui pleure ; Jésus, au milieu d’un supplice affreux, prie pour ses bourreaux acharnés. […] Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d’un sage, la vie et la mort de Jésus sont d’un Dieu. »

(...)

Cet aveu d’un anticlérical naturalisé se trouve en accord avec le paradoxe d’un Rousseau mi-Socrate, mi-Diogène se faisant Jésus. Publiée en 1762, cette Profession de foi du vicaire savoyard n’est autre que le cœur d’émile ou de l’éducation, instruisant les âmes à contre-courant de l’athéisme des Lumières. En comparant les deux dieux de la raison et de la foi, Rousseau livre sa conception toute personnelle d’une religion naturalisée.

D’un côté, Socrate nous enseigne la maîtrise de l’âme, assumant la raison - pour avoir raison - jusqu’à la mort. De l’autre, Jésus sur la croix écartelé, abandonné par ses prochains, nous livre sa foi incommensurable. De la maîtrise de soi par la raison à l’abandon de soi par la foi - ce « don du don » -, des Lumières rationnelles au mystère de Dieu, le cœur de Rousseau balance.

Lui qui se laisse convertir au catholicisme romain à Turin à l’âge de 17 ans, avant de l’abjurer à 42 ans, n’aura de cesse de passer sa foi au crible de sa raison. Ce n’est qu’en 1762, à 50 ans, qu’il avoue être demeuré fidèle à la Réforme, croyant en la bonté de Dieu, en l’immortalité de l’âme et aux châtiments.

Mais en homme des Lumières, Rousseau critique tant les révélations que les miracles : « Ôtez les miracles de l’évangile, et toute la terre est aux pieds de Jésus Christ », prédit-il dans ses Lettres écrites de la montagne (1764). Pour autant, Jean-Jacques ne saurait embrasser aveuglément la raison.

Si les encyclopédistes considèrent la religion du « Pendu » (Jésus Christ, dans la bouche athée de Voltaire) non seulement comme sottise, mais encore comme malheur pour l’humanité et les prêtres comme des « bêtes puantes », Jean-Jacques Rousseau, est, quant à lui, dénoncé comme « le Confesseur intolérable », le « singe ingrat ». Ingrat en ce qu’il aurait trahi le dessein caché de l’Encyclopédie d’extirper le christianisme par les Lumières.

Tandis que le Dieu de Voltaire est horloger, inaccessible et indifférent, celui de Rousseau est sentimental, puisque « le culte essentiel est celui du cœur ». Cette foi éclairée ou ce « christianisme naturalisé », selon l’expression d’Henri Gouhier, Rousseau l’érigera dans ses Lettres de la montagne en « deux règles de foi qui n’en font qu’une, la raison et l’évangile. La seconde sera d’autant plus immuable qu’elle ne se fondera que sur la première ». Jésus détrône ainsi Socrate, car le Christ incarne la religion naturelle. « Dieu n’a-t-il pas tout dit à nos yeux, à notre conscience, à notre jugement ? Qu’est-ce que les hommes nous diront de plus ? »

C’est pourquoi « la pure et simple religion de l’évangile » n’est autre que le « vrai théisme », la religion naturelle en acte. Actée, elle se fera religion civile (lire en p. 57). à la fin de sa vie, Jean-Jacques Rousseau confesse : « La Profession de foi du vicaire savoyard, ouvrage indignement prostitué et profané dans la génération présente […] peut faire un jour révolution parmi les hommes si jamais il y renaît du bon sens et de la bonne foi. » à ceux qui ont cette foi de (re)trouver le bon sens.

PHILOSOPHIE
3 clés pour comprendre Jean-Jacques Rousseau
Camille Tassel
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1 La perfectibilité

« Pourquoi l’homme seul est-il sujet à devenir imbécile ? » Benêt paradoxe, l’homme, contrairement à l’animal, pourrait devenir bête. « Tandis que la bête, qui n’a rien acquis et reste toujours avec son instinct, l’homme, reperdant tout ce que sa perfectibilité lui avait fait acquérir, retombe ainsi plus bas que la bête même ? » Loin d’être parfait, l’homme serait néanmoins perfectible. Or, ce propre de l’homme, « est la source de tous [ses] malheurs », car si elle garantit le développement de ses facultés en puissance, elle ne suffit pas à les réaliser en acte. La perfectibilité augure donc du meilleur comme du pire en l’homme civilisé. Tandis que les Lumières ne jurent que par la reine Raison comme sortie de la barbarie, le philosophe genevois remet en cause « l’état de réflexion [qui] est contre la nature ».

Si la fiction théorique de l’état de nature n’est pas une réalité historique, elle agit telle une norme, permettant de saisir notre degré d’éloignement par rapport à cet « homme sortant des mains de la nature ». Alors que Thomas Hobbes le croque comme un loup pour l’homme (Homo homini lupus), Rousseau le dépeint comme naturellement bon. « Bon », il l’est négativement, en ce qu’il n’est pas méchant. La méchanceté supposant la volonté de faire du mal à son semblable, l’homme à l’état primitif ne peut l’être car, esseulé, il n’a pas besoin d’autrui, si ce n’est pour se reproduire. S’il est asocial, il n’est pas pour autant antisocial. Sentiment naturel qui porte l’homme primitif à veiller à sa propre conservation, « l’amour de soi » n’est pas pour autant un repli narcissique. « Cet amour de soi est bon et utile, et comme il n’a point de rapport nécessaire à autrui. »

Dès lors qu’il ne s’agit plus de se conserver mais bien de se préférer aux autres, il se transforme en « amour-propre », insatiable. Tel un tonneau des Danaïdes, l’amour-propre est percé d’ambivalences : « Orgueil dans les grandes âmes et vanité dans les petites. » Il y aurait donc bien une pensée de l’altérité qui traverse l’égoïsme rousseauiste. Quand l’homme prend l’autre comme menace de son amour de soi, leur relation est biaisée par leurs amours-propres respectifs, qui les rapprochent pour mieux les détruire. Dès lors que l’homme s’intéresse - inter, esse (qu’il entre dans l’être d’autrui) -, il est « transporté » en lui et souffre avec lui.

Cette passion, plus que la raison, demeure au fondement de la morale rousseauiste : de cette pitié, « découlent toutes les vertus sociales », car qu’est-ce en effet que « la générosité, la clémence, l’humanité, sinon la pitié appliquée aux faibles, aux coupables, à l’espèce humaine en général » ? C’est pourquoi il s’agit de (re)trouver l’irréfragable essence de l’homme, avant qu’il ne soit travesti par les habits de la société, car selon le philosophe genevois, « un homme qui médite est un animal dégénéré ». Si Claude-Lévi Strauss reconnaissait en Jean-Jacques le pionnier de l’ethnologie, soyons « dégénérés », méditons Rousseau !

PHILOSOPHIE
3 clés pour comprendre Jean-Jacques Rousseau
Camille Tassel
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Le meilleur ennemi Voltaire
En 1744, il fait la rencontre de son meilleur ennemi des Lumières, Voltaire, qui le traite « de Judas de la troupe sacrée », car il refuse d’encenser la culture. C’est l’auteur du Candide qui, sous couvert d’anonymat, révélera au public l’abandon par Rousseau des cinq enfants qu’il eut avec sa lingère, Thérèse Levasseur.
Un jour de 1749, allant rendre visite à son ami Diderot, prisonnier au donjon de Vincennes, Rousseau a l’idée de répondre au concours de l’Académie de Dijon. Soutenant que les « progrès » de la civilisation dénaturent l’homme, son Discours sur les sciences et les arts remporte le prix et lui ouvre les portes de la cour. Celui pour qui écrire le met « au supplice » compose coup sur coup le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755), la Lettre à d’Alembert sur les spectacles (1758), Julie ou la nouvelle Héloïse (1761), et Du contrat social (1762).
Condamné pour ses idées religieuses, Émile ou de l’éducation (1762) est brûlé, son auteur doit faire l’objet d’une arrestation. Devenu ennemi public, il s’enfuit en Suisse, désireux de redevenir citoyen genevois, titre perdu par sa conversion au catholicisme. Expulsé de Genève, il s’exile en Angleterre auprès de David Hume. « Personne n’a jamais retenu l’attention autant que Rousseau. Voltaire et n’importe qui d’autre sont tout à fait éclipsés par lui », témoigne le philosophe anglais, dans une lettre du 28 décembre 1765. Huit ans durant, Jean-Jacques Rousseau mène pourtant une vie errante, rédigeant divers écrits, dont les Lettres de la montagne (1764), réponse à ses détracteurs.

PHILOSOPHIE
3 clés pour comprendre Jean-Jacques Rousseau
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PHILOSOPHIE
3 clés pour comprendre Jean-Jacques Rousseau
Camille Tassel - publié le 16/02/2011

Converti au catholicisme avant de l’abjurer et de se dire fidèle à la Réforme, le philosophe prôna une foi éclairée et proposa un pacte social fondé sur la bonté naturelle de l’homme, le culte de la liberté et le respect de la "religion civile".

« Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme ce sera moi. Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre », confie Jean-Jacques, l’écrivain, à Rousseau, le philosophe, dès les premières lignes de ses Confessions. Mi-Socrate (« Connais-toi toi-même ») mi-Diogène (« Je cherche un homme »), le philosophe des Lumières préfère être « homme à paradoxes qu’homme à préjugés ».

Né le 28 juin 1712 dans la République calviniste de Genève, cet orphelin de mère vit cependant une enfance idyllique auprès de sa nourrice Jacqueline. Abandonné par son père à 16 ans, il s’enfuit jusqu’à Annecy, où il fait la rencontre d’une veuve catholique, Madame de Warens. Celle qu’il nomme « Maman » sera sa protectrice avant de devenir sa maîtresse. Sur ses conseils, il se convertit à Turin au catholicisme romain et se fait tour à tour laquais, musicien puis secrétaire d’ambassade à Venise, avant d’envisager la prêtrise. Mais il finit par s’installer en 1742 à Paris, où il fréquente les encyclopédistes, de Diderot à d’Alembert, pour lesquels il rédige des articles de musique.
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Comment s’explique l’intérêt que nos contemporains leur portent ?

Aujourd’hui, on se méfie des églises instituées ; on cherche des réponses dans des récits mal connus ou marginaux. Cela explique le succès de l’Évangile de Thomas par exemple : ce recueil de paroles du Christ est parfois érigé au rang de cinquième évangile, ou même d’unique source authentique de l’enseignement de Jésus dont on fait alors un « maître de sagesse ». Cette recherche d’une sagesse nouvelle, cet attrait pour l’ésotérisme et pour la pensée gnostique doivent être analysés en profondeur par les Églises traditionnelles.

Rencontre avec Jean-Daniel Kaestli
Professeur honoraire de la faculté de théologie et de sciences des religions de l’université de Lausanne.
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Existe-t-il un « mystère apocryphe » ?

À proprement parler, non, il n’y a pas de mystère, même si l’étymologie de « apocryphe » (« apokryphos ») qui signifie « caché » pourrait le laisser entendre. Si nous avons publié un livre sous ce titre (NDLR : Le Mystère apocryphe. Introduction à une littérature méconnue – Labor et Fides, 2e édition, 2007), c’est pour mettre en lumière des écrits mal connus et non pour les envelopper dans la pénombre de l’ésotérisme. Il n’est certes pas faux de dire qu’il y a du mystère dans nombre de textes apocryphes. D’abord parce qu’ils posent des problèmes qui restent sans réponse – le plus souvent nous ne savons rien de leurs auteurs, de leur date ou de leur lieu d’origine. Ensuite parce que certains d’entre eux se présentent eux-mêmes comme des « mystères, » comme des « révélations » faites à un apôtre privilégié et confiées à un groupe choisi de destinataires. Par exemple, plusieurs des écrits découverts à Nag Hammadi ont un titre qui affirme clairement leur caractère secret : l’Épître apocryphe de Jacques, les Paroles secrètes (apokruphoi) que Jésus le Vivant a dites et qu’a écrites Didyme Jude Thomas (titre primitif de l’Évangile de Thomas). Dans ce dernier cas, le mot « apocryphe » revêt un sens positif. Il souligne la dimension mystérieuse de la révélation divine : les paroles de Jésus ont un sens qui n’est pas évident, mais caché, et qu’il faut rechercher au-delà de la lettre.

LES APOCRYPHES
Autant de messages que d’apocryphes
Florence Quentin - publié le 19/10/2012
Rencontre avec Jean-Daniel Kaestli
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LES APOCRYPHES
Autant de messages que d’apocryphes
Florence Quentin - publié le 19/10/2012

Rencontre avec Jean-Daniel Kaestli

Jean-Daniel Kaestli, spécialiste des littératures intertestamentaires, met en lumière la portée réelle des écrits apocryphes. Ce dernier a entre autres dirigé l’édition du second volume des Écrits apocryphes chrétiens, paru chez Gallimard (dans la Pléiade), en 2005.

Comment l’étude des apocryphes nous permet-elle de comprendre la formation du Nouveau Testament ?

L’étude des apocryphes et de leur réception dans l’Église des premiers siècles est incontournable pour comprendre le processus historique de délimitation du « canon » de 27 livres. Elle peut aussi aider à la compréhension du Nouveau Testament, dans la mesure où les apocryphes font souvent appel aux mêmes méthodes d’interprétation que les auteurs bibliques et où ils cherchent à éclairer des passages obscurs des récits canoniques. C’est le cas du récit de la passion de l’Évangile de Pierre, qui, tout comme celui des Évangiles canoniques, s’appuie sur certains textes de l’Ancien Testament, dont on découvre l’accomplissement dans la destinée de Jésus. Il en va de même pour les Questions de Barthélemy. Alors que le Nouveau Testament ne fait que mentionner le nom de cet apôtre, une tradition ancienne a vu en lui le dépositaire de certains mystères, relatifs à la descente aux enfers et à la résurrection de Jésus. Dans ce texte apocryphe, on a cherché à comprendre la parole énigmatique de Jésus adressée à Nathanaël (alias Barthélemy ): « Parce que je t’ai dit : je t’ai vu sous le figuier, tu crois ! Tu verras des choses bien plus grandes. Et il lui dit : En vérité, en vérité je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme » (Jean 1, 50-51). Au moment de la crucifixion et de l’arrivée des ténèbres, Barthélemy a été le témoin de la réalisation de cette promesse : les anges sont descendus vers Jésus pour l’accompagner aux enfers, où il a délivré les patriarches et vaincu Satan puis ils sont montés au ciel avec Adam. Dans ce récit apocryphe du IIe siècle, le passage de l’Évangile de Jean trouve son interprétation la plus ancienne.
Aux yeux de l’historien moderne, les apocryphes ne contiennent aucune information solide sur « ce qui s’est réellement passé », sur les paroles et les actions de Jésus ou des personnages du Nouveau Testament qu’ils mettent en scène. Leur valeur historique est ailleurs : ils témoignent de la manière dont les chrétiens de l’Église ancienne ont fait mémoire du temps des origines, en méditant l’Ancien Testament et en enrichissant des données traditionnelles sur Jésus ou les apôtres.
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Lorsque Renan dit que « tout le christianisme est né de l’imagination d’une femme », il se trompe sans doute, parce qu’il donne au mot « imagination » un sens péjoratif, plus ou moins synonyme de faculté d’illusion ; selon les présupposés anthropologiques qui conditionnent sa pensée, Renan, en effet, ignore les catégories relevant de « l’imagination créatrice » dans lesquelles ces textes ont été élaborés. Si Dieu est vivant, il veut se communiquer, il faudra donc une médiation entre Dieu et l’humain, le visible et l’invisible, le monde des corps matériels et le monde des esprits immatériels.

Jean-Yves Leloup
Un monde intermédiaire
LES APOCRYPHES
Jésus et Marie-Madeleine, enseigneur et initiée
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« Pour vous qui suis-je ? » La question est posée dans les Évangiles synoptiques comme dans l’Évangile selon Thomas. Ici Pierre ne confesse pas le Messie, mais voit dans Jésus, un ange – un « envoyé ». Chacun perçoit Jésus selon son niveau de conscience. Pour les uns, « [il] est Élie » pour les autres, « un philosophe sage », c’est à dire quelqu’un qui ne se contente pas d’annoncer la parole comme les envoyés ou les prophètes, mais qui la vit, l’incarne (le Coran dira plus tard que Jésus est « le sceau de la sainteté »). Mais c’est Thomas qui semble le plus proche du mystère de son Être. Par la connaissance du Soi, il est descendu dans les profondeurs de l’« homo absconditus » à l’image du « Deus absconditus ». Il a fait l’expérience de l’ineffable, de l’inconnaissable en lui, aussi peut-il le reconnaître dans l’autre (voir logion 13 ci-dessus). Jésus reconnaît d’ailleurs que Thomas a touché leur origine commune : le Père. Il dira aussi plus tard à Marie-Madeleine : « “Mon” père et “votre” Père ».

LES APOCRYPHES
Jésus et Marie-Madeleine, enseigneur et initiée
Jean-Yves Leloup
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Jésus, à la manière des maîtres orientaux, par des formules paradoxales nous invite à prendre conscience de notre origine incréée, de notre liberté sans limites au cœur même des contingences les plus contraignantes. Il s’agit de s’éveiller à la réalité absolue au cœur même des réalités relatives.
La gnose, c’est cette double lucidité concernant la condition humaine. La réalité relative, c’est que nous sommes poussière et que nous retournons à la poussière. « Tout ce qui est composé sera un jour décomposé », mais il existe aussi une autre réalité : « Nous sommes lumière et nous retournons à la lumière ». Il y a en nous un soleil sans couchant, un état d’éveil et de paix vers lequel notre infini désir ne cesse d’aspirer. La réalité relative, c’est ce que nous sommes « mâle ou femelle ». La réalité plénière, c’est que nous sommes les deux. Il y a une intégration possible de nos polarités masculines et féminines vers un humain (anthropos) total qui aime non à partir de ses manques, mais à partir de sa plénitude. Nos amours ne sont pas que « soifs », ils peuvent devenir fontaines débordantes.

LES APOCRYPHES
Jésus et Marie-Madeleine, enseigneur et initiée
Jean-Yves Leloup
L’Évangile selon Thomas
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Abram, Sara et Joseph, un destin revisité

Le livre des Jubilés et l’Apocryphe de la Genèse dévoilent des épisodes inconnus de la vie de ces trois figures de la Bible.

Dès les premières lignes de la Genèse, Dieu s’adresse à Abram et l’invite à quitter sa Mésopotamie natale pour se rendre vers une terre inconnue. Mais qui est cet Abram ? Pourquoi Dieu l’a-t-il choisi ? La Genèse ne nous dit rien à ce propos.

LES APOCRYPHES
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Égalité, prestige et prééminence

Une organisation centrée autour de l’évêque (episcopos), qui exerce ses prérogatives sur un territoire défini, émerge peu à peu. Les Églises sont en interaction et communiquent entre elles sur le principe de l’égalité : en théorie, aucune ne peut se prétendre juridiquement supérieure, et tout évêque est libre de conduire sa communauté comme il l’entend. Naturellement, les Églises apostoliques - celles qui ont été fondées ou visitées par les apôtres - bénéficient d’une aura particulière : c’est le cas d’Antioche, Philippes (Macédoine), Éphèse, Corinthe, Thessalonique… et Rome. Plus tard, le concile de Nicée (325) accordera une préséance d’honneur aux Églises de Rome, Alexandrie et Antioche, auxquelles viendront s’ajouter Constantinople (la « nouvelle Rome ») et Jérusalem, lors du concile de Chalcédoine (451).
« Heureuse Église !, chante Tertullien au sujet de cette dernière, les apôtres lui ont versé toute leur doctrine avec leur sang. Pierre y subit un supplice semblable à celui du Seigneur. Paul y est couronné d’une mort semblable à celle de Jean [Baptiste]. […] Voyons ce que Rome a appris, ce qu’elle enseigne. » De fait, la Ville éternelle, qui s’enorgueillit d’abriter en son sein les dépouilles de Pierre et de Paul, jouit d’un immense prestige, pour ne pas dire d’une prééminence sur les Églises d’Occident et d’Orient. L’évêque de Rome fait souvent office d’arbitre de la chrétienté en herbe, usant d’un droit d’ingérence dans les affaires des autres communautés. Dès 95 ou 96, Clément de Rome adresse à ses coreligionnaires de Corinthe une lettre afin de leur porter conseil dans une querelle qui les oppose, les exhortant à obéir « aux avertissements que Dieu leur envoie à travers nous ». Avec le développement de courants chrétiens jugés hérétiques, le recours à l’Église de Rome comme instance de conciliation ou d’appel va se faire de plus en plus fréquent. « Avec cette Église, indique Irénée de Lyon vers 180, en raison de son origine plus excellente, doit nécessairement s’accorder toute Église. » L’épiscope de Rome, héritier du « prince des apôtres », se présente comme le garant de l’orthodoxie et de l’unité chrétienne.
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Pour les plus humbles
Les apocryphes de l’enfance de Jésus sont des textes passionnants car ils nous permettent de confirmer que le christianisme primitif est avant tout multiforme : il a évolué au gré des particularités géographiques et des options idéologiques ; il a manifesté le constant souci de s’adresser aux couches les plus humbles. Ainsi la trace des débats qui firent rage autour de la virginité de Marie et de l’origine soi-disant obscure de Jésus transparaissent dans le Protévangile de Jacques. Tout comme la tendance à l’ascétisme qui obséda certains milieux chrétiens des premiers siècles. Dans la Vie de Jésus en arabe, l’Égypte qui constitue un centre fondamental pour le christianisme primitif est présentée sous une autre facette : si l’on connaissait bien la foi très complexe des intellectuels à travers des Pères de l’Église comme Clément d’Alexandrie ou Origène, le texte nous renseigne sur la foi plus simple de leurs ouailles. L’étude des textes sur ­l’Enfance de Jésus permet de ressusciter la théologie des milieux populaires, de percevoir les débats sur la divinité du Christ et la question de la place du miracle dans la foi, ainsi que l’importance des usages locaux que chaque communauté entendait préserver. On peut ainsi mieux connaître et mieux comprendre les textes canoniques et l’histoire de l’Église, ce qui explique la faveur dont ils jouissent à l’époque actuelle auprès des spécialistes.

LES APOCRYPHES
L’enfance de Jésus, un récit populaire
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